Ce livre du député-journaliste Ruffin se présente comme une lettre adressée au Président Macron pour lui présenter les gilets jaunes, et plus largement, la France du bas avec laquelle il a construit zéro lien.
Ce livre a rien d'original. Ruffin décortique le CV de Macron afin d'illustrer la déconnexion des élites. Cette partie est bigrement pertinente, je vais y revenir. Néanmoins, comme dans Fakir, le style de Ruffin est lourd. Des pages et des pages pour introduire une ouvrière. Une négation du vécu de Macron qui apporte rien (exemple : "t'es resté peinard derrière les murs protecteurs des différentes écoles que t'as fréquenté pendant que moi je me suis ouvert aux autres"). Le « moi, je » habituel de Ruffin. Parfois, je crois percevoir de la jalousie quand Ruffin évoque la belle gueule et le charme de Macron qui lui rendent la vie plus facile au lycée, ainsi que la prétendue « pauvreté » de son style littéraire. Je ne comprends pas en quoi tout cela aide la critique. En revanche, je mesure combien ça alourdit le bouquin.
Le nombre des interconnexions entre Macron et les politiciens, les médias et les industriels est impressionnant et le rappel de Ruffin est salvateur. Avec ça, Macron peut toujours prétendre, comme d'autres, qu'il s'est fait tout seul…
- Lors de son stage à la préfecture de l'Oise dans le cadre de ses études à l'ENA, il rencontre Henry Hermand, l'homme d'affaires à la trentaine de zones commerciales. Il lui ouvre son carnet d'adresses de la social-démocratie. Il accordera un prêt de 550 k€ à Macron pour financer l’achat de son premier appartement parisien. Il financera le mariage des Macron et en sera l'un des témoins :
- Macron fréquente le Bilderberg, où il y rencontre tout le gratin mais surtout le président Henri de Castries (président d'Axa par ailleurs) qui traîne aussi aux Bernardins, également fréquenté par Jean-Pierre Jouyet. C'est lui qui introduira Macron dans la campagne d'Hollande, lui qui suggérera son nom comme secrétaire adjoint de l'Élysée, lui qui poussera sa nomination au ministère de l'économie (il annoncera même sa nomination à Macron) ;
- Parisot a dit de Macron qu'il était un « précieux relais de la voix des entreprises » lors de son séjour à l'Élysée sous Hollande. Contre Delphine Batho, il relayait la parole de Spitz, le patron de la fédération des assureurs. Il s'obstinait déjà à réformer les prudhommes (il est l'artisan des parties les plus contestées de la loi Travail El-Khomri). Il est « architecte », « moteur » et « porteur » du CICE… alors que Gataz ne tiendra pas parole (la promesse de création d'un million d'emplois est vite passée à la trappe) ;
- Pascal Houzelot (TF1, Pink TV, Numero 23 - qu'il revendra à Drahi 8 mois plus tard avec une plus-value… Est-ce une spoliation d'une fréquence publique qui n'a pas été utilisée conformément au cahier des charges qui prévoyait un apport de pluralité, pas la diffusion de vieux documentaires et émissions) a organisé des dîners pour la promotion de Macron. Il a également présenté Macron à Xavier Niel… qui fait l'éloge de sa politique dans les médias ;
- La découpe d'Alstom et la revente de bouts à General Electric sous l'impulsion du ministre Macron a été lucrative pour Bouygues ;
- Une fois ministre de l'économie et à l'approche de la candidature de Macron, le couple sera invité à dîner, presque chaque semaine chez les Arnault (dont la fille est en couple avec Niel) ;
- Macron fera fleurir les affaires de Lagardère… Aussi bien depuis chez Rothschild que depuis le ministère de l'économie (vente des parts d'EADS détenues par Lagardère) ;
- À ses débuts, En Marche ! est financé dans le secret par Hermand (encore lui), le banquier Peyrelevade et l'avocat d'affaires Moulard ;
- On peut aussi voir une mise en orbite de Macron par Bolloré… Le même qui a profité des appels d'offres probablement arrangés (la justice bosse toujours dessus) avec Havas, dans laquelle Bolloré est actionnaire à 60 % et la garantie d'achat, avant publication de l'appel d'offres, des Bluebus de Bolloré par la RATP ;
- Bernard Mourad, banquier à la tête de la holding de Drahi, organise, entre autres, l'entretien avec Barbier « ce que je veux pour 2017 » ;
- Lors de la passation de pouvoir, Macron fend la foule pour saluer une seule personne : Serge Weinberg, président de Sanofi, qu'il a connu, comme d'autres, à la commission Attali (relance de la croissance française en 2007-2008).
