Quinze projets de mégabassines, jugés surdimensionnés, ont récemment été annulés par le tribunal administratif de Poitiers.
[…] Le juge administratif a souligné l’importance des volumes d’eau nécessaires au fonctionnement de ces mégabassines, et considère que ces « retenues de substitution » sont incompatibles avec les objectifs fixés par l’État dans le cadre de ses documents de planification, notamment en matière de gestion de l’eau […]
Le tribunal estime que les projets sont « surdimensionnés » à l’égard du contexte hydrologique local, et que les autorités administratives n’ont pas suffisamment pris en compte les « effets prévisibles du changement climatique », qui vont nécessairement affecter la ressource en eau disponible. Le tribunal pointe aussi que les données prises en compte pour autoriser ces projets sont anciennes, certaines datant du début des années 2000. […]
Intéressant. Cependant, appel en cours, donc wait & see.
Je suis d'accord avec l'analyse selon laquelle la lutte judiciaire ne se substitue pas à la lutte de terrain afin d'empêcher la construction en attendant la décision du juge, afin de se retrouver devant le fait accompli, puisque les ouvrages construits illégalement ou dont le permis est annulé pendant ou après la construction sont rarement détruits.
En Charente-Maritime, le Conseil d'État a confirmé le 3 février l'interdiction de remplir cinq bassines à usage agricole sur les communes de La Laigne, Cramchaban et la Grève-sur-le-Mignon en raison d'insuffisance des études d'impact. [ donc ça se corrige facilement ]
La Cour administrative d'appel de Bordeaux a aussi invalidé en janvier six autres projets sur six communes de Charente-Maritime (Anais, Benon, Le Gué-d’Alleré, Saint-Médard-d’Aunis, Saint-Sauveur-d’Aunis et Saint-Xandre), jugeant les volumes d'eau envisagés excessifs.
Après, il faut relativiser : il y a 93 bassines en projet dans le Poitou, et de 100 à 300 dans toute la France.
Certaines bassines sont suspendues (référé, attente de la décision de fond) pour un conflit d'intérêt, ce qui se corrige facilement, comme celle de Priaires.
La QPC s'inscrit dans un contentieux de contestation de la décision de créer à Bure un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. […]
La Charte de l'environnement a intégré la Constitution par une révision, votée en 2005 par une écrasante majorité du Congrès. L'enthousiasme était alors d'autant plus grand que la Charte comportait des dispositions suffisamment imprécises pour satisfaire tout le monde, et que cette imprécision même laissait penser qu'elle ne pourrait pas servir de fondement juridique solide à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dès sa décision du 19 juin 2008 sur une loi relative aux organismes génétiquement modifiés, le Conseil a pourtant énoncé que les droits et les devoirs figurant dans la Charte avaient pleine valeur constitutionnelle. Quant aux sept alinéas qui servent de préambule à la Charte, le Conseil précise, dans une décision du 7 mai 2014, qu'ils ont valeur constitutionnelle, "sans pourtant instituer un droit ou une liberté que la Constitution garantit". Autant dire que ce préambule était analysé comme un droit déclaratoire qui ne saurait fonder une contrainte juridique.
Précisément, la QPC du 27 octobre met fin à cette distinction […] Le Conseil impose ainsi au législateur de prendre en considération ces éléments lorsqu'il prend des décisions environnementales qui engagent l'avenir. Les générations futures deviennent ainsi, non pas un sujet de droit, mais un objet de droit, imposant à l'État le devoir d'envisager les conséquences à long terme de ses décisions environnementales. Derrière l'apparente ambition de la formulation, on peut se demander si l'obligation ainsi imposée au législateur ne serait pas satisfaite par un simple étude d'impact.
La suite des motifs énoncés par le Conseil est sans doute encore plus intéressante que cette affirmation solennelle de la valeur constitutionnelle des dispositions de la Charte. En effet, le Conseil exerce alors un contrôle de proportionnalité, en affirmant que "les limitations apportées par la loi au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi". En d'autres termes, il appartient au Conseil, et à lui seul, de contrôler cette proportionnalité. L'imprécision des termes de la Charte lui laissent alors un pouvoir discrétionnaire pour préciser le contenu de ses obligations.
Décision du Conseil.
https://nitter.privacydev.net/N_Hervieu/status/1717815020745027870 :
Ha la la, l'humanité a encore brillé.
Entre ceux qui ont redécouvert la guerre avec l'Ukraine… Ouais, à force de l'exporter, avec notre diplomatie et nos marchands d'armes, on avait oublié que ça existait hi hi hi. Je passe sur ceux qui redécouvrent que la guerre c'est pas gentil, que c'est atroce, que tous les coups sont permis, blablabla.
Ceux qui redécouvrent que l'Israël et la Palestine se foutent sur la gueule depuis des décennies et qu'il en sera ainsi demain.
Ceux qui imposent de qualifier de terroriste l'une des parties, t'sais, ce mot galvaudé et usiné pour faire peur aux citoyens (parce que ce conflit, c'est tout comme le 11 septembre, Charlie, le Bataclan, Arras, etc., bien entendu), et ceux qui s'y refusent (à raison), chaque camp œuvrant dans l'argumentaire absurde pour défendre sa position.
Ceux qui ressortent du placard la police des mots et le concept flou d'apologie du terrorisme (présenter sous un jour favorable des actes qui relèvent de cette qualif'). Une Union départementale CGT qui exprime son soutien à la Palestine face à « l'État colonial d'Israël » sans condamner l'attaque du 7 octobre ? Au bûcher ! (Où est la présentation élogieuse des faits ?) Le NPA qui qualifie l'attaque du 7 octobre de moyen de lutte ? Au gnouf ! (Il est intéressant de constater que la LICRA est encore dans le coup, alors que la liberté d'expression, surtout celle dans un débat d'idées, est vivement protégée par la CEDH.)
Ceux qui imposent de dire qui est colon, ou non, ou pas au sens occidental du terme… Qui était là d'abord. Qui a été contraint d'émigrer ou non, vu la Shoah, ou non…
Ceux qui imposent d'être en faveur d'un camp. Bah oui, Israël a le droit de se défendre, de perpétuer le cycle de la violence, d'éradiquer une population plutôt que les seuls responsables de l'attaque du 7 octobre, de se venger de manière indiscriminée. À quoi ça sert ? Peu importe. Les États-Unis sont pro-Israël alors tous les vassaux occidentaux, dont la France, s'alignent. Ho oui, oui, soutien total à Israël. Et puis bon, être contre le massacre d'une population par un État juif, c'est être antisémite, bien entendu (ceci dit, ce n'est que le prolongement du navrant glissement antisionisme = antisémitisme des dernières décennies). C'est effrayant de devoir sortir un mec de la naphtaline pour obtenir une vague position nuancée.
Ceux qui se rêvent toujours en gardiens / flics / sauveurs du monde sans qui rien n'est possible. Il faut bien que les grands adultes du monde s'occupent des enfants qui se chamaillent. Halala ces enfants, que de problèmes… Faux-nez de l'impérialisme.
Ceux qui utilisent la technologie, des drones, pour diffuser à d'autres des tracts leur expliquant leur bombardement imminent. C'est très chic. Se prendre une bombe sur la tronche mais l'avoir appris de manière moderne, civilisée, humaine, quoi.
Ceux qui découvrent les tunnels sous Gaza. Vu leur finition, ils datent d'hier, c'est sûr, trololo. Du coup, pourquoi bombarder la surface ? Peut-être pour sécuriser les opérations au sol ? Est-ce proportionné ? Pourquoi avoir laissé prospérer ces tunnels ? T'inquiète Jean-Kev', bombarde, on te dit.
Ceux qui interdisent de causerie (sur la colonisation et l'apartheid d'Israël) une militante de la cause palestinienne puis qui l'expulsent car elle aurait dissimulé être une cheffe du Front populaire de libération de la Palestine, mouvement terroriste qui a commis des attentats contre des civils israéliens avant 2015. Source ? Le site web du mouvement (est-il à jour ?). Sa présence sur le sol français est susceptible d'entraîner de graves troubles à l'ordre public. On est dans l'intention, dans l'association d'idée, dans l'interdiction d'un débat d'idées…
Ceux qui sont dans la dénonciation de la guerre, des crimes de guerre, du siège, des viols, des décisions bafouées de l'ONU, que sais-je d'autre. Ha que c'est pratique, la bonne conscience. Ça change rien sur place, mais ça soulage, comme l'absolution en sorte : ouf, j'ai gémi que la guerre c'est mal, je suis dans le camp du Bien, ouf.
Évidemment, le traitement médiatique était insupportable. Même chez les indépendants comme le Canard (un des premiers éditos était dans la dénonciation de ceux qui ne parlent pas de terrorisme) ou Blast. Il faut tout arrêter pour commenter des gus qui se foutent sur la gueule pour la énième fois… jusqu'à la prochaine actualité pressante, hein (ce conflit ayant lui-même éclipsé la guerre en Ukraine). Bien sûr, aucun média ne dira vraiment que, vu la situation sur place, il ne dispose pas de journaliste du côté de Gaza, donc que tout son propos est biaisé (ce point est désormais corrigé, seule la voix du maître empêche d'approcher la vérité).
Et puis, comme d'hab en 2023…
Le ministre de l'Intérieur (Darmanin) a dégainé une instruction aux préfets d'interdiction généralisée des manifestations pro-palestiniennes. En référé, le Conseil d'État a contextualisé l'instruction avec les autres propos du sinistre, pour en regretter la rédaction approximative et ne pas l'annuler. Du coup, on est d'accord que la justice se contentera de regretter la rédaction approximative des communiqués de presse contestés pour apologie du terrorisme (cf. ci-dessus), pas vrai ? :))))
En début d'année 2023, Darmanin avait pris une décision similaire pour les manifestations d'extrême-droite. À l'époque, la gauche, au sens large, n'avait pas moufté car, tu comprends, l'extrême-droite est vraiment caca boudin, il faut lui ôter tout droit. Mais… attends… n'est-ce pas le comportement de l'extrême-droite ? Rah mais chuuuut, là c'pas pareil, on est le camp du Bien, voyons.
Au final, la plupart des tribunaux ont autorisé les manifs. Quelle énergie perdue…
La palme de l'entêtement revient au préfet des Alpes-Maritimes (Moutouh) pour des manifs à Nice : 10 interdictions en 8 semaines, toutes retoquées par le tribunal. Le Conseil d'État ne voit pas de décision (en droit administratif, on conteste une décision d'une administration) dans cette récurrence ni dans les déclarations publiques du préfet et du maire (Estrosi), juste une orientation générale passible d'aucun recours. Et puis, y a pas vraiment d'atteinte aux libertés puisqu'il est possible de contester chaque décision, peu importe que ça dissuade le quidam de participer (car l'annulation de l'interdiction de manifester est souvent connue au dernier moment)…
Afin de m'en souvenir, je consigne les critères pour interdire (ou non) une manif :
Bref, je voulais consigner tout ça que, perso, j'appelle connerie humaine habituelle, pas catalyse totalitaire (même si je suis d'accord avec le fond de cet article). Affirmer le contraire, c'est prêter à autrui une force, une organisation, une intelligence, etc. qu'il n'a pas.
Dans le cadre d’une action de groupe, plusieurs associations et ONG ont saisi le Conseil d'État afin de faire cesser la pratique des contrôles d’identité discriminatoires. Il ressort de l’instruction que la pratique de ce type de contrôles existe et ne se limite pas à des cas isolés. Si elle ne peut être considérée comme « systémique » ou « généralisée », cette pratique constitue néanmoins une discrimination pour les personnes ayant eu à subir un contrôle sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Le Conseil d'État constate toutefois que les mesures demandées par les associations visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l’ordre public qui ne relèvent pas des pouvoirs du juge administratif. C’est pourquoi le Conseil d'État rejette le recours.
Intéressant.
Procédure initiée en juillet 2021.
Première action collective / recours collectif en droit administratif, devant le Conseil d'État (77-10-1 CJA).
Il résulte de ces dispositions que, dans les domaines mentionnés à l'article L. 77-10-1 du Code de justice administrative, une action de groupe peut être engagée devant le juge administratif, par une association satisfaisant aux conditions prévues par loi, lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent chacune un dommage causé par une personne morale de droit public ou une personne morale de droit privé chargée de la gestion d'un service public et que les dommages ainsi subis trouvent leur cause commune dans un même manquement de cette personne morale à ses obligations légales ou contractuelles […] Lorsque le manquement résultant de l'abstention de la personne concernée [ de prendre toute mesure (juridique, financière, technique, organisationnelle, etc.) pour respecter la loi dans l'exercice de ses missions ] est établi et que les conditions fixées par le texte sont réunies, le juge saisi d'une action de groupe lui enjoint d'y mettre fin par toutes mesures utiles.
Le déroulé suit celui de l'arrêt sur le port du RIO par les flics pris le même jour, par la même formation. Par l'action de groupe, les associations requérantes (Amnesty International France, Human Rights Watch, etc.) ont porté des témoignages de personnes s'estimant victimes de contrôles au faciès (seul le juge judiciaire peut dire ce qu'il en est vraiment). Elles demandent au CE d'enjoindre au ministère de l'Intérieur de stopper les contrôles au faciès en prenant les mesures qu'elles préconisent et toutes autres que le Conseil jugerait utiles. Les contrôles au faciès sont interdits par le R. 434-16 du Code de la sécurité intérieure (et par la décision 2022-1025 QPC du Conseil constitutionnel). Offre de preuves supplémentaires : condamnation judiciaire pour des contrôles discriminatoires gare du Nord en 2017, rapport du Défenseur des droits, rapport de la Commission européenne, rapport du déontologue du ministère de l'Intérieur (comme quoi, ces rapports sont utiles), et témoignages de flics.
J'identifie un point craignos : c'est par absence de trace administrative des contrôles d'identité et de leur motif que les preuves sont jugées suffisantes. Vers un fichier des contrôles d'identités rempli de motif bidons pour les justifier ?
Le recours échoue par la nature des mesures exigées : les assos demandent des modifications législatives et/ou profondes (supprimer telle disposition, ajouter des critères dans tel article, crée une autorité indépendante de contrôle, imposer la remise d'un récépissé, changer le contenu des formations, renforcer la réponse disciplinaire, etc.). Tout cela est vague et hautement politique. Le juge n'a pas compétence pour définir une politique publique ni pour faire modifier la loi. En comparaison, dans le recours sur le non-port du RIO, les assos demandent pour « toute mesure utile », le changement d'une caractéristique technique du bandeau sur lequel est inscrit le RIO, le port du RIO (qui est déjà prévu par la loi), etc.
Au moins le Conseil d'État reconnaît des contrôles au faciès qui ne se limitent pas à des cas isolés, et donc un manquement du ministère de l'Intérieur (qui ne prend pas les mesures utiles pour les stopper dans un objectif de conformité à la loi).
Dans un arrêt du 08/03/2023, la Cour de cassation a confirmé la possibilité, pour une salariée du privé, de se voir communiquer, par son (ex-)employeur, les fiches de paie de salariés masculins occupant des postes de niveau comparable au sien, expurgées des données persos.
Attention : on est dans le cadre de l'article 145 du Code de procédure civile, c'est-à-dire dans une procédure permettant de demander à un juge d'ordonner toute mesure pour établir ou conserver des preuves avant un procès. On n'est donc pas dans un accès systématique / à tout moment, aux bulletins de paie de ses collègues (dans le cas d'espèce, on est même après un licenciement). De plus, il faut justifier d'un motif légitime (dans le cas jugé, la requérante a utilisé l'index et les rapports internes sur l'égalité hommes / femmes) et d'éléments de faits qui laissent supposer une inégalité infondée (pas objective).
Ce n'est pas nouveau, la Cour de cassation avait déjà jugée en ce sens en 2021 ainsi qu'en 2012.
Ces derniers temps, la Cour de cass a priorisé le droit à la preuve sur plusieurs autres droits. Nouvelle illustration ici. La Cour a arbitré entre le droit à la preuve et la vie privée (RGPD). Pour elle, l'atteinte à la vie privée était nécessaire et proportionnée au droit à la preuve, quand bien même les données à caractère personnel ont été générées pour un tout autre motif (le premier usage d'un bulletin de paie n'est pas de permettre à autrui d'ester en justice). Je pense que la CJUE pourrait, avec les mêmes éléments, prioriser la vie privée, notamment car l'arrêt de la Cour va au-delà de la directive européenne de mai 2023, donc, comme d'hab', tout se discute. Dans un arrêt plus récent (septembre 2024), la Cour a jugé que la Cour d'appel n'avait pas évalué la nécessité à l'exercice du droit à la preuve ni la proportionnalité au but recherché, et qu'elle n'avait pas cantonné la demande (le salarié, au motif de discrimination, demandait la communication de tous les bulletins de paie depuis 1991, 2003 ou 2006 en fonction des groupes).
