À la fin, ces printemps arabes nous fatiguent. Le dernier de la liste a fleuri le 11 avril, au Soudan, lorsque la rue a chassé le dictateur islamo-militariste Omar El Béchir (trente ans de règne), après des mois de manifestations. Jusque-là, tout allait bien. L’opinion internationale s’est souvenue que Béchir avait mené trois guerres. La première, contre les chrétiens du Sud (1983-2005 — 2 millions de morts). La deuxième, contre diverses ethnies du Darfour, dans l’Ouest, a débuté en 2003 et a causé plus de 300 000 morts, selon l’ONU. La troisième, en cours elle aussi, a éclaté en 2011 dans les régions méridionales du Kordofan et du Nil bleu, pour le contrôle des ressources pétrolières. Elle a fait des milliers de victimes et de déplacés.
L’éviction du sanguinaire Béchir, longtemps sous la coupe des intégristes musulmans, protecteurs de Ben Laden, était plutôt réjouissante. Les manifestants réclamaient la démocratie et avaient fait d’une femme le symbole de leur soulèvement. Mais, depuis, le conflit dure et l’attention faiblit.
Début juin, les troupes paramilitaires du général Hemetti (tristement célèbre au Darfour) ont commencé à nettoyer les rues. Ses Janjawids ont torturé et liquidé les opposants dans des centres de détention secrets, jeté les cadavres dans le Nil (120 morts « officiels » à ce jour) et arboré, raconte « Le Monde » (7/6), les culottes des femmes violées. En Occident, les cris de protestation n’ont pas été perçants. Lassitude, donc, et gêne aussi : les Européens se sont souvenus qu’ils avaient conclu avec le Soudan un accord pour limiter l’immigration (« L’Humanité », 7/6). Et qui dirigeait les milices chargées de surveiller les frontières ? Hemetti.
Autre rappel : les « protecteurs » du conseil militaire de transition de Khartoum sont des partenaires de l’Europe, notamment de la France. Pas des amis, non, ni des démocrates ! Mais de bons clients pour nos industries d’armement : Egypte, Emrats arabes unis, Arabie saoudite.
Alors les regards se détournent, et on attend le clap de fin. Il faut savoir terminer une révolution. Pas trop salement, SVP.
Dans le Canard enchaîné du 12 juin 2019.