Les amateurs d’agriculture sans chimie n’ont jamais été aussi nombreux. Pourtant, l’Europe élargit les mailles du filet. Et tolère les pesticides, avec l’appui de la France.
En voilà une initiative judicieuse alors que le bio est en plein boum : alléger les contrôles sur la filière ! Au creux de l’été, l’info est passée quasiment inaperçue. Un nouveau règlement européen sur le bio prévoit de diviser par deux le nombre d’inspections dans les fermes. Une idée de génie, venue de Bruxelles, au moment où, en France, les ventes décollent. En 2016, elles ont fait un bond de 20 %, pour atteindre 7 milliards d’euros.
Que veux-tu, il faut bien que business se fasse. Cette décision s'inscrit parfaitement dans la logique libérale : si ça n'a aucune chance de décoller, on taxe / contrôle à mort à la demande des sociétés puissantes sur le marché qui ne veulent pas perdre leur place à cause de l'arrivée de produits qu'elles n'ont pas au catalogue. Si ça commence à décoller et que les gros du marché se sont à peu près adaptés, alors on lève les barrières à la demande de ces mêmes grosses sociétés afin que business puisse se faire en quantité industrielle sans trop se préoccuper de la dénaturalisation du concept initial.
Afin de repérer les tricheurs, neuf à organismes certificateurs sont aujourd’hui sur le pont. Ces gendarmes du bio épluchent les dossiers de candidature et renouvellent - ou non - les licences octroyées pour trois ans. Chaque année, une centaine de suspensions ou de retraits du précieux sésame sont ainsi décrétés.
Sauf que Bruxelles a décidé d’espacer le rythme des visites. Parions que, ce 20 septembre, le ministre de l’Agriculture, en visite au salon Tech&Bio, dans la Drôme, se montrera discret sur cette fâcheuse décision, validée par Paris. Les exploitations qui n’auront pas fait parler d’elles trois années de suite ne verront plus passer le certificateur que… tous les deux ans. Rassurant, quand on se souvient que les œufs bio n’ont pas été épargnés par le scandale du fipronil !
Label affaire
Décidément indulgent, le nouveau règlement néglige une curiosité du système qui rend perplexes les vrais amateurs d’agriculture durable : s’il reste possible de produire en même temps sur sa ferme du bio et du non-bio, c’est à condition que les espèces animales ou végétales concernées soient « différentes et distinguables à l’œil nu ». Au risque, notamment, de provoquer la dissémination des pesticides d’une parcelle a une autre.
Et ce n’est pas forcément la DGCCRF, le gendarme français de la consommation, qui va séparer le bon grain de l’ivraie. « Le Canard » a eu accès au chiffre des prélèvements réalisés par cette administration sur le bio : 230 par an pour 32 264 producteurs français !
En 2009, le label tricolore « AB » a déjà pris un coup dans l’aile. Sous prétexte d’harmoniser les règles, Bruxelles a imposé un label européen avec un cahier des charges allégé. L’acheteur d’un poulet portant l’estampille européenne n’imagine sûrement pas qu’il a été élevé dans un poulailler où les pauvres bêtes, soumises à une promiscuité invivable, sont souvent privées de bec pour ne pas s’étriper. Ou encore que, dans les écloseries pour poules pondeuses, les poussins mâles jugés inutiles sont broyés vivants. Et se doute-t-il que des pondeuses bio peuvent avoir dans leur gamelle jusqu’à 5 % d’aliments non bio et 0,9 % d’OGM ?
Mais il y a mieux : le label bio européen ne certifie pas l’absence de pesticides ! « La réglementation européenne impose au paysan une obligation de moyens, pas de résultats », explique Cécile Guyou, déléguée générale de Bio Cohérence, un logo privé respectant les critères d’antan.
Pesticides comestibles
Autrement dit, une salade ou un melon accidentellement contaminés par des résidus de pesticides peuvent être vendus comme des produits « purs », à condition que les résidus chimiques qu’ils contiennent ne dé- passent pas un certain seuil, considéré comme dangereux pour la santé.
Au début de l’été 2017, la Belgique et l’Italie ont bien tenté d’imposer que tout produit bio « pesticidé » soit « décertifié », mais une majorité d’Etats membres — la France en tête - a enterré le projet !
Selon le rapport publié cette année par l’Efsa, le gendarme européen de nos assiettes, plus de 14 % des aliments bio contrôlés contiennent d’ailleurs d’es résidus d’insecticides, d’herbicides et de fongicides. Les produits « conventionnels », eux, flirtent avec 97 % d’échantillons chimiquement positifs.
De là à faire payer le bio deux fois plus cher au consommateur…
Dans le Canard enchaîné du 20 septembre 2017.