Pour moi, les salariés dont la fiche de paie a été communiquée doivent être informés : article 14 RGPD et droit d'accès à la liste des consultations de leurs données à caractère personnel.
La communication porte sur : nom, prénom, classification conventionnelle, rémunération mensuelle détaillée (fixe et variable) et rémunération brute totale par année civile. Le reste d'une fiche de paie doit être caviardé.
Toutes les primes sont communicables, y compris celles à la performance (qui ont un caractère individuel) ou uniquement celles liées à une fonction / sujétion particulière ? D'autant que la Cour de cass ne reprend pas le segment de phrase « (fixes et variable) » de la Cour d'appel.
Quel impact (par ricochet) sur l'employeur public ? Il n'existe pas d'équivalent du 145 CPC dans le droit administratif. Seules la rémunération indiciaire et les primes de fonctions / sujétion d'un fonctionnaire, bref, tout ce qui ne relève pas des primes liées à la personne, sont communicables. Depuis l'entrée en vigueur du RIFSEEP, comme tout est regroupé sous un même intitulé, IFSE, seule la rémunération indiciaire est communicable, alors que les inégalités injustes ne se cachent pas ici. La rémunération des contractuels, si elle est fixée d'un commun accord, sans règle régissant l'emploi occupé, n'est pas communicable (CE 343024 et CE 342339), alors qu'il peut y avoir des inégalités entre contractuels. Bref, il y a, me semble-t-il, une disparité entre public et privé. Mais, je pense qu'il sera difficile de convaincre une juridiction administrative d'harmoniser puisque une demande de communication au titre de l'article 145 du Code de procédure civile n'est pas l'équivalent d'une demande de communication au titre du Code des Relations entre le Public et l'Administration, notamment car cette dernière peut intervenir n'importe quand et viser n'importe quel agent. Mais quid d'une demande de communication CRPA ciblée et effectuée au motif d'alimenter un contentieux en cours ?
Quid, enfin, des autres formes de discrimination salariale (liée à la couleur de peau, etc.) ? Pour moi, le principe dégagé par la Cour s'applique vu que toutes ces discriminations relèvent de la même interdiction légale (au moins au niveau européen).
Le premier article que j'ai lu sur le sujet est celui de LQDN. À le lire, on pourrait penser que le groupe a été arrêté pour utilisation de Tails et de messageries chiffrées. Comme tout revenant d'un lieu de guerre, le prétendu leader est mis sous surveillance à son retour du Rojava (expérience anar, lutte contre Daech, etc.). Il y a aussi eu confection d'explosifs non utilisés et détention de fusils de chasse non déclarés. Le reste est pipeau : lectures révolutionnaires, idéologie révolutionnaire, utilisation d'outils de chiffrement, etc. Il n'y a aucun fait. Même les liens entre les membres de groupe sont flous (à part qu'ils connaissent tous le prétendu leader…). Ces absences sont le plus efrayant.
On reprochait au prétendu groupe de Tarnac le sabotage d'une infrastructure ferroviaire et des violences contre des flics lors d'un sommet. La qualification terroriste des faits a été écartée en janvier 2017 par la Cour de cassation qui n'a cependant pas argumenté sa décision. Manière de dire que les faits ne relevaient pas de la qualification terrorisme mais que d'autres faits pourraient un jour revêtir cette qualification ? De fait, le débat revient ici : quels faits relèvent du terrorisme ? La pêche paraît maigre…
Je ne partage pas la grille de lecture de LQDN : oui, c'est idiot de retenir l'utilisation d'outils de chiffrement comme éléments à charge, mais, à mes yeux, les flics anti-terro, les magistrats et les juges ont réagi comme ils l'auraient fait face à des lectures, idées, ou propos qui sortent de la norme qu'ils peuvent concevoir.Tout ce monde-là cherche à accuser en l'absence de faits, donc tout est bon à prendre. Dès lors, il me paraît imprudent de généraliser ou d'y voir une mise à mal du chiffrement. D'ailleurs, le prétendu groupe de Tarnac s'était vu reprocher des lectures…
ÉDIT DU 25/12/2023 : le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement le 22/12/2023. Sans surprise, il condamne pour association de malfaiteurs terroriste.
« Affaire du 8 décembre » : l’inquiétante condamnation de militants comme terroristes (via) :
[…] pour le tribunal, les actes des mis en cause « supposent une organisation, une stratégie » qui traduit « de manière univoque leur volonté à plus ou moins long terme de commettre des délits ».
Cette analyse s’applique « sans qu’il soit nécessaire d’avoir de projet, explique la présidente. [ ni que les individus se connaissent tous ]
« Le groupe a fait part de sa volonté à plusieurs reprises de porter atteinte à l’intégrité physique de policiers, explique-t-elle, de s’armer pour la lutte contre ’les chiens de garde’ et ’la violence d’État’ et de constituer une ’milice armée’. »
Le fait de vouloir s’en prendre à des véhicules de police au cours d’une manifestation peut désormais constituer une intention terroriste. C’est-à-dire que l’intention de commettre des dégradations matérielles au cours d’une manifestation constituera un acte de terrorisme.
Affaire « du 8 décembre 2020 » : sept militants d’ultragauche condamnés pour association de malfaiteurs terroriste, dans une ambiance tendue (sans paywall) :
Pour le tribunal, « le but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » est établi par « la volonté de porter atteinte à l’intégrité de policiers et de militaire, de s’emparer de leurs armes, de s’armer contre les “chiens de garde”, d’organiser une milice armée et de détruire des véhicules appartenant aux forces de l’ordre ».
[…] inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes, qui a des implications lourdes sur la vie des condamnés pendant au moins dix ans : obligations régulières de déclarations de domicile, obligation de déclaration pour tous les déplacements à l’étranger…
Ce deuxième article, comme d'autres, témoigne d'un plus grand chahut de la part de la salle (invectives, chants, etc.).
FIN DE L'ÉDIT DU 25/12/2023.
Sur la proposition de loi « Protéger les logements contre l’occupation illicite » (anti-squat 2023) du député Kasbarian, désormais loi 2023-668, j'avais lu tout et son contraire, avec une absence de nuance remarquable (mais coutumière).
Au final, il s'agit d'une énième loi chronique qui ne change rien. Loi de 2015, de 2020, et, désormais, de 2023. Hausse des amendes ou nouvelles amendes (notamment si aucun départ des lieux après le jugement d'expulsion)… pour un public qui, déjà, ne paye pas de loyer, ça s'annonce prometteur. Une réduction de complaisance des délais (8 semaines => 6 semaines, olala ça change vraiment tout… … …)…
Ce qui a fait grand bruit : l'annulation, par le Conseil constitutionnel, d'une dérogation, en cas d'occupation illicite, à l'obligation d'entretien et de l'exonération de responsabilité en cas d'un accident causé (surtout à un tiers genre un passant) en cas de défaut d'entretien. On revient donc au droit actuel : le propriétaire est responsable des accidents causés par sa ruine. Ça ne donne pas droit au locataire de porter plainte pour de petits travaux. Bref, l'extrême-droite a hurlé au loup pour rien.
Un domicile est désormais tout local meublé, occupé ou non par le proprio des meubles (mais, pour le Conseil constitu, le juge devra apprécier si la présence des meubles permet au requérant de prétendre qu'il s'agit de son logement, donc le débat infini sur domicile ou non, résidence principale ou secondaire, etc. n'est pas terminé). Les domiciles bénéficient d'un allégement de quelques contraintes (délais, procédures, etc.), notamment la procédure administrative d'expulsion (cf. ci-dessous) leur est ouverte.
L'occupation illégale (et les sanctions attenantes) concerne désormais tout local (commercial, agricole, professionnel), pas juste les habitations. Les syndicats de salariés ont gueulé… Mais « le droit de grève n'[ a jamais ] emporté celui de disposer arbitrairement des locaux de l'entreprise » (source). Donc je peine à voir la différence… Facilitation de la répression ? Basculement du droit d'exercer son industrie à celui de droit de propriété ? À voir / suivre.
L'introduction d'une infraction pour propagande / publicité facilitant le squat ou incitant au squat, me dérange. Comme avec l'apologie du terrorisme ou la consultation de sites terroristes, on est dans la morale, dans le délit d'opinion. Je peux me renseigner (ou publier des infos) sans passer à l'acte, quoi. Qu'est-ce que l'incitation au squat ? Où est la limite avec une revendication politique d'occupation par absence d'expropriation publique des logements vacants & co, c'est-à-dire la contestation concrète d'une orientation politique ?
J'ignorais que l'on peut demander à l'autorité administrative (préfet), de procéder à l'expulsion forcée d'un domicile. :D Bon, il faut accomplir au préalable les démarches habituelles (dépôt de plainte, etc.) et le préfet n'a aucune obligation de donner suite, mais c'est l'une des procédures possibles. La loi 2020-1525 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) est encore renforcée par la loi anti squat 2023 (décidément, nos lois sont hyper renforcées, dis donc…).
Lors du ramdam autour de ce type de lois, on parle rarement des propriétaires abusifs ou des fausses histoires d'occupation illicite relayées par les médias.
le framerate des films est différent au cinéma (24 fps) et à la télé (25 fps) […] Les DVD sont au format télévision ; les Blu-ray sont gravés en 24 fps. Les séries sont directement conçues pour la télévision.
La DGSI avait en effet été alertée par les conversations entretenues « en clair » par Mohammed Mogouchkov [ assassinat d'Arras 2023 ]. Il avait en outre été inscrit au fichier de signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) en février 2021, et était surveillé, mais également écouté, par la DGSI, depuis juillet 2023, en raison de ses liens avec des membres de la mouvance islamiste radicale
La loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite LOPPSI 2) avait précisément légalisé la « captation de données informatiques (schématiquement, les logiciels espions) » […] « les ministères de la Justice et de l’Intérieur, après plusieurs mois de travail, sont parvenus à un accord en mars 2017 afin de structurer l’offre étatique de logiciels espions au profit de la police judiciaire »
Une « source proche du dossier » précise à L'Express que la DGSI ne dispose pas d'un logiciel espion de type « zero click », comme le Pegasus de NSO, mais également que le logiciel espion franco-français, développé « sous la houlette du très secret » service technique national de captation judiciaire (STNCJ), créé en mai 2018 et rattaché à la DGSI, « ne fonctionne pas auprès de certaines marques et de certains modèles de téléphone ».
Le logiciel du STNCJ utilise la méthode du « one click », et suppose donc que la cible clique sur un lien pour que son terminal puisse potentiellement être infecté. La Commission nationale de contrôle des services de renseignement (CNCTR) a donné l'autorisation à la DGSI de lui envoyer un tel **message piégé, quelques jours avant l'attentat, mais Mohammed Mogouchkov n'a pas cliqué. […]
« C'est en ultime recours que la DGSI, alertée par les conversations entretenues par Mohammed Mogouchkov en "clair", décide d'un contrôle d'identité, le jeudi 12 octobre, à Arras. Mogouchkov est dans la rue en compagnie de deux personnes lorsque des agents en tenue de police secours l'abordent, discrètement accompagnés de membres de la DGSI. Le piratage ne peut avoir lieu dans la rue et les policiers ne trouvent aucun prétexte pour exiger de Mogouchkov qu'il les accompagne au commissariat. Faute de pouvoir lui imputer la moindre intention terroriste, les policiers le laissent libre. »
Ce samedi 21 octobre, huit jours après l'attentat, « la DGSI n'avait toujours pas réussi à décoder l'ensemble des conversations du terroriste sur les messageries cryptées » [ La DGSI a réussi à décoder une partie des conservations chiffrées ? ]
Oui. :O
Un travailleur en situation irrégulière sur le territoire français peut tout à fait cotiser sans jamais bénéficier des prestations sociales qui sont la contrepartie de ces cotisations. Contre toute attente et en toute légalité.
L’article L. 115-6 du Code de la sécurité sociale […]
L’emploi d’un travailleur sans papier relève donc de deux hypothèses : soit l’employeur ne respecte pas la loi en ne s’assurant pas que l’employé détient une autorisation de travail (c’est dans ce registre que s’inscrit probablement Olivier Faure), soit l’employé lui a présenté de faux papiers. Dans les deux cas, l’employé cotise.
En principe, l’embauche d’un salarié ne peut intervenir qu’après déclaration nominative (déclaration préalable à l’embauche – dite DPAE : articles L. 1221-10 et suivants du Code du travail) par l’employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet (URSSAF ou MSA pour les salariés agricoles), et ce, quelles que soient la durée et la nature du contrat de travail envisagé. Cette déclaration doit mentionner le numéro de sécurité sociale du salarié.
Une personne étrangère peut parfaitement avoir ce numéro. Il faut pour cela qu’elle travaille en France, ou qu’elle y réside de façon stable et régulière. Elle peut demander ce numéro auprès de l’Assurance Maladie en présentant des justificatifs (carte d’identité, passeport, titre de séjour, pièce d’état civil, contrat de travail ou encore bulletin de paie ou justificatif de résidence de plus de 3 mois). L’Assurance Maladie délivre alors un numéro d’identifiant d’attente (NIA) qui ne permet ni la délivrance d’une carte Vitale, ni l’ouverture d’un compte ameli. Puis après vérification, le NIA se transforme en NIR (numéro d’inscription au répertoire ou numéro de sécurité sociale).
Le paradoxe s’explique : première hypothèse, le travailleur sans papier a déjà un numéro de sécurité sociale NIR, par exemple parce qu’il a étudié en France. Un étudiant originaire de pays non membres de l’espace économique européen (EEE) peut effectuer une demande en ligne pour ouvrir ses droits à la sécurité sociale en France, et obtenir par la suite une attestation de droits avec le numéro de sécurité sociale attribué en attendant que la carte vitale soit fabriquée. Au moment de l’embauche, l’employeur mentionnera donc ce numéro dans la déclaration DPAE.
Seconde hypothèse, le salarié en situation irrégulière ne possède pas de numéro de sécurité sociale. Malgré cela, l’employeur peut l’identifier en déclarant un NTT (Numéro Technique Temporaire) en ajoutant de toutes les informations possibles sur les éléments d’état civil du salarié. Il s’agit en principe d’une solution transitoire le temps que le salarié dispose d’un numéro reconnu par la Sécurité Sociale.
+ FranceConnect+ ou GafamConnect+ ?.
Oui parce dans ma BD, je vous disais que j'avais trouvé une alternative en envoyant un bon vieux formulaire CERFA papier à mon Urssaf… mais en fait pas du tout ! Mon CERFA, il est parti à la corbeille direct, j'ai reçu une réponse automatique de l'Urssaf qui me répète de passer par le Guichet Unique de l'INPI.
Bon ben du coup moi j'ai envoyé un mail à l'INPI pour leur demander s'ils avaient une solution pour signer mes documents sans passer par FranceConnect+, enfin GoogleConnect+, hein. Au moment où j'écris cette chronique, j'attends toujours la réponse. Comme ça fait déjà 2 semaines, j'imagine que la réponse tient en 5 lettres : M. E. R. D. E.
Trololololo, mais classique…
Il se trouve que firefox ne stocke pas les cookies dans son fichier cookies.sqlite s'ils sont marqués avec validité "session". Ça se tient. Là on a deux solutions, soit on exporte les cookies et on utilise ce fichier avec yt-dlp, soit on enlève la marque "cookie validité session" au cookie qui va bien.
Selon l’article 179 du code de procédure pénale, lorsque le juge d’instruction estime, à la fin de l’information judiciaire, que les faits dont il est saisi constituent un délit, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel couvre, s’il en existe, les vices de la procédure. Dans ce cas, en application des dispositions contestées de l’article 385 du même code, les parties ne sont plus recevables, en principe, à soulever devant ce tribunal les nullités de la procédure antérieure.
Le requérant [ François Fillon ], rejoint par les parties intervenantes [ dont Nicolas Sarkozy ], reprochait à ces dispositions de priver le prévenu de toute possibilité d’invoquer devant le tribunal correctionnel, saisi par une juridiction d’instruction, un moyen tiré de la nullité de la procédure antérieure, quand bien même le prévenu n’avait pu en avoir connaissance que postérieurement à la clôture de l’instruction. Il en résultait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense.
Toutefois, il [ le Conseil constitu ] relève que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient d’exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction.
De l’ensemble de ces motifs qui font écho à sa jurisprudence antérieure concernant les mécanismes de purge des nullités, telle qu’elle s’était notamment traduite dans sa décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Il les déclare donc contraires à la Constitution.
