Sans l’affaire Benalla, le pot aux roses n’aurait peut-être jamais été découvert. Depuis des années, la Préfecture de police (PP) fait un usage immodéré, et surtout illégal, des vidéos enregistrées par les caméras de surveillance dont elle a truffé les rues de Paris. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui tombe des nues, vient de déclencher une enquête et un contrôle sur pièces pour connaître l’ampleur des cachotteries. La Cnil l’a d’autant plus mauvaise qu’elle a réalisé l’année dernière une enquête sur la durée de conservation des vidéos de la police parisienne !
Le rapport est presque achevé, mais il va falloir en durcir les conclusions. Désormais sommé de s’expliquer, docs à l’appui, le préfet de police s’éponge le front : trois de ses flics sont mis en examen pour avoir, le 18 juillet, transmis sous le manteau à Benalla une vidéo tournée deux mois et demi plus tôt, place de la Contrescarpe, par une caméra de la Préfecture de police.
Open barbouzes
Des images qui auraient dû être détruites automatiquement au bout de trente jours en l’absence de réquisition judicaire, comme l’exige la loi. Les auditions menées par la police des polices, auxquelles « Le Canard » a eu accès, lèvent le voile sur un système d’archivage clandestin des vidéos mis en place au plus haut niveau de la PP. Dans le dos de la Cnil et des magistrats, les poulets parisiens ont pris l’habitude de faire leur marché parmi les images capturées par les 2 739 caméras de « voie publique », mais aussi dans celles enregistrées par 33 430 « caméras partenaires » implantées dans des gares, des musées, des grands magasins et des centres commerciaux. Puis de les archiver sur DVD-ROM autant de temps que ça leu1 chante.
Les flics croient pouvoir justifier cette pratique parfaitement illégale en interprétant une note du 21 fémier 2017 signée du directeur de l’ordre public et de la circulation (DOPC) ! Ce document organise la cellule Synapse censée faire de l’analyse stratégique à partir des films vidéo de manifs ou de grands événements. lnvoquant la note du patron de la DOPC, les poulets récupèrent et conservent toutes les images souhaitées. Buffet à volonté !
Cuisiné par les « bœufs-carottes », le patron de Synapse, poursuivi dans le dossier Benalla pour « détournement d’images de vidéoprotection » et « violation du secret professionnel », a juré ne pas savoir que cette pratique était interdite. Mieux : à l’en croire, tous les pontes de la PP étaient dans la même ignorance. Seul le directeur de l’ordre public a reconnu sur procès-verbal, et du bout des lèvres, « une difficulté juridique ». Mais il a fini par làcher le morceau : « C’est une pratique qui concerne toutes les directions de la Préfecture de police qui ont accès au PVPP (systéme de vidéosurveillance de la Préfecture). » D’habitude peu répressive, la Cnil va-t-elle aller jusqu’à punir les directeurs de la PP en les privant du joystick qui leur permet, depuis leur bureau et zoom à la clé, de piloter n’importe laquelle des caméras qui surveillent la capitale ? Ce serait affreux !
Résumons :
Si seulement cela peut servir de leçon à toutes les personnes qui ordonnent la pose de toujours plus de caméras dans l'espace public tout en nous promettant que les vidéos seront stockées de manière sécurisée (quoi que ça veuille dire), que leur consultation ne sera pas open bar car il y aura un registre de consignation, qu'elles seront seulement extraites et visionnées sur réquisition judiciaire, etc. Pipeau. En voici une démonstration parmi tant d'autres.
Les policiers parisiens qui ont accès aux images captées par les 36 169 caméras installées dans les rues, le métre, les grands magasins ou les sous-bois sont censés être eux-mêmes surveillés de près. Depuis 2009, un comité d’éthique — composé de persannalités et d’élus nommés par la Ville de Paris et par la Préfecture de police (PP) — est chargé de traquer les abus et de veiller au respect de la vie privée des millions de personnes filmées chaque année. Sauf que ce comité, créé à la demande de l’équipe Delanoë, semble plus tenir du guignol que du gendarme…
Depuis neuf ans, ses membres n’ont réussi à pondre que deux rapports d’activité, dont le plus récent date de… 2014. Ils ne se sont même quasiment jamais réunis en 2015 et en 2016, malgré les plaintes récurrentes des élus Verts au Conseil de Paris. Depuis, un miracle est survenu : comme l’avoue pudiquement la Mairie, le comité fonctionne « de nouveau depuis le 2 février 2017 ».
« Fonctionne » est un bien grand mot : ses membres sont dénués de tout pouvoir. Ils n'ont pas le doit de farfouiller dans les ordinateurs de la Préfecture ou de regarder les images archivées dans la salle de commandement de la PP, reliée aux 36 000 caméras.
En pratique, leur compétence se limite à traquer les caméras qui sont en positien de filmer l’intérieur des appartements (c’est iliégal) et à défendre le droit d’accès des citoyens aux images qui les concernent (une centaine de demandes par an). Et, pendant que le comité d’éthique joue les utilités, le parc de caméras grossit. Depuis 2009, elles ont été multipliées par environ 33 ! Avec l’aide discrète de la Mairie de Paris, qui a obligeamment branché sur la Préfecture ses propres appareils installés dans des parkings et des cités HLM. Mais aussi la collaboration de la RATP, de la SNCF et des patrons de centres commerciaux.
En toute « éthique », bien entendu…
Encore un contre-pouvoir bien utile, tiens…
Dans le Canard enchaîné du 1er août 2018.