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——————————— Thursday 19, October 2017 ———————————
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Pour la liberté - Editions Tallandier

Ce livre est un recueil de trois plaidoiries exprimées par l'auteur, François Sureau, devant le Conseil constitutionnel, durant les six premiers mois de 2017, pour contester des lois liberticides : le délit de consultation de sites web terroristes, ce qui caractérise la préparation d'un acte terroriste et l'interdiction administrative de séjour dans le département de toute personne cherchant à entraver l'action des pouvoirs publics.

Les plaidoiries sont disponibles en vidéo sur le site web du Conseil constitutionnel (ici, et là-bas). La force de ce livre, c'est que les références employées par l'auteur sont explicitées en note de bas de page. De même, il est possible de penser les propos de l'auteur, ce que ne permet pas une plaidoirie débitée à haut-débit entre expert⋅e⋅s du droit. Enfin, je conçois l'achat de ce livre comme une manière de recompenser l'auteur en manifestant un intérêt public pour la défense de nos libertés : nous sommes trop peu nombreu⋅x⋅ses à encore les chérir.

Ce livre explicite plein de choses : l'origine des libertés, comment elles s'articulent, comment mettre en exergue les biais dans l'argumentation de nos élu⋅e⋅s, quelques principes du Droit, etc. C'est très intéressant.

Bref, ce livre est court et très très enrichissant donc j'en recommande vivement la lecture.



Quelques notes générales :

  • Le système des droits n'a pas été fait seulement pour les temps calmes, mais pour tous les temps. Rien ne justifie de suspendre de manière permanente les droits du citoyen. Cela n'apporte rien à la lutte contre le terrorisme. Cela lui procure au contraire une victoire sans combat en montrant à quel point nos principes sont fragiles. […] Le discours islamiste […] consiste à dire : au fond, les droits de l'Homme, c'est une religion de substitution, en Occident, et pire encore, c'est une religion de substitution à laquelle les gens ne croient même pas. La preuve, quand ça les atteint dans leurs intérêts, eh bien ils sont prêts à suspendre leur religion de substitution (les droits de l'Homme), alors que nous, il ne nous viendrait pas à l'idée de suspendre le Coran par exemple.

  • De l'époque de Beccaria où on ne pouvait traverser la forêt de Bondy sans escorte armée à aujourd'hui en passant par les attentats anarchistes à la fin du 19e siècle et aux attentats d'extrême-gauche de la fin du 20e siècle, rien n'a changé : « Les temps, au fond, sont toujours difficiles pour ceux qui n'aiment pas la liberté ».

  • Ici, le métier de l'avocat ne consiste pas à exposer des raisonnements auxquels les juges n'auraient pas pensé. Au début de ces neuf brèves audiences, je savais bien que les neuf juges constitutionnels avaient déjà pesé le pour et le contre. Le métier de l'avocat consiste seulement à donner à chacun de ces raisonnements un peu de vie, et même, peut-être, à s'adresser au citoyen derrière le magistrat. Le simple fait d'être écouté, et parfois entendu, suffit à son bonheur civique.

  • En 1971, le ministère de l'Intérieur refuse de délivrer un récépissé de déclaration [ NDLR : au motif de « dangerosité sociale ] de l'association « Les Amis de la Cause du peuple » [NDLR : mouvance maoïste d'extrême-gauche ] soutenue en particulier par Simone de Beauvoir. Le gouvernement fait voter une loi instituant un contrôle administratif de la déclaration des associations, dont les dispositions sont déférées au Conseil constitutionnel. Dans sa décision 71-44 DC du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel décide que la protection des droits et des libertés fondamentaux relève de son office : il confère pleine valeur constitutionnelle au Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et consacre, pour la première fois, un principe fondamental reconnu par les lois de la République, à savoir le principe de la liberté d'association. Sur ce fondement, il déclare la loi anticonstitutionnelle.

  • Que voulez-vous ? La liberté est partout en péril et je l’aime. Je me demande parfois si je ne suis pas l’un des derniers à l’aimer, à l’aimer au point qu’elle ne me paraît pas seulement indispensable pour moi, car la liberté d’autrui m’est aussi nécessaire.