Les vices de procédures, les délais et la forme pour les dénoncer, c'est toujours le foutoir…
Sur des plateformes comme Amazon Web Services Data Exchange, Mastercard propose des lots de données contenant des détails sur les transactions, tels que le montant, la fréquence des achats, le lieu et la date. Ces données sont ensuite utilisées par les entreprises pour procéder à du ciblage publicitaire, créer des modèles de comportement des consommateurs ou chercher de nouveaux clients.
Alors certes, les données sont agrégées et anonymisées, mais il n'empêche que les entreprises peuvent toujours cibler des individus [ par ré-identification ]
Pour Visa et le GIE CB, lire ici.
La meilleure protection, c'est encore de réduire l'utilisation de sa carte bancaire.
C'est que ce Fairphone est le cinquième en 10 ans : faites le calcul, on reste sur le bon vieux modèle du « un nouveau téléphone tous les deux ans ». […] Et malheureusement, le support logiciel des anciennes versions est bien sûr abandonné petit à petit. […]
Bref, le Fairphone c'est un chouette projet, mais dont la gestion est assez symptomatique de « l'écologie pour les riches ». [ payer les choses au juste prix du coût écologique, afin de continuer à consommer comme des sacs ]
L'autre versant, « l'écologie pour les pauvres » en quelque sorte, il consiste à faire durer les objets, à ne pas gaspiller, à acheter du reconditionné…
Loin de nous l’idée d’anticiper sur l’enquête qui a été diligentée ou de défendre une administration ou ses agents. Mais pour qu’elle aboutisse à la sanction d’un ou plusieurs agents du rectorat ou de l’établissement scolaire, il faudra établir que ceux-ci ont commis une faute par leur comportement individuel, et que cette faute a eu pour conséquence le suicide de l’enfant.
Il s’agira par exemple de négligences : un retard dans le traitement du dossier, une instruction très superficielle de l’affaire et donc la commission d’une erreur manifeste, une volonté de masquer des fautes, voire une malveillance (ce qui malheureusement arrive aussi). Est donc visé le comportement anormal ou illégal de l’agent au regard de ses devoirs. Si tel est le cas, alors des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées (avertissement, mise à pied, voire radiation des cadres, etc.)
Mais en l’occurrence, pas de retard, pas de malveillance reprochée : c’est sur le fond que l’administration est critiquée, car elle n’aurait pas tenu compte du problème soulevé par les parents et les a même menacés de poursuites.
Surtout, il n’existait pas à la date des faits d’instructions claires de la hiérarchie : comment caractériser un harcèlement ? Comment réagir ? Or il est difficile de reprocher aux agents de mal appliquer ce qui est mal ou pas expliqué… […] En creux, on décèle dans la loi de 2022 tout ce qui manquait auparavant, et qui empêche de sanctionner des agents auxquels aucun ordre clair n’est donné, ni aucun moyen. On attend l’application effective.
S’il est juridiquement impossible de reprocher aux agents de ne pas avoir suivi une ligne directrice inexistante ou trop floue, c’est alors le système qui est en cause. Dans ce cas, le juge s’en tient au résultat désastreux et tente d’en tirer les conséquences, à savoir indemniser les parents. Cela ne rend pas l’enfant, mais il est essentiel pour le juge de sanctionner ce système afin que le législateur ou l’exécutif en tirent eux-mêmes les conséquences par des réformes. Ainsi, ce n’est pas la première fois que le juge condamne l’administration à indemniser les parents d’un enfant harcelé qui se donne la mort. […]
Un résumé de la politique et des médias. Un grand classique, mais on ne s'en lasse pas. :)
Il y a encore tellement à dézinguer sur ce sujet…
Bernard Friot a développé une version spécifique du communisme, plus élaborée et structurée que la devise « à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » chère aux communistes-libertaires, et moins attentiste (sur le papier) que la dictature du prolétariat du marxisme-léninisme / trotskisme. Elle consiste en une généralisation du salaire à la qualification personnelle (!= revenu de base), une maîtrise de leur outil de travail par les travailleurs (y compris les services publics), et une maîtrise démocratique des institutions du travail (investissement, marché économique, qualification et salaire, etc.) afin de décider ce qui est produit, où, comment, avec qui, etc. Pour ceux qui veulent survoler rapidement le sujet, je recommande la vidéo : Le Salaire à Vie (Bernard Friot).
Frédéric Lordon approuve la direction et les éléments clés du système proposé par Friot, et précise les affects mobilisables et les processus pour y parvenir (divulgation prématurée : rien de clé en main).
Concernant le mot tabou « communisme » :
Ce shaarli est basé sur les vidéos référencées dans sa section vidéo (y'en a pour 25 h 30 au total, quelques unes permettent de saisir le sujet, les autres ont un apport marginal) ainsi que sur une causerie de Friot lors de la création, en 2023, d'un groupe local du réseau salariat, réseau d'éducation populaire qu'il anime. J'ai plusieurs livres de Friot, mais je ne les ai toujours pas lus. :-
Plan :
Friot a sa lecture particulière et viscérale de l'histoire consistant à consacrer l'existence d'une classe révolutionnaire en sus de la classe bourgeoise, et à lire des avancées sociales comme étant des subversions communistes d'institutions capitalistes. Cet existant est censé servir de modèle pour les futures conquêtes ou, a minima, de caution ("c'est faisable, on l'a déjà fait !").
Dans les sociétés pré-capitalistes, la mise au travail était encastrée dans une logique de clan, de seigneurie, de religion, de famille, etc. L'individu était englué dans tout ça.
Le capitalisme a changé le statut anthropologique des travailleurs (manière d'être un humain au travail) en les transformant en individus libres sur un marché économique. Évidemment, ça signifie nus, sans protection, en concurrence, etc., mais c'est un progrès. La bourgeoisie a été une classe révolutionnaire. Évidemment, le capitalisme a autonomisé le travail abstrait pour le pire : pour créer de la valeur pour la valeur en dehors de toute considération de la production concrète (peu importe ce qui est produit, comment, si c'est qualitatif, etc.). Le communisme consiste à aller au-delà (on retrouve l'idée du stade suivant de l'humanité de Marx).
La bourgeoisie a d'abord pris le pouvoir sur le travail en utilisant les institutions de l'époque (féodales), avant de prendre le pouvoir politique. Friot estime qu'elle a mis 5 siècles pour remplacer la féodalité. La bourgeoisie qui paye des impôts à l'aristocratie au lieu d'aller à la corvée, c'est déjà un élément de la mutation de la féodalité vers le capitalisme. La même qui installe des horloges (sur des beffrois) devant les églises, également (l'objectif est de changer le rythme de vie, la notion du temps, d'où l'on retrouvera l'horloge à l'entrée / au portail des usines et le chronomètre du taylorisme, ancêtres de la badgeuse, pour intensifier le temps de travail). La bourgeoisie lyonnaise qui élit les consuls, le conseil municipal, contre l'évêque, dans l'église Saint-Nizier, c'est une utilisation des institutions de l'époque. Les mutations communistes doivent utiliser et subvertir les institutions capitalistes.
Douzième siècle : pas de progrès technique, mais un énorme progrès économique lié au changement du statut des paysans : création d'un tiers ordre, cessation des aspects les plus marquants de la servitude, etc.
Dès le début, le libéralisme prévoit la solidarité sous la forme d'une nécessité politique (ne pas se faire casser la gueule) convertie en obligation morale (pas juridique, car, pour contracter, il faut être libre, or celui qui ne posséde pas ne l'est pas). Pour Friot, c'est l'origine des impôts type CSG : il faut collectivement assumer tel coût. Cela peut aussi expliquer le sursalaire familial (remplacé par les allocs familiales, j'y reviendrai). Ça n'a rien à voir avec la solidarité ouvrière (survie / entraide, défense ‒ notamment contre le progrès technique ‒, coalitions inédites entre des métiers différents, etc.).
La forme paradigmatique de la mise au travail capitaliste est le travailleur indépendant, endetté auprès d'un prêteur pour démarrer son activité, qui vend sa production sur le marché éco des biens et des services.
Sous Napoléon apparaît le contrat de louage d'ouvrage. C'est un jeu à trois : un capitaliste donneur d'ordre qui n'embauche pas, qui n'organise pas directement la production, mais qui achète de l'ouvrage fait sur un marché économique (ex. : les soyeux lyonnais) ; un marchandeur qui embauche pour réaliser l'ouvrage et le vendre (ex. : les canuts lyonnais) ; et des travailleurs qui sont invisibilisés (seul le prix de vente de l'ouvrage fait est discuté, et leur interlocuteur ‒ le patron du canut ‒ est soumis au capitaliste donneur d'ordre). Ça ressemble à la sous-traitance classique et bien actuelle, non ? J'y arrive.
Friot lie l'interdiction du marchandage (toujours en vigueur, comme celle du prêt lucratif de main d'œuvre), et donc l'apparition de l'employeur, à une conquête de la CGT et au premier code du travail de 1910, mais elle semble apparaître un demi-siècle plus tôt (certes dans une fièvre ouvrière révolutionnaire)… Pour Friot, elle permet la convergence des ouvriers, des employés, des ingénieurs, etc., autour d'un ennemi commun, le capitaliste-employeur, alors qu'avant, ces différents "corps" de métier n'entretenaient quasi aucune relation.
Habituellement, le salariat est défini comme l'une des institutions du capital par laquelle un travailleur met ses capacités de travail concret au service de la bourgeoisie qui en tire valeur. Le droit le définit comme l'échange d'une subordination contre une rémunération. À l'inverse, pour Friot, le contrat de travail et le salariat sont des avancées communistes qui protègent les travailleurs et qui ennuient les capitalistes. Le statut de salarié est supérieur à celui de l'indépendance (y compris les auto-entrepreneurs derrière Uber) qui était le rêve libéral initial (petits commerçants libres sur le marché). Exemple : un agriculteur s'endette avant de commencer à travailler, il a un nombre limité de fournisseurs (Bayer) et de clients (Lactalis), et il ne décide de rien (prix, quoi produire, comment produire). N'est-il pas plus subordonné aux capitalistes qu'un salarié ?
Pour Friot, la bourgeoisie n'a jamais voulu devenir employeur, elle veut acheter sur le marché des biens et des services, au-dessus des contraintes, et elle ne veut pas engluer son capital dans une production afin de rester en capacité de l'investir dans toutes les opportunités de ponctionner du profit qui se présentent. Seule la frange basse des capitalistes, dominée, se résigne à employer, tel le paternalisme patronal à la cambrousse au 19e siècle car il fallait fidéliser le peu de main d'œuvre stable disponible. Mouais… D'autres sociologues, comme Dominique Glaymann, pensent que c'est l'insécurité sociale, c'est-à-dire une contrainte sociale, qui a forcé les capitalistes à salarier, pas une lutte sociale, cf. putting out system et workhouse. Friot contre-argumente qu'Uber & co, Lactalis & co, le recours aux auto-entrepreneurs dans le BTP, etc. sont des illustrations modernes que le capital veut organiser le travail sans être employeur. Glaymann rétorque que c'est minoritaire (le salariat est majoritaire) et que l'intention (versus une réponse à une contrainte) n'est pas évidente.
Pour Friot, un emploi est un travail soumis au code du travail (horaires, santé, syndicalisme, etc.) rémunéré avec un salaire à la qualification du poste (cf. la section suivante) et pour lequel des cotisations sociales sont versées pour une poursuite du salaire même si l'employé devient privé d'emploi (peu importe le motif : maladie, accident, chômage, retraite, etc.). En dessous, on est dans l'infra-emploi. Je rappelle que des lois régissaient le travail plus tôt que Friot le laisse entendre : interdiction du travail des enfants dès 1840-1841 (sénateur Dupin), réduction du volume horaire journalier dès 1841 (rapport Villermé), etc.
La sous-traitance moderne (« se focaliser sur le cœur de métier ») couplée à la prévalence des négociations d'entreprise sur les négocations de branche (ordonnances Macron découlant de la loi 2018-217, etc.) tend à revenir à la situation du marchandage : l'interlocuteur des travailleurs, l'employeur, n'est pas vraiment celui qui organise la production (le donneur d'ordre), lui-même est soumis au capital, donc on l'autorise à prendre des mesures spécifiques à son entreprise, ce qui revient à invibiliser ses travailleurs, à les désolidarisés de ceux des autres entreprises (pas les mêmes règles, etc.).
Comme Glaymann, je doute : un agent de sécurité ou de nettoyage sous-traité, exemple pris par Friot, reste salarié et son employeur décide d'une bonne partie de son travail (il s'agit de la prestation vendue, elle est cadrée, contractualisée, etc.), mais, oui, il ne fait pas partie du projet entrepreneurial du client de son employeur (en même temps, sur des fonctions basiques…) ni de son collectif de travail. Friot n'explique pas en quoi le salarié d'un sous-traitant n'est pas dans l'emploi / salariat, à part que l'externalisation a entraîné une multiplication des conventions collectives qui octroient moins de droits que celles qui s'imposeraient sinon. (On pourrait rétorquer que rien ne justifiait une différence de droits entre le gardien d'une entreprise œuvrant dans le secteur d'activité X et celui œuvrant dans le secteur d'activité Y. Le problème n'est pas la multiplication des conventions collectives, mais le sabordage des droits.)
Au 19e siècle, le mot « salaire » n'existe pas dans la langue courante, c'est un mot savant. On parle alors de traitement (fonction publique), de solde (armée), de paye, etc. Marx définit alors le salaire comme le prix de la force de travail, c'est-à-dire une reconnaissance des besoins dont est porteur un travailleur pour, demain, continuer à effectuer une tâche.
Pour Friot, la rémunération capitaliste a été subvertie de trois façons : la convention collective, le salaire à la qualification personnelle dans la fonction publique, et le droit à carrière. C'est ce qui lui fait dire que le salaire est une subversion de l'abstraction capitaliste.
La convention collective apparaît en 1919. Elle est facultative : seules les entreprises qui en signent une doivent l'appliquer. À partir de 1936, elle est obligatoire (seules celles « étendues » par décret). Dans une branche d'activité, on classe les postes (pas encore les travailleurs) par niveau de qualification, c'est-à-dire en fonction de la valeur économique générée. Des travaux concrets (activité) très différents ‒ DRH, informaticien, comptable, etc. ‒ peuvent être qualifiés de manière identique s'ils produisent la même quantité de valeur économique. Il s'agit d'une abstraction comme « ETAM, position 2.2, coefficient 310 ». On est dans le travail abstrait. De même, pour Friot, la convention collective reconnaît le chômage, la maladie et la retraite sous forme d'un salaire indirect : la perception d'un salaire est décorrélée de l'activité réelle.
Je rappelle que toutes les conventions collectives ne définissent pas une grille de rémunération (mais seulement un minimum), et que le placement initial sur la grille ainsi que l'évolution dépendent totalement du bon vouloir de l'employeur. Le choix de la convention est également de son ressort, dans les limites fixées par la loi (en étant informaticien dans une société commerciale qui œuvrait uniquement dans l'informatique, je me suis vu appliquer la convention des ingénieurs et cadres de la métallurgie…). Friot relate qu'entre 1937 et 1950, il y avait une interdiction de négocier collectivement les salaires, c'était les ministres qui décidaient (ça sent le contexte de guerre, mais, comme d'hab, Friot y lit la riposte patronale). De nos jours, j'ai l'impression qu'il faut que l'État impulse les renégociations des conventions sans quoi rien n'advient (cf. celles dont le minimum est en dessous du SMIC, même si l'actualisation apporte rien puisque le SMIC s'applique, hiérarchie des normes, tout ça).
Je me méfie de cette abstraction : ne nous a-t-elle pas conduit à l'interchangeabilité ? À ce que des postes de travail soient occupés par des incompétents dans le domaine précis de celui-ci (c'est-à-dire ignorants des spécificités de leur activité concrète) ? Un informaticien peut-il être DRH au seul motif d'une même contribution à la production de valeur économique ?
Dans la fonction publique, le travailleur, nommé fonctionnaire, est payé en fonction de son grade et d'un échelon (ancienneté). (Ce n'est donc pas la fonction précise comme administrateur de systèmes et de réseaux informatiques qui est garantit ‒ au retour d'une mise en disponibilité, par ex. ‒, mais bien le grade, donc un informaticien peut se retrouver DRH ou archiviste ou…) La qualification du poste est devenue une qualification du travailleur. Le positionnement et l'avancement dans la grille des salaires (à l'ancienneté) sont automatiques, l'administration employeuse ne peut rien y redire (il y a tout de même de nombreuses règles pour la reprise de l'ancienneté antérieure dans le privé, par ex.). C'est pour ça qu'il n'y a pas de chômage dans la fonction publique (les fonctionnaires n'y cotisent pas). C'est aussi pour ça que la pension de retraite d'un fonctionnaire est calculée sur ses 6 derniers mois d'activité : il conserve sa qualification au-delà de son emploi. C'est aussi pourquoi les fonctionnaires ont conservé leur traitement lors des confinements Covid sans recours au chômage partiel financé par la dette.
