Une amie souhaite migrer le contenu de son blog d'un logiciel à un autre. A priori, aucun mécanisme de migration est prévu. Elle migre donc à la main tout en grommelant, je cite « le monde est conçu pour les ninjas de l'ordinateur et je ne fais pas partie de cette caste ».
Ma réponse ? Les ninjas de l'informatique (si toutefois ça existe…) ne peuvent pas tout. La compétence brute ne peut pas tout, elle est vaine, car limitée par l'environnement (temps, argent, etc.). Si un outil n'est pas prévu pour un usage, c'est perdu. Si un serveur de stockage n'a pas été conçu pour ton usage (CIFS sans domaine AD + NFS + …) et/ou pour tenir ta charge (nombre de lectures+écritures par seconde), c'est perdu. Si un pare-feu ne permet pas de consigner les infos réclamées par le chef, c'est perdu. Les exemples sont nombreux. T'as beau être un « ninja de l'informatique », ça va rien changer : l'écrasante majorité des personnes qui exercent dans l'informatique ne vont pas construire un serveur de stockage ou développer une passerelle entre deux CMS ou…, car cela est complexe et/ou chronophage. À l'impossible (qui varie en fonction du niveau de compétences de celui qui s'exprime), nul n'est tenu.
En fait, les ingénieurs en informatique apprennent à détecter ce qui sera possible ou non, et donc, à exclure des solutions ou à contourner / filouter. Dans le cas présent, il ne suffit pas de trouver un CMS joli et pratique pour déclencher l'acte de migration. Un informaticien se posera forcément les questions suivantes : comment conserver les billets de blog existants, comment intégrer ce nouveau CMS au reste de mon système d'information (authentification, sauvegardes, etc.), et à quel coût (temps, moyens à mettre en œuvre, etc.) ? S'il faut développer un outil de migration sur mesure, peut-être qu'un autre CMS, moins conviviale mais plus facilement intégrable, sera retenu. Renoncer à un coup de cœur afin d'éviter de perdre du temps, en somme.
Au quotidien, je me sens nul. Quand je regarde mes collègues, nous savons très peu de choses, au final : nous savons détecter quand un truc ne sera pas possible et contourner l'obstacle, c'est tout. C'est précisément ce contournement, qui, ajouté à tous les autres, nous pourrira la vie dans le futur, mais on les empile, parce qu'on n'a pas le choix face à des besoins contradictoires. Il faudra le contourner à son tour ? C'est pareil dans les autres professions : médecins, ingénieur nucléaire, etc. : tout le monde croit savoir, très peu savent, beaucoup filoutent en ne répondant pas tout à fait à la question / besoin exprimé, mais ça fait illusion.
C'est l'essence de l'organisation de nos sociétés : nous sommes des gestionnaires de projets, c'est-à-dire les merdes inutiles qui peuvent prétendument tout faire : aujourd'hui piloter l'achat d'un nouveau cœur de réseau en informatique, demain piloter la mise en œuvre de mesures sanitaires, après-demain piloter de l'événementiel. Quand on réfléchit "méta" / en gros / de manière macroscopique, tout ça fonctionne pareil : définir un besoin, mettre ce besoin en adéquation avec des moyens (humains, temps, etc.), choisir une solution et l'intégrer à l'existant, déléguer + cheffer, et détecter quand un truc ne sera pas possible / tenable afin de le contourner.
Je n'approuve pas, je pense que c'est en partie pour ça que nos sociétés partent en couille et que les gens souffrent, mais c'est un fait.
Point de ninja, donc.