Ce livre couvre la première moitié du quinquennat Hollande, de mi 2012 à fin 2014.
Je l'avais acheté car, justement, je me souviens à peine de cette première moitié de quinquennat (pas de problème pour la deuxième, j'ai bien en tête les régressions sociales, en termes de libertés et en termes de désignation d'un méchant ennemi intérieur). Sur ce point, je ne suis pas déçu.
En revanche, dès le début, dès la première phrase du bouquin, on te cause du danger Le Pen en 2017. Ça sera répété tout au long du livre. Ça fait plus de 40 ans qu'on nous gonfle avec ça, que ça éclipse tout dans les médias (genre pourquoi les médias vont systématiquement demander son avis sur tout à MLP et pas à Mélenchon ou à un autre représentant minoritaire ?!). Ça fait plus de 40 ans qu'on se fait enfumer et serrer la vis par d'autres guignol-e-s d'autres partis qui sont tout aussi dangereux-euses (quand l'UMP nous parle de camps d'enfermement administratif ou de déchéance de nationalité, hein, sérieux) ! C'est bon, il faut passer à autre chose. Le danger c'est pas tant celui ou celle qui récoltera les fruits de la tempête que ceux et celles qui la sème en ce moment. C'est de ces dernier-e-s dont il faudrait avant tout se méfier.
De même, je m'interroge sur l'intérêt des reportages larmoyants "c'est la misère dans telle ou telle cité". Oui, il est important de documenter cela sinon il n'y a pas de prise de conscience et donc pas d'action pour tenter d'endiguer ce phénomène. Mais, dans ce recueil de dépêches, est-ce que leur nombre ne constitue pas du journalisme facile ? Le récueil de témoignage de terrain, c'est bien mais quid du constat macroscopique ?
Quelques notes :
- « Il ne faut pas tout attendre de l'État » / l'État ne peut pas tout. Jospin, à propos de la fermeture d'une usine Michelin à la fin des années 90. On l'a beaucoup latté à l'époque mais, en vrai, ce n'est pas faux : au-à-la citoyen-ne de flécher sa consommation, à l'État de flécher sa commande publique, au Parlement de créer le contexte favorable à l'existence décente d'une multitude de sociétés commerciales locales, mais après, interdire des fermetures d'usines, mouais, ça sonne comme une sanction inutile.
- Dans son intervention à Pas Sages en Seine 2015, Isabelle Attard conseillait de cartographier les conseillers et les directeurs de cabinets, bref, toutes les personnes qui agissent dans l'ombre des ministres et du Président et qui ont le pouvoir. La liste des nominations est publiée au Journal Officiel. En 2012, Mediapart a tissé les liens pour savoir qui vient d'où, qui a fait quoi avant ce poste, qui vient de quel milieu/contexte culturel, etc. : https://generationchangement.wordpress.com/2012/06/18/les-cabinets-sans-curiosite-du-nouveau-pouvoir/ . Je trouve que cette démarche est primordiale mais la présentation, tout en texte, est totalement imbitable. Si l'on veut prévoir une partie de ce qu'il nous tombera sur le museau, il nous faut une cartographie pour rendre ce travail brut exploitable et présentable.
- Il ne suffit pas de regarder les taux des impôts pour en déduire leur efficacité, mais il faut aussi regarder l'assiette (celle de l'IRPP est faible, par exemple) et le type d'impôt : proportionnel (tout le monde paie le même montant (comme la TVA ou la TICPE ou la CSPE ou la CSG)) ou progressif (comme l'IRPP). Une fusion de deux impôts, genre l'IRRP et la CSG peut être plus redistributif (compense mieux les inégalités de revenus qu'on peut estimer être socialement nuisibles) qu'un IRPP à taux plus fort.
- Choc de compétitivité = crédit d'impôt aux entreprises sans contrepartie ; pacte de responsabilité = allégement des cotisations sociales patronales sans contrepartie. Le tout pour faire une relance par l'offre c'est-à-dire "soulager" les entreprises pour qu'elles embauchent magiquement (qu'est-ce qui les empêchent de distribuer la richesse aux actionnaires ?) et que ça relance la consommation des ménages.
- J'avais oublié ce sombre épisode de 2012 : http://www.liberation.fr/societe/2012/09/17/manifestation-salafiste-a-paris-retour-sur-un-emballement_846902 . Ils manifestent pacifiquement, vlam, c'est des salafistes c'est-à-dire des radicalisés. Heu ? Lol. En comparaison, la manif' pour tous n'était pas du tout des chrétien-ne-s défenseur-se-s d'une foi originelle, nooooooon.
- Salaire mensuel brut d'un-e ministre : 9 940 € (contre 14 910 € sous Sarko). Premier ministre : 14 910 € (contre 21 300 €). Président : comme le Premier ministre. Évidemment, c'est sans les à côté : logement de fonction, véhicule de fonction, coiffeur / maquilleuse à 8-10 k€/mois, etc.
- Transparence de la vie politique : que pour quelques élu-e-s (les maires et les conseillier-e-s de tout poil ne sont pas concerné-e-s), transparence de la vie parlementaire, etc.
