Ouais, j'ai encore décidé de perdre une partie de mon après-midi de repos à contacter mon représentant qui m'ignore (c'est toujours mieux que sa prédécesseuse, qui, de visu, marquait clairement son ennui et son jemenfoutisme) au sujet du projet de loi relatif au renseignement dont l'examen par l'Assemblée commencera demain.
« Monsieur le Député,
Je fais suite à mon mail « À propos du projet de loi relatif au renseignement » du 01/04/2015 dont je n'ai pas reçu de réponse de votre part. Même si je déplore ce fait, je souhaite une nouvelle fois vous exposer mes craintes justifiées et mes arguments contre ce projet de loi.
Le projet de loi relatif au renseignement a été amendé en commission des lois au début du mois d'avril et sera examiné en séance plénière à partir de demain (lundi 13 avril à 16h).
Malgré les amendements adoptés, ce projet de loi n'est toujours pas satisfaisant pour les raisons suivantes (liste non exhaustive et personnelle) :
* Les finalités pour lesquelles le recours aux techniques de renseignement sera autorisé ainsi que les services de l'État qui pourront utiliser ces techniques de renseignement ont déjà été étendus et élargis en commission des lois alors que ce texte n'est pas encore en vigueur. Cela laisse craindre des élargissements futurs qui, comme les finalités actuelles, seront à même de porter atteinte, de manière injustifiée, à des mouvements sociaux et politiques légitimes et, de manière plus générale, à tout citoyen ;
* Un grand flou entoure toujours les fameuses boîtes noires qui seront installées au coeur des réseaux des fournisseurs d'accès à Internet, des fournisseurs de services et des hébergeurs informatiques français et dont les algorithmes (dont il n'est toujours pas dit s'ils seront vérifiés et par qui ils le seront) devront identifier des comportements suspects (qu'est-ce qu'un comportement suspect ? qui en décidera ?). Ces dispositifs peuvent conduire uniquement à l'auto-censure des citoyens et à des dérives totalitaires sans précédent.
* La durée de conservation des données de connexion des personnes identifiés par un algorithme (5 ans) est totalement démesurée puisque ces données permettent de tracer l'intégralité d'une vie (contacts, fréquences et durée des échanges, sites web consultés, démarches effectuées, opinions, préférences (religieuses, politiques, sexuelles,,...). Pour rappel, la Cour de justice de l'Union européenne a sabré la directive de 2006 sur le stockage des données de connexion par les fournisseurs d'accès à Internet/fournisseurs de services Internet au motif d'une durée de conservation trop longue alors qu'elle est d'un an ;
* La CNCTR, commission chargée du contrôle légal des techniques de renseignement, manquera de pouvoir, de moyens, de temps et ne pourra donc pas exercer son activité de manière à garantir la sûreté (au sens de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789) aux citoyens. Cette commission est consultative (le Premier ministre peut l'ignorer) et elle ne peut faire directement stopper les activités illégales qu'elle constate (elle doit passer par le Premier ministre puis par le Conseil d'État). L'étude d'impact est indigente sur l'évaluation budgétaire. Dans tous les cas excépté les demandes d'autorisation, il faut que la commission soit à l'initiative de la récupération des données/documents lui permettant d'effectuer son travail. La composition de cette commission laisse craindre un vrai manque de temps dans l'agenda professionnel des personnes qui la compose (députés, sénateurs, magistrats) pour mener à bien les missions qui lui sont confiées ;
* Ce texte confie toujours l'intégralité du pouvoir et du décisionnel à l'exécutif, ne fait toujours pas appel au pouvoir judiciaire pour contrebalancer cet immense pouvoir et ne met toujours aucune vraie garantie pour éviter les dérives sauf pour quelques professions sensibles (avocats, parlementaire, journaliste) et uniquement contre les techniques les plus "violentes" comme les IMSI catcher ;
* Le citoyen dispose toujours d'aucun vrai recours : tout est couvert par le secret défense donc il ne se sait pas surveillé, il faut un motif pour saisir la CNCTR (« intérêt direct et personnel »), la CNCTR et le Conseil d'État répondent uniquement avec une sorte de lettre type "aucune illégalité n’a été commise", le droit d'accès indirect (via la CNIL) est raboté pour répondre au besoin du secret défense,...