Je rappelle : il faut rester dans la fonction publique, et il est possible de se faire virer et donc priver de traitement en cas de faute très grave, donc la pertinence du terme « qualification personnelle » se discute… Sans compter les primes (on en trouve dès le début des années 70, le RIFSEEP à partir de 2014, etc.) et l'évaluation annuelle… Le premier statut de la fonction publique a été proposé en 1906 par le socialiste indépendant et ministre René Viviani. Il a été refusé par les associations de fonctionnaires (le syndicalisme était interdit dans la fonction publique en ce temps-là), et par la CGT (la fonction publique devait être un employeur comme un autre, relation contractuelle, etc. avant de rejoindre, dans les années 1920, l'idée d'un statut et d'une qualification de la personne).
Un dispositif semblable à celui de la fonction publique existe pour les employés à statuts (cheminots, RATP, France Télécom, électriciens-gaziers, etc.). Celui des électriciens-gaziers a été créé en 1946. Celui des cheminots en 1920 (la SNCF naît en 1937, avant, le service était rendu par 5 sociétés privées).
Dans les branches où le syndicalisme a été le plus vigoureux, il existe un droit à carrière : en cas de changement d'entreprise en restant dans la branche, un poste au moins aussi qualifié, et donc un salaire au moins égal à l'ancien, est assuré. Friot considère qu'il s'agit d'une qualification personnelle indirecte. (Mouais…)
Aujourd'hui, selon Friot, des personnes ont une lecture religieuse fidèle à la lettre de Marx et continuent de voir dans le salaire et le salariat des instruments de subordination au capital. Marx historicise les concepts, donc persister à affirmer que le salaire est une rémunération capitaliste (à la tâche, etc.) et que le salariat de la convention collective, de la fonction publique et des salariés à statut, demeure un rapport social constitutif du capitalisme n'a pas de sens, on a dépassé cela. (Mouais…)
La vitrine de Friot pour illustrer le déjà-là communisme est le régime général de Sécurité Sociale qu'il a longuement étudié (thèse doctorale pendant 18 ans).
Entre 1880 et 1945, il existait une multitude de caisses patronales (tantôt Friot en dénombre 1200-1300, tantôt 2000) dites assurances sociales (le terme date de 1920).
Les allocations familiales patronales existent depuis la fin du 19e siècle sous la forme d'un sursalaire familial (solidarité libérale). De 4 % (minimum légal) à 17 % du salaire brut. Utilisé par les patrons pour concentrer la rémunération sur les chargés de famille, d'où sa dénonciation par la CGT. En effet, lors des sentences arbitrales durant un conflit social (ex. : les grèves de 1936), la moitié de la hausse de salaire réclamée par les ouvriers l'était sous forme d'une hausse de la cotisation patronale aux allocs familiales. Ce qui explique un foisonnement de taux différents. En 1945, les allocs familiales représentent la moitié des prestations. Dès la loi de 1932, elles deviennent obligatoires pour tous les salariés puis, par natalisme, pour toute la population en 1939 (source).
Dès 1898, des contrats de groupe sont proposés par des compagnies d'assurance pour les accidents du travail et les maladies professionnelles.
En 1850, la caisse nationale des retraites est crée auprès de la caisse des dépôts (pas encore sous ce nom exact). Capitalisation. Rendement : 5 % (pas d'inflation structurelle à l'époque, donc c'est conséquent). Ça échoue. Elle est rendue obligatoire en 1910… mais la loi est invalidée en 1911. Elle revient dans la loi de 1928 sur les assurances sociales (en discussion dès 1920) qui mélange allocs familiales et retraites. En 1941, Vichy, avec René Belin, ex-dirigeant de la CGT, comme secrétaire d'État au taff, supprime la cotisation retraite de 1928 et introduit la répartition pour permettre la retraite immédiate pour 1,5 millions de personnes (seul 1/3 d'entre eux avaient cotisé à ce régime) afin de faciliter l'accès des jeunes au marché du taff dans le contexte de l'effondrement économique. Les pensions ont été payées avec les réserves générées par la capitalisation (qui avait donc était fructueuse ;) ). Les réserves ont été consommées dans l'année (estimation de Vichy : ça tenait 7 ans), d'où la cotisation sociale de 4 % introduite en 1945. (Source.) Pour que le rendement du placement des cotisations soit égal au montant annuel des cotisations, il faut environ 40 ans (maturation statistique du régime). De cet historique, le patronat a bien compris que la capitalisation ne peut pas fonctionner. Elle représente 3 % en France, 10 % en moyenne dans l'OCDE, environ 50 % en Suisse (seule exception). (Contrairement à ce qu'on lit partout, Friot déclare que les fonds de pension (ricains, par ex.) fonctionnent par répartition… alors qu'ils placent de l'argent, les revenus peuvent être proportionnés à la "mise" individuelle et aux placements choisis… Bref, je ne pige pas.)
Vu l'existant, ce qui compte pour Friot, c'est le régime général de Sécu qui est, à ses yeux, une subversion communiste de la sécurité sociale patronale capitaliste. Le changement ? Gestion ouvrière aux 3/4, régime unique, et unicité interprofessionnelle du taux de cotisation (qui permet une socialisation ‒ mutualisation ‒ et une homogénéisation des différents statuts antérieurs, nés des différentes caisses, afin de constituer un outil de classe).
En passant, Friot s'oppose au mythe fondateur : programme du CNR, union des communistes au gaullisme (De Gaulle était contre le régime général de la Sécu et il a démissionné en 46 car il ne supportait pas les cocos ni la république parlementaire voulue par la coalition au pouvoir, le MRP et la SFIO s'opposaient à tout, y compris au statut des électriciens-gaziers), PCF à 30 %, CGT à 5 millions de syndiqués (embourbée dans un conflit interne entre les ex-CGTU, unitaires et cocos, et les ex-confédérés qui, en 1947 et 1948, scissionneront en Force Ouvrière et en Fédération de l'Éducation nationale ‒ FEN ‒, future UNSA), cocos vainqueurs de la guerre, patronat déconsidéré (alors que, pour Friot, on a nationalisé Renault pour ne rien nationaliser d'autre), la misère de la guerre avait produit des circonstances favorables, etc.
Le régime général de Sécu et la hausse de la cotisation maladie (8 % du salaire brut en 1945, 16 % en 1979) permet de financer la modernisation de l'hôpital sans appel aux capitaux privés, en complément à des prêts publics (CDC + circuit du Trésor / de Bloch-Lainé), et de produire du soin conventionné. Le conventionnement a fait entrer les soins dans la valeur économique (10 % du PIB), qui, jusqu'alors, n'étaient pas comptabilisés (ils étaient assurés par des bonnes sœurs, s'agissant de l'hosto). Le conventionnement, via la monnaie en nature, permet de conserver un marché économique (libre choix du patient, émulsion, etc.) tout en sortant les libéraux de son aléa (apport d'une clientèle solvable, il ne vit pas du bénéfice de son activité mais de la socialisation de la valeur de l'ensemble des libéraux) et en contenant les prix via la négociation (mouais…). Mouais… Le médecin libéral est quand même payé à la tâche (consultation, etc.), donc bon, la logique coco…
En août 1946, pour Friot, les allocations familiales sont conçues comme un salaire en dehors de l'emploi. Les parents deviennent titulaires d'un salaire équivalent à 225 heures par mois d'un ouvrier spécialisé de la métallurgie (c'est un volume horaire, pas un montant fixe, donc ce dernier augmente en même temps que le salaire de référence).
De même, pour Friot, les retraites sont conçues comme la poursuite d'un salaire (> 80 % du meilleur salaire brut), peu importe la durée de cotisation, ce n'est pas une contrepartie, c'est la personne qui est qualifiée. Pour Friot, un retraité n'est pas un ancien travailleur (mais un travailleur). Actuellement, 3/4 des pensions sont calculées en fonction du salaire, pas des cotisations versées (d'où l'exaspération de Friot face aux syndicalistes qui affirment l'inverse). La solidarité intergénérationnelle (différé de cotisation) arrivera dans les années 80. Mouais… Je rappelle que, dès 1928, la durée de cotisation pour la retraite était de 30 ans, sans compter l'âge légal de départ qui pré-existait, donc c'était déjà du "j'ai cotisé, j'ai droit", me semble-t-il.
Évidemment, le mouvement ouvrier n'obtient pas tout ce qu'il veut dans les ordonnances de 1945. La CGT revendiquait une Sécu unique sans État ni patrons. Si le régime est unique, il y a deux caisses par département, santé et vieillesse d'une part, et allocs familiales d'autre part. Les administrateurs de ces dernières sont composés de patrons pour 1/4 et de travailleurs indépendants et d'organisations familiales pour un autre quart, qui votent comme les patrons. La gestion ouvrière des autres caisses n'est qu'aux 3/4 et l'État garde la maîtrise des taux de cotisation et des prestations (« gestion ouvrière » dit-il…).
Dès les ordonnances de 45, l'assurance-maladie prévoit un reste à charge (le fameux ticket modérateur) de 20 % sur les médocs, hospitalisations, etc. que les mutuelles puis les assurances ont socialisé. En 2001, le Code de la Mutualité a été refondu pour être aligné sur celui des assurances. Dés lors, les mutuelles, elles aussi, ont proposé trouzemilles taux de cotisation et de remboursement (âge, étendue de la couverture, etc.). La complémentaire santé collective obligatoire de 2016 tend à cantonner la Sécu et à ouvrir le marché à la concurrence (transfert Sécu => privé).
De même, malgré la revendication du mouvement ouvrier, le chômage n'est pas intégré dans le régime général de 1945. Ça arrive avec la création de l'Unédic en 1958. Gestion paritaire. Pour Friot, l'Unédic octroie un salaire hors emploi, notamment à cause de bisbilles entre des administrations (la direction ministérielle du travail et de l'emploi voulait le monopole sur les questions de travail et d'emploi). Il n'y a pas de lien entre la durée du chômage et la durée de cotisation (il sera ajouté en 1984, sous forme de sous-régimes en fonction de la durée de cotisation, avant l'apparition du compte rechargeable, qui dit que le chômeur profitera d'un reliquat de ses cotisations passées inutilisées). Un chômeur perçoit 33 % de son salaire brut puis 57 % en 1979, inchangé depuis.
Enfin, dès 1947, le patronat, prétendument dans les choux, crée la complémentaire Agirc-Arrco basée sur une répartition capitaliste : compte personnel, points, durée de cotisation, etc.
Je rappelle que la gestion paritaire des caisses des assurances sociales existe depuis 1930. Si les élections des administrateurs aux caisses de 45/46 se sont déroulées dans les entreprise en 1947, ce n'était plus le cas en 1950, c'est très court. En 1967, ces élections ont été remplacées par une désignation par les syndicats. Friot relate lui-même que des administrateurs élus de la sécu dans les années 50-60 lui ont déclaré être devenus des technocrates, des gestionnaires de l'outil, de s'être coupés des salariés. Friot y lit une absence d'organisation des syndicats.
Mais Friot n'en démord pas : les retraites, le chômage, les allocs familiales, etc. sont une subversion communiste, un dépassement de la mise au travail capitaliste qui instituent que le travailleur n'est plus seulement quelqu'un en train de travailler, contrairement à un indépendant qui reste payé à la tâche.
Friot en fait un point central de sa pensée : une classe révolutionnaire a existé et existe.
Dès qu'on parle de classe sociale, on n'échappe pas au vocable de Marx. Une classe en soi est objectivement observable : position similaire dans le mode de production, expérience commune de l'organisation sociale, culture, conditions et modes de vie similaires, interactions entre les individus, etc. Une classe pour soi est une classe en soi dotée d'une conscience de classe : elle est consciente de former un tout cohérent (sentiment d'appartenance), d'avoir des intérêts communs à défendre collectivement, et de s'organiser pour ce faire (institutions et organisations représentatives, etc.).
Friot réfute vivement l'absence de classe révolutionnaire et l'existence de la seule classe bourgeoise. Il réfute la théorie de la régulation dont le postulat est que le capitalisme s'auto-régule et que tout est fonctionnel : advient ce que le capital veut, une crise est une opportunité, le capitalisme la digérera, etc. Même sort pour le capitalisme monopolistique d'État cher au PCF des années 70 qui veut que l'État soit une institution qui propose une reproduction élargie de la force de travail que chaque capitaliste pris indépendamment ne saurait assumer. Idem pour le capital automate de la théorie critique de la valeur qui veut que le capital (et la sur-valeur) est le sujet central, et qu'il échappe à tout contrôle social. Idem, enfin, pour le keynésianisme : le capital peut être bon, il faut juste le guider, avec l'État capitaliste que l'on aura rendu bon au préalable.
Friot dénonce la science économique critique qui fait le discours dont le capitalisme a besoin (il est tout-puissant, blablabla) tout en étant solidaire des victimes que celui-ci génère : il y a une contre-société ouvrière, des événements, des avancées, des reculs, des sécessions, etc., mais pas de classe sociale pour soi. Bonne carrière avec une bonne conscience. La CGT, le PCF, Attac, les intellectuels, etc. sont dans la défense de victimes.
Friot affirme que le mouvement syndical de 1946 (régime général de Sécu, statut de la fonction publique, salariés à statut, etc.) était révolutionnaire. Dire autre chose revient à leur retirer toute dignité. D'un autre côté, il affirme que mêmes les acteurs de 1946 ne font pas, sur le moment (en 46, donc), le bon récit de leur action… Sont-ils alors une classe pour soi ? Y a-t-il eu subversion coco ou est-ce une fable de Friot ? De plus, Keynes n'a-t-il pas plus inspiré le régime général de Sécu, la cotisation sociale, et son investissement dans l'appareil hospitalier, que les cocos ? Le régime général de Sécu n'est-il pas une émanation de la solidarité libérale dont le fordisme avait besoin ? Ne s'agit-il pas d'un compris social plutôt que d'une conquête communiste ? Friot réfute tout cela, y compris face à ses collègues chercheurs.
Pour Friot, une classe sociale opposée à la bourgeoisie existe en permanence. Elle se définit par la sécession des jeunes (y compris ceux fortement diplômés), par des cadres cyniques, par une volonté de pousser la démocratie partout, par les luttes pour des droits sociaux (LGBTQI+, etc.). Peu importe que les institutions (PCF, CGT) soient focalisées sur la défense de victimes (cf. les mots d'ordre des mouvements sociaux). L'absence d'unité politique et d'institutions macro-économiques représentatives sont sans incidence. Lordon concède que ce que Friot décrit peut se lire comme une classe sociale en soi. Dominique Glaymann n'est pas convaincu. Le même Friot déclare que la dissidence minoritaire ne dérange pas le capital (il utilisera le logiciel libre et la R&D générée par les dissidents)… Bref, c'est contradictoire, je trouve.
Pour Friot, il faut élargir les conquêtes passées (le déjà-là communiste) en enrichissant la citoyenneté de trois droits économiques (au sens des droits de la Déclaration de 1789) : salaire à la qualification personnelle, maîtrise de leur outil de travail par les travailleurs (c'est-à-dire auto-gestion, être propriétaire d'usage de l'outil de production, y compris les services publics qui doivent être désétatisés), et maîtrise démocratique des institutions du travail concret et abstrait (caisses de salaire, caisses d'investissement, marché, jury de qualification, etc.).
Objectifs : terminer la conquête sur le travail abstrait (élargissement du salaire à la qualification personnelle à tous les citoyens) et initier celle sur le travail concret : décider de ce qui est produit (ou ce qu'on s'interdit de produire), où, comment, avec qui, etc.
(Afin d'éviter les trolls marxistes sur le terme « salaire », Lordon le nomme « garantie économique générale » ou « salaire communiste ».)
Au début, je pensais que « reconnaissance de la capacité à produire de la valeur économique quoi qu'une personne fasse », signifie que toute activité produit de la valeur économique. Je pensais aux tâches domestiques ou de soins aux enfants / aux proches (qui limitent les maladies, le dépérissement, etc.), et, dans une moindre mesure à la culture genre lire, écrire, etc. (investissement dans le « capital humain »). Je pensais que le salaire (à la qualif perso) rétribue un niveau de réflexion. Exemple : les informaticiens sont souvent appelés à l'aide pour réparer tout un tas de bidules au motif qu'ils auraient la logique, le raisonnement, l'esprit formaté pour ce faire (un peu comme une personne maline, qui détourne astucieusement et créativement les contraintes, l'est en permanence).
