D’un côté, les lecteurs font fête à « La vie secrète des arbres », qui raconte comment ceux-ci communiquent entre eux par leurs racines et s’envoient des messages par champignons interposés. De l’autre, les pouvoirs publics donnent partout le feu vert (si l’on peut dire) aux ratiboisages massifs : haro sur le bois Lejuc pour y creuser, près de Bure, la plus grande poubelle nucléaire du monde ; sur la forêt de Kolbsbeim, près de Strasbourg, pour y faire passer une nouvelle autoroute ; sur la forêt de Roybon, dans les Alpes, pour y installer un Center Parcs rutilant et chacune de ces forêts devient un « territoire en lutte » (1)…
D’un côté, on clame partout que les forêts sont les amies du climat puisqu’elles absorbent moult quantités de C02. De l’autre, le gouvernement fait tout pour transformer l’ONF, qui gère un quart des forêts françaises, en une entreprise qui sacrifie tout à la rentabilité, notamment ses missions de service public (entretien, prévention des incendies, information du public), pour se concentrer sur la production et la vente de bois, planter des douglas (résineux à pousse rapide) partout et, au passage, rendre la vie impossible à ses 9 000 salariés (une cinquantaine de suicides depuis 2005) et mieux les virer (226 postes supprimés l’an prochain) (2)…
D’un côté, le gouvernement s’apprête à lancer à grand tapage le plan d’une — attention les yeux — « stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée » (SNDI), qui ambitionne de faire en sorte que nous autres Français ne soyons plus responsables de la destruction annuelle de 14,8 millions d’hectares de forêt tropicale : le soja dont se nourrissent nos bovins, l’huile de palme dont sont farcis nos aliments, le caoutchouc de nos pneus, etc., tout cela vient de terres conquises sur la forêt (3). De l’autre, ce même gouvernement autorise le champion du CAC 40 Total à importer jusqu’à 550 000 tonnes d’huile de palme dans son usine de La Mède (Bouches-du-Rhône).
Mieux encore : ce plan a toutes les chances de n’être qu’un catalogue de vœux pieux, comme le redoute Clément Sénéchal, de Greenpeace (« Le Monde », 26/8). Ayant consulté sa première mouture, il note que, contrairement à son engagement auprès de l’ONU consistant à mettre un terme à la « déforestation importée » en 2020, le gouvernement a repoussé l’échéance de dix ans. Pratique : en 2030, il ne sera plus aux manettes ! Il note que, en plus, ce plan, qui se gargarise de « finance verte », ne prévoit aucune sanction, aucune mesure réglementaire, ne fixe aucun calendrier de réduction de notre dépendance au soja, n’évoque même pas la baisse de la consommation de viande et de produits laitiers : « Ce texte condense tous les vices classiques des tentatives écologiques en milieu ultralibéral, pour aboutir, in fine, à une démission lamentable de la puissance publique. » Auprès de mon arbre…
(1) « Etre forêts, habiter des territoires en lutte », par Jean-Baptiste Vidalou, Zones, 2017.
(2) « Nos forêts en danger », par Alain-Claude Rameau, Atlande, 2017.
(3) Le WWF vient de sortir un rapport accablant sur la « Déforestation importée ».
Un condensé de quelques compromissions que certain⋅e⋅s osent encore nommer « compromis ».
Dans le Canard enchaîné du 14 novembre 2018.