Les revers de la médaille des taux d'intérêt négatifs.
Le Canard ne le mentionne pas, mais ces taux négatifs affectent également les fonds de pension et de retraites (car, comme tout le monde, ils sont contraints de prêter à taux négatif l'argent des retraites des Américains ou de l'assurance-chômage des Français). Cela affecte les créanciers par une érosion monétaire (ils prêtent, à un État, par exemple, en acceptant d'avance une perte partielle, c'est ce que signifie un taux négatif), qui est renforcée par la composition des taux d'intérêt (les intérêts générés l'année N sont soumis à des intérêts l'année N+1 qui eux-mêmes…), ce qui réduit la capacité (et la volonté) d'un acteur à investir. Les gestionnaires d'actifs / de patrimoine ne parviennent plus à justifier leur commission (comment justifier une commission sur des placements qui rapportent rien ?). La seule issue est de continuer à endetter, donc les établissements financiers financent des États, des particuliers et des sociétés commerciales défaillants… ce qui augmente leurs risques d'une perte totale et fait courir un risque global sur l'économie, comme un effondrement massif de sociétés commerciales ou de particuliers sur-endettés. Source : L'explosion des banques ?.
C'est l'histoire d’un banquier qui se transforme en Père Noël. Au printemps 2014, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE) — prochainement remplacé par Christine Lagarde -, décide subitement d’inonder l’Europe d’argent à bon marché. Pourquoi tant de générosité ? D’abord pour relancer la croissance européenne, écornée par la crise de 2008 : avec ce déluge d’oseille et des taux de crédit quasi nuls — voire négatifs —, les entreprises vont investir à tour de bras, et les individus consommer jusqu’à plus soif. Ensuite, Draghi entend éviter le naufrage d’un pays européen surendetté. La Grèce, l’Italie, l’Espagne — la France ? — trouveront ainsi les fonds pour financer leurs énormes déficits.
C'était aussi pour relancer la machine après la crise de l'euro de 2011-2012. Les États étant considérés, par les marchés financiers, comme étant sur-endettés par le sauvetage des mêmes banques en 2008, ils ne pouvaient être perçus comme des garants crédibles, donc il fallait un autre rempart. Ce sera l'émission de prêts à long terme (LTRO) par la BCE (1 000 milliards d'euros). Ces prêts sont un cache-misère court-termiste inapte à résoudre une crise de sur-endettement qui se dénoue forcément sur le long terme (car il y a une pyramides de créanciers qui s'écroulent en cascade en cas de non remboursement) comme celle de 2008. Entre 2015 et fin 2018, la BCE a donc racheté pour environ 2 600 milliars d'euros de créances aux acteurs financiers privés (quantitative easing). Ce rachat est la source des taux négatifs.
Un temps efficace, la recette ne marche plus aujourd’hui. La croissance européenne est repartie àla baisse, et de nombreux citoyens constatent au quotidien que la gratuité peut coûter cher…
Bilan.
L’immobilier (dé)coince la bulle
Bons pour l’immobilier, les taux bas ? Certes, à 1,20 % en moyenne pour un prêt sur vingt ans (« meilleur-taux.com », 7/10), la facture de l’emprunteur a diminué de plus de la moitié en cinq ans. Sauf que ces taux bas provoquent une ruée des acheteurs : un record absolu de 1 million de ventes a été battu cette année. La hausse des prix — féroce — qui l’accompagne ressemble à une bulle financière. A ce sujet, la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) a récemment publié une cruelle étude.
Oui, le pouvoir d’achat immobilier des ménages a grimpé : avec la même mensualité de remboursement, ces derniers peuvent souscrire un crédit d’un montant 23 % plus élevé qu’en 2005. Mais le mètre carré, lui aussi, a flambé. Depuis 2016, la capacité d’emprunt ne progresse plus du tout. Elle a même chuté d’environ 10 % dans des villes où la demande est forte — tels Paris ou Lyon. Merci l'inflation !
Une épargne que rien n’épargne
Adieu, le placement de père de famille lucratif et sans risque ! Le malaise a commencé avec le Livret A (300 milliards de dépôts), dont le taux dépend de celui des prêts entre banques « au jour le jour ». Ce dernier étant négatif, confier ses sous au Livret A devrait — en appliquant mécaniquement la règle de fixation des taux — rapporter royalement 0,3 %. Le sujet étant explosif, Bercy maintient un rendement de 0,75 %, mais pourrait le raboter à — 0,5 % au printemps . Inflation déduite, l’heureux épargnant pourra perdre chaque année 0.6 % de son nécule. Tentant !
Pour l’assurance-vie en euros — 1 400 milliards, soit le tiers de l’épargne des Français —, c’est la même dégringolade. Normal : les fonds sont investis en obligations d’Etat françaises, donc à - 0,3 %. En puisant dans leurs réserves, les compagnies d’assurance-vie verseront, cette année encore, entre 1 et 1,50 % d’intérêt (soit moins que les 1,80 % d’inflation de 2018). Mais ces largesses ne vont pas durer.
Des clients qui banquent toujours plus
Leurs taux faméliques ne couvrant pas les frais de gestion, les prêts immobiliers ne rapportent plus rien aux banques. Conséquences ? D’abord, depuis le début de l’année, une purge sur l’emploi : 50 000 postes ont été supprimés dans des établissements européens tels que la Société générale, Commerzbank, Deutsche Bank, UniCredit. Le client dérouille aussi : plusieurs banques ont annoncé qu’elles entendaient frapper d’un intérêt négatif (environ 1 %) les dépôts trop cossus : supérieurs à 1 million il y a un mois, à 100 000 euros aujourd’hui. En France, « il n’y a pas de décision prise » à ce sujet, assure un porte-parole du Crédit agricole. Pour le moment.
Les frais bancaires, eux, n’ont pas attendu, même si, gilets jaunes obligent, Macron a exigé leur gel temporaire en 2018. Selon la Banque de France, ils ont augmenté de 166 % entre 2012 et 2017.
Dans le Canard enchaîné du 23 octobre 2019.