Mais Friot invalide cette hypothèse dans plusieurs entretiens. Dans l'un, il dit qu'une personne peut ne pas avoir envie de valoriser économiquement l'une de ses activités (cuisiner pour le plaisir un repas entre amis ou garder des enfants, par ex.), et que ça doit être possible. Dans un autre, il déclare que, quand un économiste lui demande quelle valeur éco produit un retraité (puisque Friot dit qu'ils travaillent), il répond que la question est absurde : que produit un malade ? Un fou ? Et un mourant ? Pourtant, le malade bénéficie d'une poursuite de son salaire (à travers le régime général de Sécu). Il faut donc comprendre « reconnaissance » et « capacité » au sens propre : une personne peut produire de la valeur ou non, marchande ou non, comme un capitaliste, en somme (toutes ses activités et ses placements financiers ne sont pas des investissements productifs, genre spéculation). Cette capacité est matérialisée dans un droit politique. Friot parle aussi d'obligation (informelle) de produire de la valeur. C'est là que le signifiant « communiste » prend son sens : unité des individus quoi qu'ils fassent.
Ce salaire serait payé par la valeur que l'on produit globalement (Friot réfléchit toujours en macro-économie). Actuellement, le revenu disponible des ménages, c'est-à-dire les revenus + les prestations sociales - les impôts est de 1 500 milliards d'euros. Si on le divise par 50 millions d'individus de plus de 18 ans, ça fait 30 k€/an. (On ne dépendrait pas plus de la fluctuation de la production éco qu'aujourd'hui.)
Pour encadrer la violence découlant de nos désirs (des humains désirent plus que d'autres, valorisent plus fortement leur contribution, veulent une plus grande part du gâteau, etc.), pour assumer le travail dont la société a impérativement besoin, et pour motiver, Friot propose une échelle des salaires de 1 à 3, avec un échelon minimal et automatique à 1 700 € (SMIC actuel), et un échelon maximal à 5 000 €. (On notera que ça va à l'encontre de l'unité communiste qu'il recherche, il en est conscient, c'est du pragmatisme.) Le travail spécialisé nécessite d'être exécuté par ceux qui savent y faire, c'est une sujétion spéciale d'intérêt collectif qui doit être compensée par une plus haute rémunération. Idem pour le travail de nuit (d'un chirurgien, d'une infirmière, etc.) et/ou dans des industries qui doivent tourner H24. Inversement, quelqu'un qui exerce l'activité qu'il désire sans fortes contraintes (ex. : Lordon est chercheur par passion, ça lui correspond), doit être au plus bas niveau de l'échelle. Pour les tâches indispensables et qui ne requièrent pas de qualification (caissière, éboueur, etc.), Lordon propose qu'elles soient assumées à tour de rôle par l'ensemble de la population. Lordon assume plus que Friot qu'il restera de la contrainte car le libre désir individuel ne coïncidera pas forcément avec les impératifs de la survie matérielle. Conséquence : le salaire à la qualif perso n'est que partiellement inconditionnel.
Pour changer d'échelon, il faudra se présenter devant un jury, similaire à ceux de la fonction publique ou de la VAE. Ces jurys devront être composés de personnes étrangères au demandeur (pour éviter les abus, comme c'était le cas autrefois dans la fonction publique), membres de la profession (pour comprendre de quoi il retourne) ou non (pour prendre de la hauteur : un individu qui œuvre dans le transport par rail doit être confronté à un évaluateur qui œuvre dans le transport fluvial afin de s'assurer que le transport par rail va dans le sens de l'intérêt collectif).
En découplant les moyens d'existence matérielle des individus de leur contribution économique, je trouve que le salaire à la qualif perso résout un tas de problème : les bullshit jobs, la souffrance au travail, la défense jusqu'à l'absurde des emplois (cf. fermeture parfois légitime d'une usine), la non-reconnaissance du travail domestique ou celui des fonctionnaires, le prétendu chômage des jeunes, le chômage artificiel des seniors né de leur rejet par les employeurs, les retraites, le chômage, l'insécurité du travail indépendant, l'infra-emploi (intérim, contrat de mission / projet / chantier, service civique, contrat solidarité, stage, afin de contourner la convention collective, y compris sur le salaire ou la privation de chômage pendant une crise sanitaire), prestations sociales, etc.
Je disgresse. Le chômage spécifique des jeunes est une confusion entretenue entre le taux de chômage (chômeurs / actifs), 25 %, comme pour tous les emplois non qualifiés, et le poids du chômage (chômeurs / population de référence), 8,5 %, comme dans les autres populations. On a prétendu qu'un jeune sur quatre est chômeur (ce qui serait le poids du chômage) alors que c'est un jeune actif sur quatre (taux de chômage) qui est au chômage. 70 % des jeunes sont à l'école (inactifs), 30 % sont actifs. C'est le quart de 30 % qui est au chômage.
Ce mensonge est entretenu depuis la fin des années 70 : 1977 = plan en faveur de l'emploi des jeunes de Raymond Barre ; 1983-84 = TUC et SIVP (stage d’insertion à la vie professionnelle) ; 1990 = Contrat emploi solidarité de Michel Rocard ; 1997 = Nouveaux services-emplois jeunes (Emplois-jeunes) de la gauche plurielle ; aujourd'hui = services civiques & co. On a inventé de nulle part l'insertion professionnelle : entre 18 et 35 ans (certains des contrats cités avaient une durée de 5 ans et pouvaient être signés la veille des 30 ans), on n'est pas encore dans l'emploi, on est dans l'infra-emploi (à la tâche, pas de convention collective, etc.), tout comme les retraités sont après l'emploi. Conséquence : on invente des ersatz d'activité pour les jeunes et des activités pour lutter contre le vieillissement (rapport Averting the old age crisis de la Banque mondiale) et en faveur de la socialisation des vieux… Être débutant n'est pas une explication à l'insertion : ils ont toujours existé, seule la période de galère a été ajoutée, telle un formatage à la flexibilité sans sécurité. L'insertion génère à tort l'idée que le travail est exogène à l'humain (il doit être contraint à s'y insérer).
Pour les travailleurs indépendants (y compris les auto-entrepreneurs, y compris pour Uber & co), Friot est clair : il ne s'agit pas de les transformer en emploi, il défend la liberté (ne pas vouloir du même emploi à vie comme papa, limiter les contraintes, etc.) couplée à une sécurité en ce qui concerne la subsistance. S'il faut se battre sur le terrain pour la salarisation des exploités par Uber & co, ce n'est pas la stratégie macro à adopter, il faut aller au-delà de l'emploi, obtenir le salaire à la qualif perso pour tous.
Par un calcul tordu, Friot arrive à la conclusion que 1/3 des Français de + de 18 ans (17 millions) perçoit peu ou prou ce qui ressemble à une sortie du salarié du chantage à l'emploi mené par les capitalistes : fonctionnaires + retraités (3/4 ont une pension qui poursuit leur salaire et qui en représente entre 80 % et 100 %) + les salariés à statut + les salariés relevant du droit à carrière.
Dans le système de Friot, les entreprises ne versent pas les salaires en direct, mais à une caisse de salaire (il en existera plusieurs), qui, elles, mutualisent (Friot dit « socialisent ») et payent les salaires à la qualif perso de tout le monde.
L'objection la plus courante est que les gens ne feront rien si l'on ne les y force pas. En sus de l'échelle des salaires, Lordon croit que les désirs de faire (telle invention, telle pratique, etc.), de reconnaissance (un artiste cherche son public, un chercheur veut être reconnu, etc.), de différenciation (donc d'émulsion) mettront les gens au taff, mais sans chantage à la subsistance matérielle. J'ajoute que j'ai jamais vu quelqu'un ne rien faire sur une longue période, y compris des étudiants qui sèchent massivement les cours : l'ennui frappe.
Une autre objection courante est que, lors de l'introduction du salaire à la qualif' perso, il faudra produire plus sinon il y aura inflation suite à l'émission de cette nouvelle monnaie accessible à des personnes qui en étaient exclues (des jeunes de 18 ans et des revenus < l'échelon minimum de l'échelle des salaires). C'est vrai, mais produire plus de valeur ne veut pas dire produire plus de richesse (de bidules) et n'est pas un synonyme de productivité ni de croissance, cf. la section définitions. De plus, la mise en place sera in fine progressive (à l'image du régime général de Sécu qui a été façonné durant des décennies), ce qui permettra à la production de suivre l'émission de monnaie.
Le revenu de base n'est pas l'équivalent du salaire à la qualif perso. Le revenu de base, c'est comme le RMI, le RSA, les chèques énergies, etc. : de la solidarité qui reconnaît seulement nos besoins, pas notre capacité à produire de la valeur éco. Le revenu de base ne retire pas son monopole sur la valeur à la bourgeoisie (elle décidera toujours de ce qui vaut ou non, de qui produit ou non, comment, etc.). Le statut anthropologique des travailleurs demeure inchangé (pour dépasser la féodalité, la bourgeoisie à changer ce statut pour le faire passer à celui d'individu libre sur un marché éco). Le revenu de base est une roue de secours pour contrecarrer les conséquences de l'élimination du travail vivant qui est un des mécanismes fondamentaux du capitalisme. Il s'agit d'acheter la paix sociale.
Un travail, c'est au-delà d'une activité. Un restaurant, ce n'est pas juste préparer à manger comme à la maison, faire la plonge comme à la maison, dresser des tables comme à la maison, etc. En sus du ressenti et de l'intuition, il faut aussi une méthodologie, une organisation, de la coordination (exemple de l'obélisque de Louxor par Proudhon : 100 hommes peuvent l'ériger en un jour, mais 1 homme en 100 jours n'y parviendra pas), de la gestion de désaccords, de la réflexion, etc. De même qu'il y a un monde entre pisser du code informatique à l'adolescence et un programmeur.
Dans la lignée, aucune société humaine ne produit par addition de travail concret. Un système éducatif, ce n'est pas uniquement la somme de scolarisations à domicile. Idem pour le logement (il ne suffit pas de construire tel habitât ici ou là). Une partie des ressources est dédiée à un rapport réflexif à la nature et au travail. Il faut de l'abstraction, de la recherche scientifique, de la technique, de l'organisation, une certaine qualité de la production, une inscription dans un contexte macro-économique (ouvrir une 10e boulangerie dans un petit quartier, c'est inefficace ; il faut disposer des intrants / consommations intermédiaires nécessaires, donc veiller à ce que quelqu'un les produise ; etc.), etc. Il faut aller au-delà des activités sensibles de l'ici et maintenant (travail minutieux, à l'oreille, bien faire les choses, méthodo à l'ancienne, etc.). Le béton, c'est peut-être moche, car c'est abstrait, ça ne tient pas compte des spécificités locales (= sensible, ici et maintenant), mais ça permet de loger un grand nombre de personnes (temps de construction, coût, mobilisation optimale des ressources et du travail, etc.) en étant "rentable" (pas au sens de créer de la valeur éco pour créer de la valeur, mais dans celui de nourrir des travailleurs).
Notamment, la division horizontale et sociale du travail est nécessaire. Il y a des activités nécessaires aux besoins matériels de la société qui, de fait, doivent être tenues, par les gens qui disposent des compétences adéquates. Il y a des dépendances, personne ne peut couvrir l'intégralité de ses besoins. Tout système productif doit produire sa production mais aussi les moyens de produire la production. Lors d'une causerie dans le milieu anarco-autonomiste, Lordon rappelle que pour construire une cabane de ZAD, il faut des outils et des intrants (scie, clous, etc.), que la ZAD est incapable de produire. Pour produire des clous, il faut du minerai (dont l'extraction nécessite plus que des branchages), une aciérie (donc de l'énergie), etc. Pour produire le moindre objet, il faut toute l'histoire du capitalisme, pas juste le présent, mais toute l'accumulation de la technique, de l'industrie, etc. Un rieur donne raison à Lordon en déclarant que la scie et les clous se chopent très bien chez Castorama… Terrible aveu d'une dépendance au capitalisme (et c'est logique : la désertion laisse intacte ce qu'elle quitte, ici le capitalisme). Il faut coordonner les activités à différentes échelles géographiques : une énième aciérie à tel endroit n'aura aucune utilité et les ressources seront mieux utilisées par une autre activité ; telle infrastructure (énergie, transport, télécommunications, etc.) entre en conflit avec telle autre déployée ici (construire une énième usine à charbon ici ruine l'effort nucléaire, par ex.) et/ou n'est pas interopérable avec ce qui a déjà été mis en service ; Etc. C'est en partie par des carences dans le pilotage de la division du taff que l'URSS a bousillé son territoire. Idem pour la Chine de Mao (en sus des famines).
L'objection la plus commune consiste à affirmer qu'il suffit de réduire le confort et/ou de produire autrement (exemple fictif : pas besoin de clou pour une cabane si on la construit comme ci ou ça). D'une part, les humains n'accepteront de réduire la voilure que jusqu'à un certain niveau : pas d'iPhone tous les deux ans, d'accord, pas d'eau chaude pour la douche, pas d'accord. D'autre part, ce minimum de confort et d'outillage nécessiterait quand même une division du travail.
Ainsi, le communisme ne pourra pas être une ZAD géante ni un réseau de ZAD interconnectées / fédérées. De même, une société humaine sans travail, sans valeur éco, sans État, sans monnaie semble illusoire et régressive. Que la valeur, la science, l'organisation, etc. servent au pire dans le capitalisme (produire du profit capté par quelques-uns) ne doit pas mener à leur abandon. Si l'État actuel est un État bourgeois au service des intérêts bourgeois, il est possible de le subvertir ou de le remplacer fonctionnellement par une entité qui assurera autrement une partie des fonctions actuelles ou d'autres fonctions, qui aura une autre hiérarchie territoriale et d'autres formes d'exercice du pouvoir. Idem avec l'économie : il s'agit d'organiser la reproduction matérielle des humains et les rapports sociaux pour l'atteindre. D'autres formes d'économies sont possibles, il n'y a pas que l'économie néolibérale.
Bref, pour Friot et Lordon, il faut des institutions politiques macro-sociales et macro-économiques (qui englobe toute la société, quoi), c'est-à-dire des dispositifs de médiation pour piloter la division du travail, pour accommoder / concilier / fluidifier les incontournables violences du désir humain, pour réguler et coordonner, etc. Il faut plusieurs niveaux territoriaux les plus autonomes possibles articulés en fédérations, car certains choix, énergie, transports, etc. ne concernent pas la même population que d'autres et ne requièrent pas la même cohérence, telle une boulangerie de quartier.
Évidemment, les institutions communistes seront différentes de celles que nous connaissons. Les ZAD ont des institutions différentes, ne serait-ce que pour la délibération. Seuls des groupes de petite taille et/ou très homogènes (caractère, objectifs, désirs, etc.) peuvent se passer d'institutions (les cisterciens s'échangeaient du blé, etc., mais ça n'en fait pas une société, plutôt une communauté homogène ; Lordon mentionne aussi le Rojava et le Chiapas dont le contexte économique, géographique et politique particulier peut conduire à une homogénéité des désirs et des objectifs), et encore… Même un club de pétanque a des institutions (comment on distribue les boules, comment on organise les tournois, qui verrouille le local, etc.).
Bien sûr que les institutions sont dangereuses car elles sont des lieux de capture des désirs, des puissances d'agir et de détournement du pouvoir (capacité à faire quelque chose). Il faut les surveiller (= en prendre soin) constamment. Seule l'adhésion passionnelle fait tenir une institution (c'est le seul point d'accord de Friot-Lordon avec le courant de pensée de la destitution).
Évidemment, des doutes demeurent : une institutionnalisation qui intervient dans un contexte révolutionnaire hostile peut-elle donner jour à des institutions qui subliment les passions humaines ou, comme pour la France, cela donne forcément des institutions sécuritaires, paranos, de surveillance ? Certains (Agamben, Comité invisible, etc.) penchent pour la deuxième option (d'où il ne faut jamais institutionnaliser), d'autres oui (Gelderloos).
Mais le choix est restreint : à l'anthropologie de l'humain Bon (l'Homme est un dieu pour l'Homme) de la gauche radicale s'oppose celle de l'humain Mauvais (l'Homme est un loup pour l'Homme) des libéraux-conservateurs-réacts (d'où il faut contraindre les humains pour les mettre au travail). Et si, comme le pensait, entre autres, Spinoza et Socrate, l'Homme était un loup ou un dieu pour l'Homme ? Si c'était la forme institutionnelle anthropologique (manière d'être un humain) qui comptait ? L'homme est naturellement bon, c'est la société qui le corrompt, écrivit Rousseau.