- Vote truqué & bourrage d'urnes (détectés mais rester sans conséquences pour les auteur-e-s, osef de la sincérité du scrutin) dans les 3 grosses fédérations PS en nombre d'adhérent-e-s. Ce fût déjà le cas à l'époque Mitterrand…
- Les universités sont toujours dans le rouge financièrement genre pas de fonds de roulement. C'est voulu genre allouer 5 milliards aux sociétés commerciales au titre du crédit d'impôt recherche, c'est un choix. Du coup, les universités doivent développer leurs fonds propres : formation continue, levées de fonds auprès de sociétés commerciales, augmenter les frais d'inscription (ce qui réjouit le lobby bancaire car ça signifie plus de crédits étudiant ;)), etc.
- La taxe poids-lourds, suspendue depuis fin 2014, fût la première externalisation de l'organisation et de la collecte de l'impôt, jusque-là compétence régalienne par excellence. Oui, il s'agit d'un PPP avec la société commerciale Écomouv' (avec de gros industriels derrière…).
- L'État perd en souveraineté : renforcement des régions, Europe, finance toute puissante, perte du pouvoir de battre monnaie, etc. Le seul pouvoir régalien qui reste, c'est la police, l'autorité. On peut alors penser que l'État laisse (et provoque) la montée du racisme, de la xénophobie, de l'homophobie, etc. afin de retracer des frontières, des lignes qui séparent les bons gens des méchants et ainsi pouvoir manifester son pouvoir de police, d'oppression, de la violence d'État qui est tout ce qui reste à l'État en perte de souveraineté. On cherche à « maintenir l'ordre » c'est-à-dire contenir la tension sociale, pas à la faire disparaître avec un traitement sensé à la racine.
- On reproche à tout président de ne pas tenir le programme sur lequel il a été élu. Encore faudrait-il que celui-ci soit en capacité de le faire. Des engagements du candidat Hollande n'ont pas pu être tenus faute des 3/5 de parlementaires nécessaires. Exemple : supprimer la Cour de Justice de la République.
- Hollande essaye toujours de faire une synthèse de tout et notamment pour régler les conflits et désaccords ministériels, ce qui donne des réponses bizarres aux problèmes. Exemples : Valls et Ayrault étaient en déssacord sur l'expulsion de Léonarda. Solution hollandaise : Léonarda peut revenir… … … mais sans sa famille. Même chose sur le dossier Florange (désaccord Ayrault/Montebourg). Peut-on toujours faire une synthèse pertinente de tout ? Est-ce toujours pertinent de couper la poire en deux en faveur d'un consensus mou ?
- L'accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi de 2014 octroyait déjà de la flexibilité aux employeurs en bonne santé financière en termes de licenciement économiques massifs avec des plans sociaux au rabais. CGT et FO n'ont pas signé. Dans l'usine Elba située dans le Puy-de-Dôme, un seul salarié syndiqué FO a participé aux manifestations. Tout le monde se moquait gentiment de lui… … … Sauf que cette usine a été la première en France à fermer grâce aux largesses permises par cet accord… … … LALA.
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Bilan (très partiel et je ne reprends pas les idioties que j'ai déjà écris ci-dessus) : des dictateurs sont toujours accueillis à l'Élysée (pour les "aider à évoluer", sans doute ;)), banalisation des démantèlement de camps de réfugié-e-s et des expulsions tout en accusant la droite, mesures de façade genre bricolage des impôts et des allocs familiales au lieu d'une CSG fusionnée et progressive ou de revoir le quotient familial qui redistribue aux plus riches, ratification du TSSG européen, etc.
- Quelques maigres bonnes nouvelles : fiscalité du capital alignée sur celle du travail et suppressions des assouplissements ISF. Fin de la circulaire sur les étudiant-e-s étranger-e-s qui demandait aux préfets d'instruire avec vigueur et forts contrôles les changements de statuts (pourtant, les conditions et les délais pour passer d'étudiant-e-s étranger-e-s à travailleur sont toujours aussi relous et inadmissibles)
- Licenci'elles : collectif regroupant, au début, les managers licenciées par les 3 Suisses qui militent pour leurs droits (licenciement abusif), contre tous les licenciements abusifs et pour l'émergence d'une loi contre les licenciements boursiers. Collectif féminin, décentralisé, qui utilisent les outils numériques, qui s'émancipent des syndicats ancestraux qui les ont snobées. Difficultés rencontrées : concilier vie de famille et vie amicale avec la lutte (les proches soutiennent mais ne comprennent pas la lutte) + se montrer crédibles face à ceux qui ont des décennies de lutte comme les métallurgistes. Au moins, la justice a définitivement reconnu que les licenciements des 3 Suisses étaient abusifs. 5 ans de lutte… GG.
- Un gouvernement qui amalgame antisionisme et antisémisme et qui assimile les manifestations pro-Palestine à une montée de l'antisémitisme… Quel rapport entre refuser une guerre sans fin qu'implique la création d'un État uniquement juif qui expulse une Palestine annexée et l'antisémitisme ? On peut être juif et antisioniste. On peut protester contre les violations des libertés et du droit international commises par l'Israël. Voir de l'antisémitisme partout au nom du souvenir du génocide dont l'Europe fut coupable tout en désignant les musulmans comme ennemis intérieurs et extérieurs, c'est oublier la leçon du passé : toute discrimination est malsaine, pas uniquement celles à l'encontre des juifs.