Par ailleurs, je vous invite à lire l'interview suivante, de M. Octave Klaba, CEO de l'entreprise française OVH, troisième hébergeur informatique mondial : <
http://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/0204293839757-octave-klaba-en-pologne-communiste-jai-connu-ce-genre-de-regime-1110227.php>. Pour vous y inciter, je me permets la citation de deux passages clés de cet interview :
* « Qui prend cette décision ? Dans quel cadre ? Tout cela doit être encadré par un juge. En tout cas, le projet de loi va permettre la surveillance de masse de la société française. Peut-être qu’en venant de Pologne communiste, je sur-réagis. Mais j’ai connu ce genre de chose dans mon enfance. C’était il y a à peine 25 ans. On est proche des pires régimes. En Chine, c’est une réalité. Il y a une énorme incohérence entre l’objectif et les méthodes utilisées. »
* « Nous avons annoncé un plan d’investissement de 400 millions d’euros sur trois ans. Nous devons décider d’ici à septembre comment répartir cette somme et où investir. Si la loi est votée, nous irons mettre nos serveurs ailleurs. Actuellement, en France, nos principaux « data centers » sont situés à Roubaix, à Gravelines et à Strasbourg. Si la loi passe, nous irons de l’autre côté de la frontière au Royaume Uni, en Allemagne… Si nous ne le faisons pas, il faudra nous résoudre à voir nos clients partir : 40 % de notre activité concerne des clients étrangers (de Singapour, des Etats-Unis, d’Italie, etc.). Les Allemands, pour des raisons historiques, sont très soucieux de ces questions de surveillance. »
De plus, je vous invite à lire l'article de presse suivant dont je partage totalement la prise de position : <
https://reflets.info/pjlrenseignement-le-pistolet-qui-tire-dans-le-pied-des-politiques/>. Je me permets une fois de plus de citer l'essence de ce texte :
* « Lorsque les révélations du Monde sur l’affaire Woerth-Bettencourt deviennent gênantes pour le pouvoir en place, l’équipe de Nicolas Sarkozy, alors président, demande au patron du renseignement intérieur d’identifier la source du Monde. Sans procédure judiciaire, les services vont se procurer les fadettes (les listes détaillées des appels téléphoniques) des journalistes du quotidien du soir. [...] L’affaire est jugée et Bernard Squarcini, condamné pour cela. »
* « Et demain, avec des grosses « boites noires » bardées d’algorithmes [...] placées chez les FAI, que va-t-il se passer ? Rappelons que pour fonctionner, les algorithmes prédictifs des services de renseignement devront analyser les données. Ces données, ce sont tous nos échanges [...]. Ce qui va se passer, c’est que très probablement, l’exécutif aura a sa discrétion un outil lui permettant de tout savoir sur à peu près n’importe qui. Massif ou pas, chalut ou harpon, peu importe. L’outil est là et peut cibler telle ou telle personne avec une précision chirurgicale et une efficacité totale. »
* « Lorsque l’alternance aura joué, les responsables de l’opposition seront à la merci d’un nouvel exécutif et de ses boites noires. Bien entendu, on a peu de mal à entrevoir ce que ferait le Front National avec un tel outil. Mais il ne faut pas non plus beaucoup d’imagination pour évaluer ce qu’en feraient [...] Nicolas Sarkozy, Claude Guéant ou Brice Hortefeux… »
Enfin, je souligne à nouveau que plus de 30 organisations et personnalités qui vont bien au-delà du militant ont exprimé de sévères critiques à l'encontre de ce projet de loi voire s'y sont fermement opposés. Ces organisations vont du secteur économique (les hébergeurs informatiques OVH, Online, Gandi, l'Association des services Internet communautaires, ...) à des personnalités (Jean-Marie Delarue (CNCIS), Marc Trévidic (juge antiterroriste),...) en passant par des syndicats et regroupements professionnels (le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat national des journalistes, l’Ordre des avocats de Paris, le Syntec Numérique,...), des associations de défense des libertés (La Quadrature du Net, Amnesty International, Reporters Sans Frontières,...) et des institutions (CNIL, ARCEP, la Commission du numérique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme,...). Pour moi, c'est un marqueur fort indiquant que ce texte n'est pas mûr et doit encore être discuté.
Je vous demande expressément à nouveau de prendre une position ferme et d'agir en faveur des libertés, de rejeter ce texte tant que les points problématiques n'ont pas été résolus (restreindre les finalités, supprimer les boîtes noires, organiser un vrai contrôle des services de renseignement, apporter de solides garanties aux citoyens, ...) et de faire naître et grandir un débat construit, rationnel et démocratique au sein de notre Assemblée.
Cordialement. »