Face au mur anthropologique (souffrance au travail, perte de sens, etc.) et écologique d'une production de valeur éco pour produire et accumuler entre quelques mains de la valeur éco (croissance infinie), il faut reprendre la main sur le travail concret (que faut-il produire ? Où ? Comment ? Que faut-il s'interdire de produire ? Etc). C'est une carence du mouvement ouvrier, qui s'est focalisé sur la maîtrise du travail abstrait (reconnaissance des travailleurs comme producteurs de valeur éco). L'exemple récurrent de Friot sont les travailleurs des marchands d'armes qui tractent toute leur vie que leur production devrait fournir uniquement la défense nationale avant de retourner docilement produire les armes qui seront vendues aux dictatures de la planète. De même, pour Friot, un taff aliéné génère des loisirs (un hors-travail) aliéné (ex. : consommer, l'un des affects joyeux insuflé par la bourgeoisie pour nous faire accepter notre condition).
Pour ce faire, Friot propose plusieurs types d'institutions.
J'ai déjà évoqué les caisses de salaire, qui collectent les salaires (en vrai, une part de la valeur ajoutée de chaque entreprise, comme les cotisations sociales actuelles), les socialisent (mutualisent, en langage Friot) et payent les salaires à la qualif perso en fonction de la position de chaque personne sur l'échelle des salaires. (Les jury de qualification, déjà évoqués ci-dessus, sont d'ailleurs une autre institution.)
Il y a les caisses d'investissement qui collectent une part de la valeur ajoutée des entreprises, la socialise, choisissent et financent les investissements à la place des mécanismes actuels comme le prêt. Une dette d'investissement n'a aucun sens : c'est le travail qui produit la valeur… Soit elle a été piqué aux travailleurs (profits passés, concentration entre peu de mains, etc.), soit elle leur sera piquée (remboursement d'un crédit). Attention : on parle des dettes d'investissement, pas de l'achat d'une TV à crédit par un particulier, par ex. (rappel : la seule condition pour créer de la monnaie sans inflation, c'est de créer de la valeur à hauteur de celle de la monnaie émise ‒ cf. théorie moderne de la monnaie sur des bases keynésiennes ‒). Pour Friot, la cotisation comme moteur de l'investissement est communiste puisqu'on n'est plus dans la logique "j'ai cotisé, j'ai droit par anticipation" du prêt (privé ou public) et qu'il y a décision démocratique de ce qui est financé (ce qui n'est pas le cas des banques ou des milliardaires qui flèchent leur impôt par des dons). Une avance pour investir génère, par le travail, plus de valeur, donc plus de cotisations l'année suivante, remboursant ainsi l'avance. Cf. la modernisation des hostos. Pour Lordon, ces caisses organisent la division du travail, donc elles doivent être fédérées hiérarchiquement (pour éviter de financer des projets récurrents ou contradictoires, cf. la section précédente). Dans un seul entretien, Friot expose que ces caisses devront aussi financer les frais de fonctionnement (hors salaires et investissements) des services publics gratuits (les soins ne sont pas gratuits, monnaie en nature, conventionnement, etc. ;) ).
Il y a le collectif propriétaire patrimonial de l'outil de production (local, machine-outil, etc.). Pour Friot, il doit être distinct du collectif des travailleurs (c'est à ce titre qu'il n'aime pas le modèle des SCOP qui mélange les deux), car ce dernier peut disparaître ou ne pas avoir le sens de l'intérêt commun ou du territoire : une personne engagée dans une démarche technologique ne voudra pas y renoncer, même si l'intérêt supérieur humain le commande (dérèglement climatique), par exemple. De même, il y aura des divergences d'appréciation sur l'utilité et l'enjeux d'une production sur un territoire. Dans plusieurs entretiens, Friot propose, sans explication, que les moyens de production soient détenus par une collectivité publique (plus ou moins locale en fonction de la production). Je pense que toute structure non-lucrative privée fera tout aussi bien l'affaire.
Il y a le collectif des travailleurs qui sera propriétaire d'usage des moyens de production, donc qui organisera démocratiquement sa production (auto-gestion). Friot a la naïveté de penser que la propagation de notre communisme français à l'international se fera par les filiales étrangères de sociétés françaises : quand on reprendra la maison-mère, on laissera les filiales aux pays, donc ils se mettront à l'auto-gestion (je résume)… … …
Encore une fois, Friot et Lordon sont opposés à la centralisation et à l'étatisation. Il devra y avoir plusieurs acteurs de chaque type, à différentes échelles (une boulangerie de quartier ne se décide ni ne se pilote au niveau national, alors qu'une politique énergétique…).
Il y aura un sain conflit démocratique naissant du débat entre tous ces acteurs aux intérêts divergents. Dès qu'il y a un collectif humain, il y a de la politique. Il faut s'accorder démocratiquement sur toute chose publique ou commune, c'est-à-dire que chacun doit exprimer sa souveraineté. Elle est interne à un collectif (comment produire ? Comment s'organiser ?) et externe (quelle direction doit prendre la division du travail ? Que doit-on produire ou non ? Quelles productions ne doivent souffrir d'aucun défaut d'approvisionnement ?). Pour éviter au maximum les dérives, Lordon propose, en sus du libre choix de ses caisses par chaque entreprise, une rotation des postes, des mandats révocables, etc. (ça encore, ça a déjà existé dans les communes italiennes du 12-13e siècle).
Pour Friot, la socialisation de la valeur est la clé. En 1945, le taux global des cotisations sécu était de 32 % du salaire brut. En 1980 : 65 %. Aucun changement depuis 40 ans. D'où la dette publique, les hostos qui laissent à désirer, les dividendes (ils remplacent la socialisation), etc. Réduire les impôts des entreprises ou les cotisations sociales (ou exonérer), c'est se mettre en difficulté dans le futur. (La démonstration laisse à désirer : il faudrait tenir compte de la démographie, des impôts type CGS et RDS, etc.). Pour rattraper, il faudrait doubler les cotisations sociales, soit 500 milliards d'euros. Vu la valeur ajoutée des entreprises, 1 400 milliards d'euros (aucun chiffre de l'INSEE ne correspond vraiment, on est entre 1 200 et 1 800 en fonction de ce que l'on compte, hors sociétés financières, mais soit), c'est impossible. En revanche, on pourrait ne pas rembourser une partie des dettes d'investissement (1 600 milliards d'euros) et affecter la somme (qui sortirait donc des sociétés) aux caisses d'investissement.
J'ai laissé de côté une institution : le marché économique. Car, pour Friot et Lordon, il doit perdurer. D'abord, car il est l'espace de réalisation des désirs individuels et collectifs de faire des choses et de les proposer à la validation sociale (donc de motiver les détenteurs d'un salaire à la qualif perso ;) ). Ensuite, car, comme l'échelle des salaires, il permet d'ordonner les désirs humains et évite à la fois les anthropologies enchantées comme « à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » (quels sont mes besoins ? Tous les humains n'ont pas la même puissance de désir… À quoi ai-je droit ? Comment je quantifie ? Les humains sont rarement capables de s'auto-restreindre…) et un contrôle administratif de la consommation ("t'as le droit à tant de pantalons par an, à une paire de lunettes tous les X années, etc.). Enfin, car il permet la créativité, l'inventivité & co au-delà de la sphère de la reproduction matérielle, ce que Lordon nomme le communisme luxueux / désirable. En effet, pour tout ce qui a trait à la reproduction matérielle, Friot et le réseau salariat qu'il anime prêchent pour une sécurité sociale de l'alimentation, du soin, de la culture, du logement (il n'y aura plus que des propriétaires d'usage ‒ comment puisque le logement d'un particulier, qui n'est pas un investissement car son usage ne produit aucune valeur éco ? mystère ‒, les locations ‒ hôtels, maisons de vacs, déplacement pro, etc. ‒ seront aussi divisées entre une entité propriétaire patrimoniale et un collectif de travailleurs qui produira le service), etc. Donc, que restera-t-il au marché ?
Lordon mentionne un marché « encadré » (sans détails) et Friot un marché conventionné (comme celui des soins, via la Sécu). Pour Friot, un marché conventionné permettrait de valoriser les productions des marginaux d'aujourd'hui qui fuient le capitalisme (logiciel libre, économie collaborative, R&D, etc.) et de prendre la main sur le travail concret (« on ne subventionnera pas Lactalis ou Sanofi », dit-il). Friot insiste : ce ne seront pas des individus qui seront conventionnés mais des types de production (afin de ne pas produire n'importe quoi). J'ai du mal à appréhender la limite entre un marché permettant l'expression des désirs, de l'inventivité, etc., qui suppose une liberté, et un contrôle des usages que Lordon estime inévitable face au dérèglement climatique (mamazon ne peut perdurer, etc. dit-il) Si l'on laisse un marché libre au-delà des biens et services nécessaires à la reproduction matérielle, on n'arrête pas le dérèglement climatique. Si l'on conventionne tout, on tue la liberté… Ce choix incombera aussi aux caisses d'investissement, car si un marché n'est pas conventionné, il me faudra décrocher une subvention (sauf si héritage ou épargne de mon salaire à la qualif perso ou financement participatif). À propos du conventionnement, Friot expose qu'une sécurité sociale de l'alimentation permet d'augmenter les salaires en monnaie en nature (grâce au conventionnement, précisément) et de plafonner le salaire à la qualif perso (l'excédent sera converti en monnaie en nature), tout en assurant à tout le monde sa subsistance matérielle.
Niveau démocratie, un point me questionne : Friot propose qu'à 50 ans, on devienne "inlicenciable" (tel un représentant du personnel dans le système actuel) et que l'on organise le travail concret (« s'occuper aux directions »). Seuls les vieux auraient des bonnes idées ? C'est quoi cette conception de la démocratie ? Friot fixe le seuil à 50 ans car c'est à partir de là qu'il devient difficile de retrouver un taff si l'on est viré. Mais… Le communisme proposé va résoudre ça, non ? Friot ajoute que la qualif du poste devient celle de la personne (100 % des 6 derniers mois, aucune pension inférieure au double du minimum de l'échelle des salaires afin de satisfaire une revendication de la CGT, doubler son salaire au cours de sa vie). Gné ? Friot propose-t-il cela à titre transitoire ? Car dans son communisme, il y a la qualif personnelle à vie, donc cette proposition n'a aucun intérêt. Dans une autre vidéo, il dit que les retraités travaillent (garde d'enfant, militance, etc.) mais qu'aucune transaction éco marque cela, ce qui rend invisible leur travail. Il propose alors d'envoyer les retraités bosser (uniquement dans les coopératives ou équivalent, pas chez les capitalistes). L'entité versera l'équivalent de son salaire à une caisse (alors que le retraité percevra sa retraite habituelle depuis sa caisse habituelle), donc on verra qu'il a produit de la valeur. C'est tiré par les cheveux. Bref, j'ai rien compris, c'est alambiqué au possible.
Niveau économique, un autre point me questionne : actuellement, les prix sont fixés, entre autres, en additionnant les coûts (consos intermédiaires, salaires, investissement, etc.). Dans le communisme de Friot, les salaires et l'investissement sont des cotisations sociales. Dès lors, comment calculer les prix ? Comme d'hab, chez Hors-Série Friot raisonne en macro-économie (les caisses mutualisent, y compris entre elles, tout ça) :
Ce taux serait contraignant, la seule marge de manœuvre d'une entreprise serait de réduire ses consommations intermédiaires (il n'est plus possible de couper dans la masse salariale ni dans l'investissement), donc produire moins (quantité) ou produire moins bien (qualité). Mais comme la survie des travailleurs ne dépend pas du volume de l'activité (qui peut même disparaître), ça passe. À mes yeux, l'équilibre macroscopique entre la valeur produite et les salaires à la qualif perso à verser reste à trouver entre ceux qui choisiront de ne pas valoriser leur activité temporairement (ex. : R&D), ceux qui assumeront un mandat politique, ceux qui élèveront leurs enfants, etc., et il est complexe si l'on doit attendre le calcul du PIB & co l'année suivante (d'autant que le PIB est affiné au bout de 3 ans actuellement).
D'abord, qu'est-ce qui pourrait motiver à changer de système économique ? Ben oui, il faut contourner l'appréhension (c'est nouveau, inconnu, ça fait peur, il faut vérifier qu'on y trouve son compte, l'expérience peut péter au visage, etc.), la proposition de Friot-Lordon est compliquée à comprendre, il y a encore des inconnues, et il faudra changer nos habitudes (démocratie partout donc responsabilité partout, par exemple).
Friot pense que la maîtrise de l'outil de travail (propriété d'usage) et celle du travail (via les institutions) ainsi que la passion pour un domaine seront des stimulants.
Lordon confirme et ajoute les affects joyeux suivants : se libérer du marché et d'un employeur (maltraitance, abus, micro-tyrannie, etc.), faire mieux / convenablement le travail, fin de l'angoisse du lendemain, fin de tout un tas de problèmes, exercice d'une souveraineté collective (exercice d'une puissance personnelle dans la langue de Spinoza), de là éviter le désastre climatique et anthropologique (décider de ne pas esquinter l'humanité et la nature plutôt que de réparer / corriger en permanence), contribuer à une idée historique, etc.
Lordon dit aussi des idioties : l'IRM diagnostique le cancer contracté à cause du capitalisme, donc il faut aussi voir les tares et les besoins que nous n'aurons plus. Mouais… Il y aura toujours des cancers. Peut-être moins, d'accord. Mais il faudra toujours des IRM et de la médecine de pointe. Peut-être pas en même quantité, mais quand même. De même, je suis sceptique sur une baisse de la pollution de l'eau et des sols (ex. cuivre comme pesticide naturel dans les vignes bio…). Je veux dire par là qu'il y aura toujours des compromis à réaliser : on dégradera la nature, mais moins, c'est tout. Seule la réduction du stress (survie, factures, etc.) me convainc.
Pour Lordon, les ZAD, les SCOP, les AMAP, etc. sont précieuses car elles développent, affinent et préparent l'habitus communiste (ensemble de pratiques usuelles, imaginaire, valeurs, branchements pulsionnels, etc.).
Pour Friot, le communisme est au présent, tout ce qui sort de la logique capitaliste (travail à la tâche, prêt, "j'ai cotisé, j'ai droit", etc.) est communiste. Il y a un déjà-là à poursuivre. Il ne faut pas viser la prise du pouvoir d'État, qui fait très catho (protester, se consoler, attendre sans faire le taff), très social-démocratie de la fin du 19e (heu ? c'est l'idée centrale de Marx, et j'vois pas trop de lien) : d'abord on passe de l'autre côté (prise du pouvoir d'État), puis c'est le purgatoire (dictature du prolétariat / socialisme), puis c'est le paradis (communisme). Il faut d'abord conquérir des droits éco et des institutions coco de portée macro-sociale (à l'échelle de la société entière), y compris en subvertissant les institutions capitalistes. C'est le passé (passage de la féodalité au capitalisme, régime général de Sécu, fonction publique et salariés à statut, etc.) qui nous le montre. Comment fait-on ? Aucune idée.
Pour sa part, Lordon ne croit pas aux stratégies graduelles. Exemple : le communalisme de Murray Bookchin. On forme une enclave coco ici, puis ici, puis là, puis…, elles se mettent en réseau, recouvrent le territoire, et quand ça sera fait, pouf, le communisme aura vaincu. Même raisonnement avec des SCOP. Lordon lit ça aussi chez Friot : on augmente le taux des cotisations sociales, on détourne les cotisations, donc la valeur ajoutée, vers de nouvelles caisses, et pouf, le communisme sera implémenté quand les cotis' représenteront 100 % du salaire (de la valeur ajoutée moins, in fine, les consos intermédiaires et l'auto-financement, en vrai). Même raisonnement avec un gouvernement élu. Dans les trois cas, le capital visera sa persévérance, et lui et son État défendront l'ordre social en place, cf. les ZAD, l'expérience auto-gestionnaire de Lip (torpillée par un fléchage de la commande publique, d'après Lordon, mais ça a duré 6 mois et seule la dernière étape de la production, la vente et le SAV étaient assurées par les auto-gestionnaires donc bon…), et SYRIZA en Grèce (Tsípras s'est laissé dépouillé par le FMI, l'UE, etc., car il est arrivé au point de bifurcation en sachant qu'il n'avait pas le peuple derrière lui pour mettre en place la grande alternative au capitalisme). Pour Lordon, la bourgeoisie ne négocie plus, car elle a construit les institutions (mondialisation néolibérale, par ex.) lui permettant de détenir le pouvoir absolu. Pour Lordon, la phase des compromis sociaux, qui a propulsé la CFDT, est terminée. De même, les conditions externes (mauvaise conjoncture, perte, pénurie, etc.) subies par les SCOP & co les font aller mal humainement (ces initiatives ne durent jamais longtemps).
