Un contrat de 17 centrales, sans que le Congrès ait pu vérifier l’usage exclusivement civil de l’énergie produite…
À Washington, la question a été posée par des élus démocrates : les Etats-Unis vont-ils aider les Saoudiens à construire 17 centrales nucléaires « civiles » mais permettant — pour peu qu’on le dissimule — de produire le combustible nécessaire à la fabrication de bombes ? A la demande de ces opposants méfiants, la Commission de contrôle et de réforme de la Chambre des représentants — présidée par l’un des leurs, Elijah Cummings (car les démocrates y sont majoritaires) — va devoir déterminer si les Etats-Unis s’apprêtent en fait à livrer une technologie « sensible » à leurs alliés saoudiens.
C’est en mars 2018 que le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS) a fait savoir à Trump que son royaume voulait diversifier ses ressources énergétiques et réduire sa consommation de pétrole afin d’en exporter davantage. Le 6 novembre, la première pierre de la première centrale US a été posée en présence du toujours souriant MBS. Quant à la construction des seize autres, elle sera en principe effective d’ici à 2032.
Généraux en renfort
L’heureux signataire de ce splendide contrat est un conglomérat militaro-industriel américain dont le chef de file est IP3 International Corporation. Une firme fort respectable, puisque neuf anciens généraux figurent à sa direction, en compagnie d’une bonne dizaine de civils. Mais l’opposition démocrate, qui voit le mal partout, croit déceler quelques conflits d’intérêts entre l’équipe Trump et ces groupes privés. Reste le plus gênant dans cette exportation de centrales : la haute administration américaine n’est pas autorisée à transférer, ni légalement ni, à plus forte raison, clandestinement, des technologies nucléaires à des pays tiers sans l’assurance — car le Congrès américain doit effectuer des vérifications préalables - que l’énergie produite sera bien à usage civil. Et qu’elle ne permettra jamais aux clients de fabriquer des bombes. Mais, comme c’est dommage, le Congrès n’a pas été saisi de ce dossier…
Trump, lui, ne moufte pas, mais son ministre de l’Energie, Rick Perry, a tenté de calmer le jeu. Selon lui, les craintes de voir les Saoudiens jouer avec le feu nucléaire sont imaginaires. Pour justifier cette sympathique coopération, il avance un argument commercial et… humaniste : « Si les Etats-Unis [avaient refusé] tout partenariat avec l’Arabie, celle-ci aurait pu se tourner vers la Russie ou la Chine (…), deux pays qui se fichent complètement de la non-prolifération nucléaire. » Alors que la Grande Amérique, elle, est insoupçonnable…
Les dirigeants de la firme IP3 International Corporation le jurent aussi. A les en croire, leurs activités sont « respectueuses de la paix dans le monde ». Mais la Commission de contrôle, elle, demeure méfiante, et, après avoir publié un rapport préliminaire, elle poursuit ses investigations en interrogeant les militaires et les hommes d’affaires embauchés par IP3, ainsi que plusieurs anciens conseillers qui ont travaillé jadis auprès de Reagan, de Bush junior et d’Obama.
Quelques semaines avant la conclusion de ces emplettes nucléaires, MBS, le futur roi d’Arabie, s’était un peu lâché, lors d’un entretien sur la chaîne CBS, en mai 2018 : « Si l’Iran développe une bombe nucléaire, nous en ferons autant, aussi vite que possible. » Alors, merci, Donald Trump ?
Je n'aime pas ces écrits hypocrites qui laissent entendre que certains pays (Arabie Saoudite, Iran, etc.) seraient trop fous (de Dieu, généralement) et trop différents des occidentaux pour accéder à une prétendue sagesse de la bombe nucléaire… Je constate que 8 États au moins aussi fous (d'argent, de pouvoir, de Dieu, etc.) ont déjà la bombe depuis plus de 70 ans pour certains… Entre fous, on pourrait envisager de partager.
Dans le Canard enchaîné du 17 avril 2019.