[...] La concentration de "populations à problèmes " (c’est-à-dire de pauvres et d’immigrés) dans des territoires nommés " quartiers sensibles " est en effet présentée comme la source de tous les maux. Et à ce diagnostic est souvent opposée une solution-miracle : la "mixité sociale". Le texte qui suit propose une analyse critique de la mise en oeuvre concrète de cette politique, mais aussi de ses présupposés et de ses effets idéologiques
La politique publique de lutte contre les "ghettos " et de promotion de la "mixité sociale" telle qu’elle est aujourd’hui concçue n’a jusqu’à présent rien produit de miraculeux. Tout d’abord parce que, depuis de nombreuses années, des municipalités et des organismes de logement social se sont emparés de la notion de "mixité sociale" pour en faire un usage très contestable : à savoir contrôler et sélectionner leur population, en cherchant à écarter les plus pauvres, les étrangers ou certains "immigrés". Mais c’est plus généralement sur les présupposés des politiques visant à une répartition " équilibrée " des populations qu’il faut s’interroger.
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Ces différentes logiques convergent vers une même conclusion : il faut freiner l’arrivée dans le logement social des populations les moins " désirables " - c’est-à-dire des familles les plus pauvres, les plus précaires, les plus nombreuses et les plus "ethniquement différentes". Cependant, les choses ne peuvent pas se dire aussi ouvertement, car la sélection des locataires en fonction de leur origine reste, aux yeux de la loi, une discrimination [1]. Il faut donc parler à mots couverts, ce que permet justement le terme de " mixité sociale ".
En effet, le "ghetto" apparaît souvent comme un faux problème, qui occulte la véritable urgence : la lutte contre la pauvreté. Car, au lieu de mener une politique économique et sociale permettant de la supprimer - ou au moins de la réduire - , les gouvernements, y compris de gauche, se contentent désormais d’accompagner et de gérer la misère, en se contentant de " mieux " la répartir, de manière plus " harmonieuse ", " équitable " et " équilibrée ". Cette nouvelle orientation de la gauche se trouve tout entière résumée dans une affiche des Verts placardée sur les murs de Paris lors des élections municipales de 2001 : " Mixité. La diversité sociale est une richesse ". Ce qui revient, strictement, à dire ceci : " qu’il y ait des riches et des pauvres, c’est formidable ".
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Et ce qui a finalement disparu du débat public, c’est l’idée simple de construire en quantité suffisante des logements sociaux dans toutes les communes, riches ou pauvres, de manière à ce que les personnes puissent elles-mêmes choisir leur lieu d’habitation. Quitte à ce que, si des logiques sociales aboutissent à des regroupements des populations les plus précaires, on développe davantage de services sociaux à l’endroit où elles se sont regroupées. Déplacer l’argent plutôt que déplacer les populations : n’est-ce pas la solution la plus juste et la plus respectueuse des habitants ?
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Or, cela ne va pas de soi : si certains habitants manifestent effectivement leur désir de quitter leur " cité " et d’aller " voir ailleurs ", de nombreux autres n’ont aucune envie de s’installer à Neuilly ou au Raincy. Être pauvre au milieu des riches n’est pas nécessairement plus agréable, plus épanouissant ni plus émancipateur que vivre pauvre au milieu d’autres pauvres. En tout cas pas pour tout le monde.
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D’un côté, la logique dominante : celle des " politiques de peuplement ", imposant tantôt le regroupement dans des " ghettos ", tantôt la dispersion et la " mixité ". Dans cette perspective, on considère que la garantie de l’ordre public, rebaptisé " intérêt général ", passe par une répartition " équilibrée " des individus et des groupes sociaux dans l’espace. Ces " politiques de peuplement ", tout comme les politiques de " maîtrise des flux migratoires ", sont avant tout des politiques de contrôle social.
De l’autre : une logique véritablement démocratique, qui s’abstient de trancher entre mixité et regroupement, et qui laisse aux habitants eux mêmes le soin de choisir leur lieu d’habitation. Dans cette perspective, le peuplement cesse d’être un objet de politique publique ; il s’agit, plus simplement, de réfléchir aux modalités d’une politique de construction de logements sociaux partout sur le territoire, permettant aux habitants eux-mêmes de faire leurs choix.
Cet article date de plus de 10 ans mais la mixité sociale en matière de logement est encore au goût du jour de la loi Égalité et Citoyenneté, voir http://shaarli.guiguishow.info/?yKeokA . Du coup, se demander de quelle mixité parle-t-on, c'est toujours d'actualité.
Les logements sociaux sont un palliatif à des vraies politiques publiques économiques et sociales. Simplement parce qu'aucun logement social ne peut être physiquement construit dans les vieux bourgs des villes, là où t'as les belles baraques des gens fortunés. Du coup, tu ne verras jamais un pauvre ici. Et c'est bien là le problème : pourquoi ce pauvre est-il pauvre ? Le reste n'est qu'un écran de fumée.