La seule solution pour Lordon est que la majorité de la masse, de la multitude, désire le communisme (on reconnaît ici Trotski, et Lordon ne s'en cache pas). Ça suppose une très longue maturation des esprits (pour rappel, Friot évalue à 5 siècles le passage au capitalisme depuis la féodalité) avant un événement révolutionnaire final (que Lordon nomme parfois pudiquement « franche explication avec le capital »).
Au final, Friot et Lordon veulent construire un point de bifurcation avec le capitalisme (Friot parle d'utiliser les débats sur le prétendu chômage des jeunes ou sur les retraites pour distiller leur communisme et conquérir des droits), mais Friot refuse d'avoir l'événement révolutionnaire en objectif : la baston viendra quand elle viendra, il faut d'abord opérer la mutation culturelle et celle du système économique, comme l'a fait la bourgeoisie contre l'ordre féodal.
Dans quelques entretiens, Lordon concède qu'un mélange entre un mouvement électoral et une grève générale peut former le processus révolutionnaire, l'un alimentant l'autre (le mouvement électoral n'enverra pas les CRS dans les usines, par ex., et les travailleurs en grève pourront négocier de nouveaux droits). On a vu un tel attelage avec le Front populaire de 1936 : le programme électoral mollasson a été poussé au cul par les occupations d'usine. De là à dépasser le point de bifurcation, je n'y crois pas.
Dans un entretien, Friot pense que les avancées peuvent aussi se faire via le droit et sa jurisprudence. Se faisant, il semble se référer à l'appropriation de terres communes seigneuriales. Rappels : on est en Angleterre, donc common law donc prévalence de la jurisprudence ; et une loi a validé cette appropriation donc prise du pouvoir d'État bien avancée.
Pour Friot, les mots d'ordre des mouvements sociaux depuis 20 ans (au minimum) sont foireux car ils se focalisent sur la répartition de la valeur économique, pas sur sa production. Exemples : revenu de base ; participation aux bénéfices / partage de la valeur / achat ou octroi d'actions de l'employeur ; ne pas rappeler qu'il existe d'autres définitions de la valeur que la valeur capitaliste ("est travailleur, celui qui, présentement, met en valeur du capital, production de valeur pour toujours plus de valeur, etc.), parler de retraite par capitalisation (alors qu'il s'agit de retraite par répartition capitaliste) ; réclamer la comptabilisation des années d'étude dans la durée de cotisation retraite (alors que cet allongement renforce l'idée que la retraite est un différé de cotis'…) ; accepter le passage du mode de calcul de la pension de retraite des 10 aux 25 meilleures années (réduisant ainsi le lien entre la pension et le salaire, et donc que la retraite est la poursuite du salaire) ; accepter l'indexation des retraites sur les prix au lieu des salaires en 1986 dans le privé puis en 2003 dans la fonction publique (la transformant en patrimoine qui doit conserver son pouvoir d'achat, alors qu'elle est censée être une poursuite du salaire… ; les syndicats se sont surtout battus pour savoir qui y gagnerait et qui y perdrait, surtout face au gel du point d'indice…) ; défendre les cheminots & co au motif qu'ils auraient des missions spéciales (les autres travailleurs puent ?) ou qu'ils ne sont pas autant privilégiés que ce qu'on raconte (ha, donc le salariat à statut n'est pas une conquête ? Donc on peut la supprimer au lieu de l'élargir) ; pour Lordon, les manifs de 2009 (après la crise financière qui ouvrait l'opportunité de mettre au pas le capitalisme selon lui, lolilol selon moi), les mots d'ordre des manifs géantes étaient essentiellement la hausse du SMIC, le partage des richesses, blablabla, etc.
Pour Friot, ces mots d'ordre foireux expliqueraient l'échec des mouvements sociaux : il faut changer le statut des travailleurs, les institutions du travail, le régime de propriété de l'outil de production, parler de salaire et de droits économiques des citoyens, être à l'offensive pour une adhésion à un projet au lieu d'être dans l'opposition, la dénonciation, la défensive etc., comme a su le faire la bourgeoisie qui n'a pas réclamé la répartition du fric de l'aristocratie. Se gaver, comme on dit des capitalistes, ce n'est pas maîtriser le partage de la valeur, c'est d'abord maîtriser le travail, car c'est lui qui génère la valeur.
Prétendre qu'en face, ils sont très fort, que le capital est tout-puissant, que le capitalisme a une force d'adaptation aux crises qu'il génère, blablabla, c'est quand même facile. Pour Friot, il faut cesser d'accepter l'histoire des vainqueurs,. Il faut voir les révolutions communistes (régime général de Sécu, salaire à la qualif personnelle, etc.), il faut nommer le néolibéralisme "contre-révolution capitaliste" (car cette expression suppose qu'il y a eu une révolution inverse, donc communiste), et se bouger (que penser des profs qui, durant les confinements Covid râlaient mais ont accepté le télétravail alors que le décret ne les y forçait pas ? Pourquoi n'avoir pas tenu tête aux présidents d'université ? Il ne fallait pas pénaliser les jeunes… bah tiens…).
Quand on oppose à Friot que plusieurs mots d'ordre peuvent cohabiter, qu'il y a plusieurs temps dans la bataille, plusieurs niveaux, etc., il en convient. Mais il ajoute qu'il ne faut pas substituer la bataille de la répartition à celle pour changer le travail, et que si l'on doit intervenir sur la répartition, il faut utiliser des outils qui changent d'abord la production dans un mode communiste. Se battre pour réduire le temps de travail car on n'aime pas le travail (souffrance, absence de sens, etc.) ou pour que tout le monde ait un emploi (alors que l'employabilité dépend de la bourgeoisie), n'est pas le mot d'ordre légitime qui donne envie (sans compter que ça risque d'intensifier encore plus le travail, la productivité a augmenté suite au passage aux 35/39 heures).
Triées par intérêt (informative, claire, qui traite un maximum d'aspects, etc.).
Le Salaire à Vie (Bernard Friot). 2015. La synthèse la plus concise que je connais.
Thinkerflou - Bernard Friot : "Le salaire EST anticapitaliste" | Interview. 2021. Plutôt complète. Accent mis sur les définitions.
Le salaire à vie - Dans le texte - Hors-Série. 2015. Aborde tous les aspects et les questionnements les plus habituels, dans un format plus long. Livre présenté : Émanciper le travail.
Frédéric Lordon - Vous avez dit communisme ? - UNIL 28062022 - Espace Dickens (secours 1, secours 2). 2022. Accent sur le processus révolutionnaire, les motivations, et les points de vigilance.
Conférence-débat avec Bernard Friot - Université d'Évry. Accent sur le déjà-là communiste, présence de deux sociologues contradicteurs, donc un peu technique. Livre présenté : Le travail, enjeu des retraites.
Le communisme, le vrai, c'est à partir d'ici et maintenant | Bernard Friot & Frédéric Lordon (secours). 2021. Bonne vidéo, qui présente les deux aspects centraux (salaire à la qualif perso et maîtrise des investissements). Livre présenté : En travail. Conversations sur le communisme.
Face au désastre qui vient : le communisme désirable (secours). 2021. Vidéo informative après un début égrenant beaucoup de banalités. Livre présenté : Figures du communisme (au sens de figuration, d'imaginaire d'images).
Le travail souverain : un désir de communisme | Bernard Friot, Judith Bernard (secours). 2020. Généraliste, mais rien de neuf face aux précédentes. Livré présenté : Un désir de communisme.
Abattre le capitalisme : mode d'emploi - Frédéric Lordon (secours). 2020. Accent sur le processus révolutionnaire et autres questions techniques et concrètes.
Sécurité sociale, salaire à vie, retraite et capital - Bernard Friot (secours). 2018. Rien de neuf face aux vidéos précédentes. Livre présentée : Vaincre Macron.
Bernard Friot "La conférence gesticulée" (secours). 2016. Ça traîne en longueur pour distiller une partie des infos des vidéos précédentes.
Bernard Friot : Théorie du revenu universel / salaire à la qualification ? [EN DIRECT] (secours). 2018. Il ne présente pas bien ses idées, il se fait interrompre par l'animateur sans reprendre son fil, etc.
En travail. Conversations sur le communisme - Friot & Lordon @ Bourse du Travail - Paris - Nov 2021 (secours). (Le son est merdique seulement au tout début.) N'apporte rien aux vidéos précédentes, mais met en exergue des désaccords entre Friot et Lordon (existence d'une classe révolutionnaire, processus de transition, etc.).
Frédéric Lordon - gauche, institutions : de l'élection bourgeoise à l'Etat communiste - Le Lieu-dit (secours). 2022. Élection versus révolution, institutions, et autres questions techniques et concrètes.
B. Friot & F. Lordon, « En quoi la révolution est-elle encore d'actualité ? », Paris, 3 avril 2018. N'apporte rien aux vidéos précédentes, l'objet principal est de galvaniser la Commune de Tolbiac.
Crise financière : laissons crever les banques - Bernard Friot (secours). 2020. Ça parle dans le vide et Friot radote ad nauseam l'idée clé du titre.
La deuxième partie développe bien plus le cœur du sujet que la première. Usul a résumé cette émission de Judith Bernard (et au-delà) dans une vidéo de 30 minutes. Je posséde un exemplaire du livre de Lordon dont il est question, mais je ne l'ai pas encore lu. :-
Lordon complète l'analyse économique structuraliste de Marx (les rapports sociaux, les structures qui en découlent, etc. conditionnent les individus bien plus qu'ils se déterminent eux-mêmes) par une théorie de l'action de l'homme pondue par Spinoza axée sur les passions humaines. Si le jeune Marx développait cela, ses derniers ouvrages n'en faisaient plus mention (exemple : le communisme, c'est un monde sans classes sociales, donc sans luttes ni violence, comme ça, par magie).
Or, l'économie capitaliste, que l'on présente comme ultra-rationnelle, optimisatrice, etc., fourmille de passions : mode qui pousse à l'achat, entrepreneur désireux de proposer quelque chose / résoudre un problème / diffuser un savoir, sentimentalisme pour défendre et accroître son empire (ne pas se faire absorber), folie des traders, etc. Maximiser les profits semble être secondaire. De l'autre côté, les travailleurs sont aussi animés par des passions (consommation, amour de son taff, se réaliser dans son taff, chercher une forme de reconnaissance, désir propre donc désobéissance / sabotage, etc.). Chacun peut constater ce qui en résulte en entreprise : les stratégies perdantes, les pratiques inefficaces, les lourdeurs, etc.
Un patron à un projet (un désir maître). Il emploie des gens pour participer à sa réalisation (il enrôle des puissances d'agir). Ces salariés ont leurs propres désirs, ils ne sont pas alignés sur le désir maître (ex. : la condition salariale est acceptée parce qu'il faut bien manger, se loger, etc., l'évolution historique ayant fait émerger l'économie marchande avec division du travail dans laquelle les individus ont été privés de pourvoir par eux-mêmes à leur existence et à leur reproduction matérielle). Le patron recherche cet alignement qui lui est favorable (productivité). L'angle alpha est, pour Lordon, l'écart entre un désir individuel et le désir maître. Le projet du néolibéralisme est de réduire cet angle à 0. Cette problématique de l'enrôlement d'autrui, de la captation de sa puissance d'agir, se pose à toute personne qui a besoin d'autrui pour réaliser son désir / une tâche complexe (croisé, association, etc.). Il convient donc de comprendre ces rapports d'enrôlement.
Il existe des affects tristes, comme la crainte du dépérissement de laquelle découle le chantage à la reproduction matérielle (le salarié redoute le patron, le patron redoute ses créanciers), et les affects joyeux, comme la consommation de biens matériels (mais il est extrinsèque, donc éphémère), l'amour du chef (chercher sa reconnaissance, chercher à le réjouir), l'amour du lieu et du cadre de travail (socialisation amicale au taff, fun comme culture d'entreprise, etc.). Le capitalisme néolibéral cherche à enchanter le travail avec des affects joyeux (Chief Happiness Officer, le fun comme pratique managériale, etc.), car il est plus efficace de régner à l'amour qu'à la peur. Qu'adviendra-t-il s'il y parvient ? Bonheur béat de synthèse ? Vrai bonheur ? Dissidence ? Là encore, toute personne qui a besoin d'autrui pour exécuter une tâche enjolive son projet en affects joyeux.
Pour Lordon, qui ne retient pas la définition développée en science politique, le capitalisme néolibéral est totalitaire puisqu'il s'agit d'une soumission qui prend l'humain jusqu'aux tréfonds de son intériorité. Il veut remodeler nos imaginaires, nos désirs, nos affects, etc. dans toutes les sphères de la vie. Il agit sur nos corps (uniforme et autres codes vestimentaire & co obligatoire de l'entreprise, etc.). Il a enfanté deux imaginaires : celui du comblement ("le système va bien = je vais bien"), et celui de l'impuissance ("de toute façon, on ne peut pas changer le système"). Il aspire à fabriquer un imaginaire collectif, tel l'homme nouveau des socialismes réels (dont Che Guevara fut une icône) : l'homme désirant uniquement produire, heureux de produire, et content de son sort salarial (à mon avis, cet imaginaire va bien au-delà de la sphère du travail et de la consommation, telle l'idée que toute pratique doit être une valorisation de capital ‒ airbnb, uber, notation, réduire le nombre de fonctionnaires, etc. ‒ et/ou être une compétition).
Pour Spinoza (autant matérialiste que Marx, c'est-à-dire réfutant l'idéalisme philosophique, c'est-à-dire la supériorité des idées pures), le libre arbitre n'existe pas, l'humain n'a pas de volonté, il ne choisit pas, il est asservi par ses désirs. Cette aliénation est totale (servitude passionnelle universelle) en cela que son antagonisme, c'est-à-dire un sujet humain totalement en adéquation avec lui-même, n'existe pas. Les désirs sont externes : on désire quelque chose d'extérieur à notre personne et nos désirs sont façonnés par l'extérieur, par notre parcours (situation, éducation, expériences, connaissances, etc.). Même un révolutionnaire ne choisit pas consciemment la révolution, c'est une somme d'expériences, etc. En revanche, l'humain peut se remplir d'affects joyeux ou tristes (les premiers renforcent notre puissance d'agir, notre être, les seconds la réduisent). À l'inverse de Spinoza, le libre arbitre, de, entre autres, Descartes, est l'une des inspirations du libéralisme : individu auto-déterminé, à l'origine de ses actes, donc responsable et méritant, blablabla.
Ainsi, si l'on s'appuie sur Spinoza, abolir le capitalisme ne nous fera pas quitter la servitude passionnelle comme s'il existait une volonté / liberté originelle de l'humain. Les humains ne sont pas égaux en puissance d'agir ni en puissance de désirer (y'en a qui désirent plus ou moins), et tout cela (domination, captation de la puissance d'agir, reconnaissance, etc.) demeurera et sera conflictuel (luttes, etc.). Toute utopie visant à remplacer le capitalisme doit penser une mise en forme acceptable / moins destructrice de cette violence découlant de nos passions, dans des rituels, des pratiques, des symboles, etc. Exemples : il existe des violences symboliques plus acceptables comme la réfutation d'un théorème mathématique (qui constitue parfois la destruction de l'œuvre d'une vie) ou une plaidoirie judiciaire (qui constitue parfois un billet pour l'enfermement ou la liberté).
La lutte des classes doit être repensée à cause d'employés intermédiaires tels le grand patron qui se fait virer par son CA tout en adhérent à fond au projet du capital ou les cadres qui, matériellement, sont proches du prolo, mais qui adhérent plus joyeusement au projet du patron / du capital et forment la structure d'oppression. Il existe un continuum d'affects, du refus en bloc / sabotage (affects tristes) au prêcheur béat du capitalisme (affect joyeux).
Si une société commerciale est une monarchie qui règne aux affects (tristes et joyeux), peut-il exister une organisation démocratique de la violence des passions ? L'égale participation de tous à la chose qui les concerne (autogestion, etc.) n'y suffit pas. Il faut élargir les affects joyeux dans tous les domaines et au-delà de la reproduction biologique. Puisque le façonnage d'un imaginaire collectif serait délétère (cf. ci-dessus), il faut atteindre que les idées infusent dans la société humaine, et il faut prendre les hommes tels qu'ils sont et n'ont pas tels qu'on voudrait qu'ils soient.
