Le problème avec la théorie du ruissellement, c’est que beaucoup restent à sec. Si, avec la mondialisation, il y a moins de crève-la-faim, plus de riches meurent d’excès, et pas seulement pendant les fêtes. Les pauvres le sont un peu moins, mais les riches le sont bien plus, et les inégalités s’accroissent, la preuve par le premier rapport sur les inégalités mondiales rédigé par Thomas Piketty et une centaine d’économistes. Où l’on apprend qu’entre 1980 et 2016 le 1 % de la population la plus fortunée de la planète a capté 27 % des richesses mondiales produites, et les plus pauvres seulement 12 %.
Les inégalités augmentent, mais de façon très inégale. La palme revient au Moyen-Orient, où les 10 % les plus aisés s’arrogent 61 % des richesses produites. Les émirs qataris et autres princes saoudiens ne sont pas très partageurs. Pareil en Inde, où le système de castes continue de faire des émules. Comme au Brésil, en dépit du passage à la présidence de l’ouvrier Lula. Pas de quoi casser les Brics !
L’Afrique subsaharienne n’est pas mieux lotie, qui voit 10 % de la population s’arroger plus de la moitié des richesses. Aux Etats-Unis, c’est moins de la moitié (47 %). Mais le pays de Mickey et de Donald Trump est celui où les inégalités ont le plus progressé en trente-cinq ans. Les miliiardaires du Net, de l’informatique et du téléphone ne sont pas près de raccrocher.
Cent ans après la révolution bolchevique, la Russie, elle, a le triste privilège de faire aussi bien que les yankees en matière d’inégalités, merci camarade Staline. Et les Chinois ne sont pas loin : 10 % de la population se réserve 41 % des richesses. Sept cents millions de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté mais restent pauvres, merci camarade Mao.
La vieille Europe demeure le continent le moins inégalitaire de tous. Les 10 % les plus aisés ne se partagent que 37 % du revenu global. L’Etat providence n’a plus la cote, mais ses vertus redistributives se font toujours sentir. La progressivité de l’impôt n’a pas eu que des effets négatifs, et, comme le soulignent les auteurs, « les politiques publiques ont un fort impact sur les inégalités ».
Il fallait bien mobiliser 100 économistes pour le découvrir.
Dans le Canard enchaîné du 20 décembre 2017.