Avec les nouvelles mesures sanitaires, une partie du service informatique de mon taff est sommé d'assurer le bon fonctionnement de nos systèmes internes de visioconférence avec un nombre élevé et inhabituel d'utilisateurs.
À la pause, un collègue me demande pourquoi nous n'achetons pas des licences Zoom comme le fait une organisation 10 fois plus grosse que nous. Au moins, aucun risque de décevoir (effet marque : "j'ai choisi une marque connue, c'pas ma faute si ça foire"). Au moins, pas de boulot de préparation de l'infrastructure à effectuer dans l'urgence. Au moins, on ne se ferait pas emmerder par la direction (je cite, je ne me prononce pas sur la véracité de l'affirmation).
Tout cela est vrai.
Oui, à chacun de ses besoins, l'organisation citée par mon collègue y fait correspondre une solution clé-en-main. Pas le temps, pas les effectifs, il faut raisonner sur une masse conséquente d'utilisateurs, etc.
Oui, l'externalisation est toujours la facilité. En apparence. Il faut formaliser le besoin. Il faut démarcher. Il faut comparer. Il faut contractualiser. Il faut suivre la prestation. Il faut l'intégrer à ton système d'information (aujourd'hui, on dit pudiquement « développer des connecteurs »). Il faut ouvrir des demandes d'assistance (il y a toujours au moins un truc qui foire, toujours). Relancer. Suivre. Effectuer les tests demandés. Quand ça tourne mal, l'engagement d'un contentieux est souvent peine perdu, donc l'organisation retrouve jamais ses billes. Tout cela représente une quantité de taff et de fric. Au final, des compétences sont centralisées chez peu d'acteurs (qui, du coup, se permettent toutes les mauvaises pratiques possible, joie des oligopoles), ça dévitalise les organisations de taille moyenne (donc ça centralise certains boulots dans peu de lieux géographiques, ce qui entraîne d'autres problèmes, de transport, de cadre de vie, de santé ‒ stress, pollution ‒, de coût de l'immobilier, etc.), tout ça pour ne pas être nécessairement plus rentable d'un point de vue strictement économique. Génie.
Mais, au fond du fond, il n'y a pas d'absolu, chacun voit midi à sa porte.
Au final, ce qui compte, c'est la vision que chacun a de son métier. Je n'ai pas envie d'être une personne qui passe des commandes à longueur de journée, qui ne comprend pas comment fonctionne réellement le service qu'il propose à ses utilisateurs, et qui, au moindre problème, se contente de faire une demande d'assistance au prestataire, de pondre un message d'information pour ses utilisateurs et d'attendre. Quelle vie bien triste, je trouve.
Le corollaire de ça, c'est que ça demande des gens compétents et passionnés, qu'il faut garder compétents et passionnés (environnement de taff, ambiance, thune, etc.). Ça demande du temps (donc la réaction dans l'urgence, on repassera). Ça exige de faire confiance. Du côté des grouillots de base, ça demande de se sortir les doigts (ou de convaincre que ça sert à rien d'hurler à la crise au moindre pet de mouche, parce qu'entre le terrorisme, le covid, les casseurs, etc., nous sommes très souvent en guerre si l'on écoute les trouducs d'en haut ou les voisins, collègues, etc., mais, ça, c'est peine perdue). Ça demande de prendre des risques. Ça demande d'avoir une estime de soi et de ses activités (je ne suis pas qu'un pion dans un taff sans intérêt, dans un système que je ne comprends pas). Ça demande de gérer la frustration (même en essayant de me maintenir à niveau, je galère sévèrement à appréhender et à faire évoluer le système d'information sur lequel j'interviens tous les jours). Il ne suffit pas de gueuler à la préservation de nos emplois, il faut agir (et pas qu'en mangeant des merguez sur le parking bloqué du lieu de taff ‒ c'est important, mais c'est trop tard et insuffisant ‒).
J'exige qu'on comprenne et respecte mon choix. Et ça, ce n'est pas gagné.