Le projet de loi de finances 2020 prévoit d'augmenter le budget pour les écoutes administratives (embauche de 12 personnes, 20 % de hausse du budget d'investissement). La CNCTR, l'autorité indépendante chargée de surveiller les services de renseignements et les écoutes administratives verra son budget diminuer de 5 % alors qu'elle peine déjà à remplir sa mission… Les fonds spéciaux (permettant aux services secrets de monter des opérations) augmenteront de 14 % pour atteindre 77 millions, soit 9 de moins que ce qui a été claqué en 2017 (86 millions). Le service de promotion du gouvernement pourra embaucher 14 personnes supplémentaires.
Le Premier ministre a refilé une partie de ses dépenses aux militaires.
Des finances stables en apparence. Et, derrière, un joli paquet d’oseille habilement planqué… Tel est le budget — en trompe-l’œil — de Ma-tignon inscrit au projet de loi de finances 2020.
Sur le papier, le Premier ministre est censé bénéficier d’une hausse de moyens minuscule. La « coordination du travail gouvernemental » est ainsi gratifiée de 692,57 millions en 2020, contre 692,14 millions cette année. Sauf qu’un jeu de bonneteau lui a permis de glisser sous le matelas pas mal de millions.
Ces dernières années, Matignon jouait les vertueux et invoquait la transparence financière pour faire payer sur son propre budget tous les fonctionnaires mis à disposition par d’autres ministères. Ce n’est plus le cas désormais. Comme l’indique une discrète phrase du projet de loi, Edouard Philippe a décidé de « ne plus procéder au remboursement du ministère des Armées ».
A en en croire les experts, les frais de personnel ainsi économisés représentent au minimum 17 millions d’euros. Impossible d’en savoir plus. Sollicités par « Le Canard », les services du Premier ministre affichent une discrétion de banquier suisse.
Oseille dans les grandes oreilles
L’argent mis à gauche profitera — entre autres — aux grandes oreilles du Groupement interministériel de contrôle (GIC). Chargé des écoutes administratives, le GIC pourra embaucher 12 personnes supplémentaires et dépenser près de 20 % de plus pour ses joujoux électroniques. En revanche, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, censée surveiller le GIC, verra ses moyens diminuer de 5,26 %. Cherchez l’erreur…
Les fonds spéciaux (l’argent secret consacré aux services du même nom) bénéficieront, eux, d’une augmentation de 14,3 %, pour un total de 76,8 millions. Et — grâce aux traditionnelles rallonges en cours d’année — la hausse ne va sans doute pas s’arrêter là.
Surprise du chef : les sommes réellement versées aux services de renseignement sont désormais secret-défense ! « Elles [pourraient] intéresser des services étrangers », tente de justifier le président de la commission de vérification des fonds spéciaux, le député macroniste Loïc Kervran, dont le rapport sur l’année 2017 vient d’être censuré par le gouvernement. « Le Canard » est pourtant en mesure de révéler ce secret d’Etat a ses lecteurs. Pour le découvrir, il lui a suffi d’ouvrir le tome 2 du rapport de la commission des finances du Sénat consacré aux comptes de 2017 et rempli de chiffres fournis par Matignon. Accessible en ligne, ce document précise que les fonds spéciaux réellement dépensés en 2017 se sont élevés à 86 080 000 euros (pour des crédits initiaux de 67 151 927 euros). Chut !
Le Service d’information du gouvernement, chargé depuis des lustres de porter la bonne parole ministérielle aux Français, profitera également de la discrete hausse de crédits. ll va pouvoir embaucher 14 personnes en 2020 (avec un plafond de 88 emplois à plein temps) et consacrer 14,3 millions (1 million de mieux) à ses activités.
Lesquelles ? Matignon assure qu’il s’agit de mettre au point « des techniques innovantes d’analyse sur les résultats des sondages et de rendre plus performantes les activités de communication ». Quelle façon élégante de désigner la propagande gouvernementale…
Dans le Canard enchaîné du 9 octobre 2019.