3 petites histoires des services de renseignement français issues du Canard du 29 juin 2016.
Des fichiers dont tout le monde se fiche
[...] À deux pas des Champs-Elysées et à trois de la Place Beauvau, deux jeunes hommes occupés à vendre à la sauvette des denrées périssables aux noctambules sont surpris par la police. Un banal contrôle de routine. Les flics du commissariat du VIIIe arrondissement vérifient leur identité.
L’un est inconnu des services. L’autre, âgé de 25 ans, se prétend entrepreneur dans la restauration. Il est surtout fiché S, pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Il s’agit de Larossi Abballa, l’homme qui, au nom de Daech, assassinera trois mois plus tard, le 13 juin, un couple de fonctionnaires de police à leur domicile.
Les flics procèdent à son interpellation et suivent à la lettre les consignes. La fiche S précise : « prévenir le service émetteur ». Suit un numéro de téléphone de la DGSI. A deux reprises, les poulets du VIIIe téléphonent. Ils attendent qu’un collègue leur donne des ordres, leur indique la conduite à tenir. Menotter Abballa ? Le mettre au gnouf ? Le surveiller sans attirer l’attention ? Ou simplement le laisser libre d’aller et venir ? Ils n’obtiendront aucune réponse. Comme dans la chanson, à la DGSI, « y a jamais person qui répond ». Pourtant, le patron du « FBI à 1a française » ne s’appelle pas Gaston !
« Ce n’est pas la première fois que ça arrive et ce ne sera pas la dernière, déplore un haut gradé. Une fois 22 heures passées, il n’y a plus personne au téléphone a Levallois, et rarement quelqu’un avant 7 heures. C’est d’autant plus grave que la plupart des terroristes auxquels nous avons eu affaire ces derniers temps sont fichés S. »
En septembre 2013, Abballa avait été condamné à 3 ans d’emprisonnement par le tribunal correctionnel de Paris dans une affaire de f1lière pakistano-afghane. Et il était suspecté d’avoir remis le couvert récemment. Ainsi, depuis le 11 février, il était placé sur écoute. Comme il l’a confié à sa petite amie, il le savait parfaitement.
Un suspect écouté, mais qui se tait, et un service qui n’écoute pas : tout va pour le mieux, dans la police...
Limites des humain-e-s. Automatisons la police et la justice avec des algorithmes ? Je suis ironique, bien entendu.
Abdeslam, le raté
A commission d’enquête parlementaire sur le terrorisme doit rendre publiques ses propositions le 12 juillet. Durant près de 200 heures d’auditions Georges Fenech (UAIP‘) et Sébastien Pietrasanta (PS') se sont efforcés de comprendre les « loupés » de la traque antiterroriste. Ils ont ainsi établi que le « cerveau » du Bataclan, Salah Abdeslam, avait bien été contrôlé par les gendarmes, à Cambrai, le 14 novembre à 9 h 10, à bord d’une voiture de location, en compagnie de deux individus. Or, constatent les parlementaires, les services de police connaissaient, depuis 4 heures du matin, le type et l’immatriculation de la voiture louée par Abdeslam et ses complices. Encore « un trou dans la raquette ».
Erreur humaine, comme toujours.
Alerte pas très gay
Les grands chefs de la DGSI viennent d’avoir un sacré coup de chaud. Juste après la tuerie dans un club gay d’Orlando, aux États-Unis, l’une des têtes pensantes de l’état—major du « FBI à la française » s’est souvenue de tuyaux qui lui étaient récemment parvenus. Plusieurs sources assuraient que des terroristes envisageaient de frapper des clubs gays en France, symboles de l’Occident dépravé. Damned !
Ni une ni deux, l’élite des forces d’intervention est mobilisée. Durant quarante-huit heures, le week-end des 18 et 19 juin, plusieurs clubs du quartier du Marais, à Paris, sont placés sous étroite sur- veillance, et des snipers prennent même position sur les toits aux alentours. Heureusement, RAS. «Après le Bataclan, se lamente un officier de renseignement, on s’est souvenus que des prévenus avaient parlé à des flics et des magistrats d’une tuerie de masse dans une salle de concert. Après Orlando, on se rappelle avoir eu l’info d’une attaque contre les lieux gays. Nous avons les bons renseignements, mais nous ne savons pas les analyser ! »
Trop d'infos, tue l'info. Ce n'est pas tout de collecter des infos, il faut savoir les traiter au bon moment. Resortir les données collectées en masse après-coup, pour refaire l'histoire, n'est pas acceptable.
je trouve ces exemples intéressants quand on regarde après-coup la loi Renseignement et la loi sur la lutte contre la criminalité organisée et la reforme pénale : toujours plus de moyens de surveillance, de flicage, de surveillance de masse, pour les services de renseignement et pour les Magistrats. Et donc ? Tout ça pour quoi ? Les USA ont tout ça depuis le début des années 2000 et avant et ils se sont mangés des attentats et toutes sortes de tueries. Il reste les erreurs humaines, les limites des humain-e-s et le fait de donner du sens aux infos collectées…
On a donc ajouté des dangers supplémentaires à la démocratie, ceux induits par la surveillance de masse (autocensure, société du soupçon permanent donc sans confiance entre les individus ainsi que le fait que, même si les infos collectées ne sont pas utilisées au présent, elles peuvent l'être dans le futur soit pour nuire à des personnes (lanceur-ses d'alertes, entrée en politique, journaliste pénible, etc.), soit pour asseoir une version de l'histoire, soit pour prédire le passé (comme on le fait à chaque acte terrorisme, dire qu'on avait l'info pour augmenter les moyens et budgets de la surveillance), sans rien corriger des problèmes concrets du renseignement… Ça craint. :/