L'équithérapie, l'utilisation du cheval comme médiateur thérapeutique afin de compléter des soins médicaux pour des handicaps ou des difficultés physiques ou mantales, prescrite à des détenus. 10 ateliers par an, encadrés par les psychologues et un surveillant de la prison et financés par un hôpital psychiatrique, destinés à des détenus en fin de peine. Notions distillées : confiance, soin à l'autre, affirmation de soi sans violence, cohérence entre son attitude mentale et corporelle, etc.
Des détenus de la maison d’arrêt de Valence (Drôme) suivent des ateliers de médiation avec le cheval. Reportage aux écuries de la Véore.
Bonite est un cheval qui a besoin de voir ce qui se passe autour de lui. Pas moyen de lui imposer longtemps de se retrouver face au mur pour se faire brosser. Mahmoud, 24 ans, le comprend, « personne n’aime ça », et lui non plus. fin juillet, il sortira de prison après plusieurs séjours ces dernières années. Avec Adil et Kader, âgés de 24 et 25 ans, ils ont eu l’autorisation de sortie pour suivre les ateliers d’équicie de Marie Manvieux. L’équicie, c’est un métier de médiation avec le cheval à visée thérapeutique et d’apprentissages sociaux reconnu depuis 2014 au répertoire national des certifications professionnelles. Ce matin de printemps, Marie Manvieux, infirmière depuis dix-huit ans a la prison de Valence, leur propose le cinquième et dernier atelier aux écuries de la Véore, à Beaumont-lès-Valence, dans la Drôme. Cavalière depuis l’enfance, Marie s’est formée deux ans dans le cadre de la formation professionnelle pour « allier mon métier d’infirmière, tourné sur la relation à l’autre, à la relation avec le cheval ». Depuis 2016, elle anime dix séances par an avec des détenus de la maison d’arrêt. Les permissions de suivre les ateliers sont accordées par le juge d’application des peines et demandées dans le cadre d’un suivi psychiatrique par le médecin et les psychologues de la prison. Les ateliers sont d’ailleurs financés par le Valmont, l’hôpital psychiatrique du secteur. Les détenus sont à la moitié ou en fin de peine et ont été choisis comme étant aptes à vivre l’expérience.
S'affirmer
« Je n’y arrive pas, madame! » Mahmoud peine à se faire comprendre de Bonite. L’animal fourre invariablement la croupe tout près des naseaux de sa voisine Tara, très calme entre les mains d’Adil. « Si, vous allez y arriver ! » lui répond Marie. « Vous devez être plus ferme dans votre demande mais sans vous énerver, sans violence. C’est de l’autorité bienveillante, c’est un cadre dont Bonite a besoin pour être rassurée. » Dès le premier atelier, Marie a demandé aux détenus sur quel objectif ils souhaitaient travailler.
Pour Mahmoud, c’est l’affirmation de soi. Seul garçon et petit dernier de la famille après quatre soeurs, « il a du mal à exister », précise Marie. Autrement que par les conneries et la délinquance. La voie est étroite pour certains gars quand on leur rebat les oreilles qu’un homme, c’est fort, et que ça ne pleure pas. « Avant, je ne savais pas parler, je ne mettais que mes couilles en avant », lance Mahmoud. On a du mal à l’imaginer, avec ses cils interminables et sa silhouette frêle. C’est compliqué pour lui de trouver la juste place auprès de Bonite. Il n’a pourtant pas renoncé tout au long des cinq séances à tenter de surmonter sa peur de l’animal le plus inquiet du groupe. Ils sont finalement deux à avoir la trouille. Les gestes aujourd’hui sont lents et d’une extrême douceur.
Adil soulève avec une totale confiance le sabot de Tara en faisant glisser sa main le long de sa jambe. Ce matin, au paddock, l’enclos aménagé près des écuries, Tara s’est spontanément dirigée vers Adil, qu’elle a reconnu. Adil a pourtant failli rater la dernière séance, celle où il va pouvoir monter Tara pour la première fois. Il a fallu plaider sa cause auprès du juge d’application des peines car il s’est battu voici plusieurs semaines et a passé quelque temps au quartier disciplinaire. À le voir prendre soin du cheval, « mon cheval » comme il dit, on sent bien qu’Adil se nourrit pleinement du moment, agit dans le calme avec une totale aisance. De quoi laisser tomber quelques heures les défenses activées en prison. Adil prend son temps aujourd’hui, touche, caresse, gratte, chuchote des mots doux à la jument. Peut-être des réserves pour l’après, la sortie de prison dans un an. « Vous savez faire plein de choses et cette attention à l’animal, c’est votre humanité, vous l’avez en vous, exploitez-la », les encourage Marie. Travailler la confiance, apporter la sécurité a l’animal, être au clair avec son attitude mentale et la posture du corps sont des notions que Marie distille au fur et a mesure. Car le cheval absorbe comme une éponge l’état intérieur de l’homme qui s’approche de lui. Il garde la mémoire de son drôle de destin, celui d’être « la plus noble conquête de l’homme ». Noble sans doute, conquête surtout, puisque l’homme a eu besoin de lui pour se nourrir, se déplacer, travailler la terre et faire la guerre ! D’animal utilitaire et militaire, il s’est transformé en animal de loisir et de compétition sportive. Un destin d’exploité depuis toujours. Le cheval sait depuis le néolithique qu’il peut être mangé par des prédateurs. Pour sa survie, il doit être capable à tout moment de fuir grâce à ses sens hyper développés. Sa peau sent tout, la vue, l’ouïe et l’odorat sont exceptionnels. « Ce qui lui permet de déceler une mâchoire crispée, des phéromones de peur, une augmentation du rythme cardiaque, un visage triste », détaille Marie. « Sa souffrance est muette, explique pour sa part Gina Pitti, dresseuse aux écuries de Berlion, à Montoison. Il n’a que son corps pour parler. » C’est finalement depuis peu que l’homme s’efforce de le comprendre et de tenir compte de ses besoins physiques et psychiques, notamment grâce aux recherches en éthologie. Impossible donc de tricher avec un cheval.
La balade
Pendant la balade sur le dos du cheval pour la première fois, Mahmoud, dont Bonite est guidée par Marie, se laisse porter, ferme les yeux et respire l’air du matin de printemps. Adil et Kader ouvrent grand leurs yeux sur les champs de blé et de coquelicots, entourés des collines du Vercors. Ils discutent avec Fabrice, le surveillant, et Virginie et Barbara, les psychologues, toujours présentes aux ateliers. Parfois, c’est le Spip, un membre du service pénitencier d’insertion et de probation, qui accompagne. L’occasion « de faire passer l’humain avant tout », confie Fabrice. Une goutte d’eau dans l’océan carcéral.
Dans le Siné Mensuel de juillet-août 2019.