Notes :
(Le titre se lit « aïe, aïe, aïe… ».)
Depuis novembre 2022 (publication de ChatGPT), on a au moins un article de journal, une conférence, etc. par jour pour nous expliquer en quoi l'IA va tout révolutionner ou que c'est la fin du monde.
Ça me rappelle l'infrastructure as code, le Bitcoin, puis les hackers sauveurs du monde, puis la chaîne de blocs, puis les conteneurs tous azimuts, puis l'ordi quantique, puis les NFT, puis le métavers, et ça, c'est uniquement sur la dernière décennie… (Je passe l'inutilité du cinéma en relief stéréoscopique, de la 4k, etc.) Bref, il faut attendre que l'IA décante.
J'ai quand même envie de mettre des ressources (liens) de côté. Je vais commencer par le côté foirage (peu importe l'amplitude), continuer par des ressources explicatives et/ou qui tentent de prendre de la hauteur, et conclure par mon avis (résumé : les usages majoritaires de l'IA seront dénués de sens et contribueront à accélérer toujours plus la circulation du capital).
Par IA, j'entends toutes les IA génératives, les Large language model (LLM).
Plan :
J'ai testé (consciemment) deux choses :
La première réponse habituelle à la section précédente, c'est qu'il faut savoir déterminer ce qui relève du transitoire ou non, c'est-à-dire si tel résultat sera améliorable dans le futur (avancée technique, utilisation affûtée de l'outil, etc.) ou non. Exemple : il fallait être costaud pour apercevoir l'aviation moderne dans les balbutiements de l'aviation. Bon courage pour ce discernement, plusieurs spécialistes du domaine ont déjà formulé des affirmations intemporelles déjà contredites…
Les suivantes, c'est qu'il faut utiliser GPT-4 car il est trop plus mieux que la version 3 (mais encore ? L'iPhone X+1 est lui aussi censé être une révolution par rapport au modèle X), ou des LLM entraînés pour une tâche précise (tel GitHub Copilot pour le développement informatique).
Il faut également revoir la manière de poser une question : donner le bon contexte, simuler la bonne situation / le bon jeu de rôle. Guider l'IA, qu'ils disent. J'y reviendrai longuement dans les résumés de vidéos ci-dessous.
Enfin, il y a l'inépuisable rappel que les LLM ne sont que des outils, que c'est à l'utilisateur de vérifier le résulter (acceptabilité, véracité, efficacité, etc.), l'IA n'est qu'un assistant, rien de plus, blablabla. Cela me fait me demander : pour vérifier un résultat, ne faut-il pas être compétent dans le domaine ? Si oui, alors un incompétent n'a aucun intérêt à utiliser un LLM (il ne saura pas vérifier le résultat ou de manière basique genre tel code informatique produit le résultat attendu, mais sans voir les failles de sécurité, par ex.) et un sachant n'a que peu d'intérêt à l'utiliser (il faudra qu'il apprenne une compétence supplémentaire de guidage d'IA, il devra vérifier en comprenant la logique de ce qu'a mimé le LLM, etc. Y a-t-il un réel gain de temps ?). Exemples :
Il est temps de pointer vers des gens qui ont étudié la question plus que moi. Attention : il y a plusieurs titres aguicheurs.
Comment un algorithme pourrait il faire la part des choses entre deux versions de faits qui s’affrontent ?
[…]
Dans l’exemple que nous donnons en 1.1., sur la clause de non concurrence et le revirement jurisprudentiel de la Cour de Cassation, il s’est trouvé une partie à un litige et son Avocat pour, en dépit d’une jurisprudence constante et de longue date, exactement contraire à la solution finalement choisie par la Cour de cassation, tenter de renverser la solution statistiquement proche de 100%, autant devant le Conseil des Prud’hommes, que la Cour d’appel voire la Cour de cassation.
[…]
Les objectifs d’une partie à un litige sont le plus souvent de gagner le procès et de faire gagner sa thèse. Cependant, d’autre motifs peuvent exister comme de gagner du temps, pousser l’adversaire à l’accord au regard des frais et du temps à engager etc. … Dans ces derniers cas, la prévisibilité d’un procès est au final de moindre importance
[…] on n'échappe pas à la responsabilité des programmeurs (comme quand on éduque un gamin, ceci dit) : Une étude montre ainsi qu'un LLM entrainé avec les données de Baidu Baike considère que les concepts « démocratie » et « chaos » sont proches, alors que tout ce qui tourne autour de l'idée de surveillance est connoté positivement. Et, justement, il existe des LLM dans d'autres pays, comme le russe RuDall-E ou le chinois Ernie-ViLG. Sautons tout de suite à la conclusion : il y a autant de censure dans les projets « ouverts » et autant de censure en Occident. RuDall-E, IA russe de génération d'images a quelques bavures amusantes : si on lui demande un « soldat Z », elle dessinait un zombie… Mais, autrement, RuDall-E est bien censuré. « Dessine le drapeau ukrainien » ne donnera pas le résultat attendu par l'utilisatrice. Une IA étatsunienne comme DALL-E censure tout autant. La nudité est interdite (malgré sa présence importante dans l'art depuis des millénaires), Comme dans tous les cas de censure, les utilisateurices cherchent et trouvent des contournements. Si on veut dessiner un mort, on ne doit pas écrire le mot « mort », qui est tabou, il faut le décrire comme « allongé par terre sans mouvement ». Pour obtenir un cocktail Molotov, on va dire « burning bottle », etc. Ce genre de techniques est largement partagé sur les réseaux sociaux.
[…]
[…] « capital linguistique » et le risque posé par la confiscation de ce capital par un petit nombre de gros acteurs. En récoltant d'énormes corpus, ces gros acteurs accumulent du capital linguistique, et peuvent même le vendre (vente de mots-clés par Google pour l'affichage des publicités). L'autocomplétion, qu'elle soit sous sa forme simple traditionnelle, ou sous sa forme sophistiquée des IA génératives va changer la langue en encourageant fortement telles ou telles formes. Cela n'a pas que des conséquences négatives, cela peut aussi être un facteur d'égalité ; si vous ne savez pas bien écrire, la prothèse (ChatGPT) peut le faire pour vous, vous permettant de réussir malgré Bourdieu. Mais il est quand même perturbant que, dans le futur, on ne saura peut-être plus écrire un texte tout seul. La langue ne nous appartient plus, elle est louée (un peu comme dans la nouvelle « Les haut-parleurs » de Damasio).
Éternel débat : une dissertation de philo est-elle un exercice formateur ? Est-ce le résultat qui compte (la note, la réussite) ou le parcours (l'effort intellectuel qui, tel l'effort de soulever des haltères, est l'important) ? C'est la différence entre un exercice et un travail. Dans un déménagement (travail), ce qui compte, c'est le résultat, d'où je peux le déléguer ;
Quel est l'intérêt de produire des scénarios, des livres, des musiques, des peintures, etc. "identiques" et insipides à la chaîne ? Ça fait du fric et ça occupe le prolo après sa journée de taff, certes, mais après ? J'ai bien conscience que y'a rien de neuf, cf. les tubes de l'été ou les séries audiovisuelles…
On peut générer des trucages réalistes… Pour quoi faire ? Tromper autrui ou soi-même (croire qu'on ken avec un personnage fictif ou que telle personne morte nous cause)… Pour quoi faire ?
Générer toujours plus de code informatique de merde in-maintenable et non sécurisé (je reprends mon exemple de désactivation de l'auth TLS, mais on peut parler données à caractère personnel et RGPD, etc.) avec des interfaces tout sauf ergonomique ? Super mais… pour quoi faire ? (Je reparle de l'attribution des gains de productivité plus loin.) Accélérer la production de merde… Quel intérêt ?
Entrer dans le "monde de l'IA" (s'il existe) en étant dans l'approche "actuelle" (entre gros guillemets) "problème -> désir d'une solution immédiate sans compréhension du problème" (appliquer la première solution venue trouvée sur Google plutôt que de réfléchir au problème dans sa globalité, aux conséquences des différents remèdes possibles, sans s'assurer de l'existence réelle dudit problème ‒ tout n'est pas à résoudre ni résolvable, surtout quand les intérêts des différentes parties prenantes divergent ‒), ça va piquer, tendance régression du savoir, incapacité à résoudre des problèmes complexes et nouveaux (rien de neuf, ceci dit). Mais, après tout, c'est cela qui, aujourd'hui, permet à une majorité d'entre nous, moi inclus, de manger, donc osef ?
Rédiger des articles ? Si c'est pour avoir des explications fades, qui ne vont pas au fond des choses, qui sont très descriptives, très "réponse de La Palisse", très superficielles… Tu sais, cet exposé qui sonne creux, là. Ces dernières années, avant la publication de ChatGPT donc, on trouvait déjà de plus en plus de tels articles en informatique, sans compter la presse qui fonctionne sur ce modèle depuis bien longtemps. Wikipedia et, en même temps qu'elle, la recherche web à l'emporte-pièce ont été les précédentes générations de l'à peu près ("il me faut une réponse viiiite, peu importe sa fiabilité, sa complétude, etc."). J'ai toujours été partisan de la reformulation à gogo afin que chacun y trouve son compte (il m'est arrivé de piger un concept présenté de telle façon, mais pas quand il était présenté de telle autre façon), mais il faut un minimum de qualité. Quid aussi de la mémorisation par écriture / reformulation ?
Accélérer une recherche ? On n'a pas toujours besoin d'une information exhaustive et fiable, c'est vrai (lire ci-dessus l'approche "problème -> solution" pour la nuance). Néanmoins, il ne faudrait pas que ce prétendu besoin de rapidité (pour quoi faire ?) pollue l'accès au savoir, cf. paragraphe précédent et ChatGPT et moteurs de recherche : Réflexion. Là encore, n'y a-t-il pas un parcours initiatique inéluctable et irréductible pour acquérir des connaissances ?
Résumer tel livre ou telle vidéo ou tel document PDF. Quel intérêt sur des docs ludiques ? Le plaisir ne découle-t-il pas du temps passé sur le document ? L'intérêt d'un roman ou d'un spectacle humoristique n'est-il pas de simplement passer un bon moment ? Pour les autres types de docs (essai, documentaire, etc.), l'intérêt ne réside-t-il pas dans le parcours initiatique pour acquérir le savoir, dans l'expérience qui naît de l'imprégnation de la pensée de l'auteur ? Lire un résumé procure-t-il le même savoir, la même expérience ? Si une œuvre ne nous mobilise plus (durant un temps), alors toutes les œuvres se valent, non ? Quel est l'intérêt de la boulimie qui en découlera ? Un chemin personnel (j'ai étudié telles œuvres et toi telles autres et on échange) n'est-il pas plus varié et constructif ? Ce n'est pas les LLM qui amènent cette réflexion, je l'avais déjà face aux annuaires de résumés de livres. Les logiciels d'échecs n'ont pas mis fin à la pratique du jeu d'échec, il y a un plaisir à y jouer. Il en ira de même pour les LLM.
Rédiger une lettre de motivation, répondre automatiquement à des emails, suggérer des idées d'articles ou de vidéos, etc. Quel intérêt ? Peut-être vaut-il mieux ne pas répondre que de répondre un truc insipide porteur d'aucune info si notre interlocuteur a aussi peu d'importance, non ? La lettre de motivation n'a aucun intérêt, mais comme la majorité d'entre nous continue à en rédiger, ça reste un incontournable. Ne vaudrait-il pas mieux refuser d'en écrire plutôt que d'automatiser ? Ne vaudrait-il mieux pas renoncer aux anciennes pratiques plutôt que de les contourner ? Sans compter que, pour générer une lettre de motiv' pertinente, il faut faire référence à ses expériences, à ses qualités, à ses aspirations, etc. Donc soit il faut les donner en entrée au LLM, et alors bonjour la vie privée et surtout la partie la plus difficile du travail est déjà accomplie (donc l'intérêt du LLM est estompé), soit il faut repasser derrière le LLM, perte de temps, et surtout les changements risquent d'être substantiels, rendant inutile le LLM.
Dans l'essentiel des cas d'usage, la hype autour des LLM me fait penser à une énième fuite en avant individualiste, à un énième correctif foireux ajouté au-dessus de trouzemilles autres correctifs tout aussi inefficaces. Plutôt que de corriger un vrai problème à la racine (exemple criant), plutôt que d'arrêter une pratique sans intérêt (lettre de motivation, par ex.), on va chercher à la contourner. Pareil pour toutes les tâches chiantes de notre quotidien, y compris dans notre emploi. Pourquoi préférer cette voie de l'énième correctif individuel ? Car on sait que tout le monde déteste cette tâche, qu'elle sert à rien, mais comme personne n'arrête, il faut continuer afin de ne pas dépareiller… On parlait de l'intelligence des humains ?
C'est comme ça que je vois les LLM. Ça permet de se dépatouiller, de ramer dans un système qui nous broie, de conserver notre travail inutile de classe moyenne qui nous donne accès à une situation matérielle élémentaire. Pour mettre au travail toujours plus de gens (démographie) après la mécanisation et l'automatisation, on a créé une pléiade de métiers inutiles et vide de sens, afin que plus de gens bénéficient du système par la consommation et cessent de vouloir la révolution. Les gains de productivité n'ont pas réduit le temps de travail, on a occupé les travailleurs sur d'autres tâches. Les chaînes (tapis-roulant) contraignent davantage le rythme de travail que le contremaître. L'ex-caissière doit désormais superviser une dizaine de caisses "automatiques" (je ne dis pas que le métier de caissière avait un sens, mais il offrait plus de marge de manœuvre, de variété, etc.). Les LLM produiront le même effet. On nous parle déjà de « guider l'IA », « concevoir des prompts », éditer une réponse ou en vérifier la validité… Bref, de nouvelles compétences passionnantes pour continuer de courir dans la roue à hamster. Ça envoie tellement de rêve… En ce sens, je partage totalement ce dessin et celui-ci : IA = une énième couche de merde.
Alors, oui, je perçois aussi que les LLM, surtout la multimodalité de ChatGPT, rendent accessible "à un plus grand nombre" (gros guillemets) des techniques qui existent déjà comme l'OCR, la conversion vers tel ou tel format de données, l'écriture de code web (ceci dit, les éditeurs WYSIWYG ne datent pas d'hier), la génération de requêtes SQL à partir de texte naturel (on a déjà la génération par clic dans une interface graphique), etc. mais le reste de ce qu'on nous annonce est du bullshit relatif à la communication, au financier, aux RH, c'est-à-dire de l'optimisation de l'inutile.
Oui, je suis pessimiste. On m'a déjà promis trouzemilles révolutions, politiques ou technologiques, allant du dispositif médical qui va changer la vie (non, un malade sera toujours un malade, l'amélioration est marginale), à chaque modèle d'iPhone (j'ai rien vu), en passant par les NFT (le pétard mouillé), ou par le dernier framework web trop bien. Je constate simplement que les grands équilibres n'ont pas été chamboulés (ex. : qui doit travailler pour vivre ou non, qui décide ou non), que les vieilles technos font tourner le monde (de COBOL à winwin XP), que les processus métiers dénués de sens sont immortels, etc. Bref, après la mécanisation, l'automatisation, les LLM, mais pour quoi faire ?
Dans un article, Gee énonce que du travail va disparaître, et que si les LLM font tant de bruit, c'est que cette disparition touchera les cadres et les hauts-placés dans la société qui font du taff sans intérêt. Comme je l'exprime ci-dessus, je pense qu'on créera de nouveaux boulots à la con, tout sera bon pour épargner le capitalisme.
Mais, en effet, si l'IA générative parvient à son but, qu'elle remplace l'humain dans un grand nombre de boulots, et que l'on n'invente pas de nouveaux métiers à la con, que fera l'humanité ? Comment répartirons-nous la richesse produite ? Seuls les détenteurs des LLM décideront de ce qui doit être fait ou non, et ceux-ci serviront donc à prolonger l'oppression actuelle.
Actuellement, les LLM ne sont pas rentables : ChatGPT coûte 700 k$/jour et, malgré un abonnement à 10 $/mois/utilisateur, Github Copilot perd entre 20 $ et 80 $/mois/utilisateur. Je ne suis pas inquiet, de nombreuses sociétés commerciales non rentables ont été et sont portées à bout de bras par des gens croient en leur avenir.
Ils ne sont pas plus écologiques : pour les entraîner, il faut une masse de GPU, donc de métaux rares, alimentés, en moyenne, par de l'énergie carbonée. En attendant le progrès technique… (Je croyais que le vivant manquait de temps…)
Voir ici pour des explications techniques sur la génération automatisée de contenus, les frameworks, etc.