Quelques notes :
- Bien sûr que les revendications des gilets jaunes ne sont pas nouvelles. Mais, le bas de la classe moyenne qui s'exprime aussi massivement fait disparaître la honte, ce qui libère la parole. Voilà la nouveauté. Ces gens-là se lèvent contre la suffisance de Macron qui n'a cessé de blesser leur égo et leur fierté ("c'est facile de trouver du travail, si vous n'y parvenez pas, c'est que vous êtes rien") ;
- Sous Hollande, Macron occupait, à l'Élysée, le même bureau que François Perol du temps de Sarko. Perol et Macron, tous deux inspecteurs des finances passés chez Rothschild. Alternance de façade ? Laurence Boone, passée par les banques Barclays et Bank of America remplace Macron. Son collègue Barbéris part pour Amundi, qui gère des actifs pour la Société Générale et le Crédit Agricole. À Matignon, Jérôme Pellet ira chez BNP ;
- Macron aime la mise en scène contre le réel. Cours de théâtre. Le président de la formation à l'ENS fera de Macron un normalien d'honneur au motif que la presse relaie qu'il a suivi quelques cours là-bas. Bruits évidemment saupoudrés par Macron et son entourage. Macron se vante, notamment dans le journal de Sciences Po de sa formation philosophique à Paris X. Balibar et autres personnes impliquées démentent l'ampleur de son apprentissage. Il a été archiviste, tout au plus, de Ricœur et sa pensée l'a tellement inspiré qu'il ne semble pas en retenir le concept de solidarité… Cela continuera pendant la campagne présidentielle (visite de l'usine Whirlpool d'Amiens sous la pression télévisée de Ruffin) puis durant la présidence (grand débat national, visite en sauveur aux Antilles, etc.) ;
- Quand les politiciens disent qu'ils vont au contact du Peuple, ils ont raison : ils restent dans la superficialité, la brièveté d'un contact. Ils ne se nourrissent pas du vécu et des problématiques des gens du Peuple. Dans Le petite prince, on lit qu'apprivoiser, c'est créer des liens, c'est faire en sorte qu'une personne ne soit plus semblable à 1000 autres, mais qu'elle soit unique. Mais un politicien ne connaît pas le Peuple, pas plus que le PDG connaît ses salariés. Cette méconnaissance évite l'affect. Mais ce détachement, c'est ce qui rend l'autre inexistant selon la philosophe Arendt. Cette négation de l’humanité de quelqu’un est dangereuse (Arendt a écrit sur la montée des totalitarismes…) ;
- La social-démocratie, ce n'est pas si mal. Marx a écrit la première déclaration du SPD allemand qui pousse à un vaste plan de sécurité sociale et à l'égalité (chez nous et au nord de l'Europe). Mais c'est un terme galvaudé ;
- Ado, Ruffin se cherche et peine à trouver sa voie. Il trouve médiocres ses écrits. Il s'apitoyait sur son sort et celui des autres. Aujourd'hui encore, il lit les blessures des autres dans ses blessures.
Bref, c'est un livre que l'on peut lire, mais sans plus. À mes yeux, seul le travail journalistique de rappel minutieux du CV de Macron est intéressant.