Quelques notes sur le délit de consultation de sites web terroristes qui est une atteinte à la liberté de penser :

  • Les exceptions « de bonne foi » prévues par les textes sont toujours des mirages : elles ne couvrent pas toutes les activités ni tout le monde (exemple : préjugés inspirés par un patronyme) ;

  • Une démarche cognitive (la lecture), ne peut pas être prise en compte comme un acte explicite de préparation d'un délit. On parle d'une simple lecture, même pas encore de la formation d'une opinion ! ;

  • De même qu'il n'était pas inutile de lire Mein Kampf pour se faire une idée d'un des futurs possibles, il n'est pas inutile de lire la prose dite terroriste. De même qu'il n'est pas vain de lire les pavés pondus par de futurs candidat⋅e⋅s à une élection. Marc Bloch, Résistant en 40, écrivit que la guerre était déjà perdue par incuriosité ;

  • La formation d'un jugement suppose de ne pas être limité dans la recherche des faits et des opinions relatifs au sujet auquel on s'intéresse. C'est l'évidence même, que nos élu⋅e⋅s ont pourtant oubliée ;

  • La liberté de penser ne permet pas uniquement le bien-être intellectuel de chacun, mais elle garantit aussi la possibilité d'évolution et de perfectionnement de nos sociétés : c'est parce que nous pensons différemment, que nous découvrons de nouveaux embranchements, de nouvelles manières de nous organiser collectivement, etc. ;

  • La lutte actuelle contre le terrorisme, au fond, n'est-ce pas « opprimer les hommes pour se venger de ne point pouvoir vaincre les choses », ne pas supporter son incapacité temporaire à ne pouvoir endiguer le terrorisme mais vouloir maintenir une illusion de pouvoir ? ;



Quelques notes sur les soi-disant caractéristiques de la préparation d'un acte terroriste qui est une atteinte à l'existence d'un fait à reprocher et à la proportionnalité de la peine qui en découle :

  • Pour juger, il faut des preuves, on ne juge pas avant. Avant l'acte, il n'y a rien ;

  • Cet article de loi voulait s'attaquer à des cas pratiques effectivement constatés… sans les nommer, ce qui produit comme effet une loi des dispositions qui s'appliqueront à beaucoup plus de citoyen⋅ne⋅s que le cadre conceptualisé par le législateur. C'est ainsi que naît le contrôle social. L'enfer est pavé de bonnes intentions ;

  • Qu'est-ce que la préparation d'un acte mêlée à une intention ? Détenir tels produits ménager ? Détenir chez soi une bouteille (d'eau) avec du ruban adhésif ? Pratiquer un sport de combat ? ;

  • Un acte criminel, qu'il soit terroriste ou non, n'est pas un acte particulier dans notre système de droits : c'est un acte que l'on estime criminel par le mal qu'il cause. La peine proportionnée découle de cette graduation du mal causé à autrui. Tout cela est exposé pour la première fois par Beccaria dans son traité qui fonde le droit pénal moderne. Or, en droit français, le terrorisme est défini de manière particulière ;



Quelques notes sur l'interdiction administrative de séjour dans un département de toute personne cherchant à entraver l'action publique qui est une atteinte à la liberté d'aller et venir

  • La législation de Vichy, par exemple, conçue pour réprimer la Résistance, a été largement utilisée pour poursuivre les femmes coupables d'avortements.

  • Qu'est-ce que l'action des pouvoirs publics ? La doctrine englobe tout, du Président de la République au garde champêtre en passant par les parlementaires et les tribunaux… Même les services publics pourraient en faire partie… Est-ce l'action régulière des pouvoirs publics ? Quid alors de l'action irrégulière et de l'action occasionnelle ? Qu'est-ce que tout cela signifie ? Plaider au Conseil constitutionnel pour abolir une disposition soi-disant antiterroriste, n'est-ce pas déjà entraver l'action des pouvoirs publics ?

  • Là aussi, ce texte veut punir l'intention, le fait de « chercher à entraver », pas les actes.

  • La liberté est indivisible. Toutes les pratiques de la liberté se valent en toute situation et se valent entre elles, de la plus commune à la plus ésotérique. Il ne peut y avoir des (sous-)licences « assister à un concert ». On ne peut en retrancher une partie sans la tuer toute entière.



Je vous recommande également de lire la retranscription du passage de l'auteur sur les ondes de France Culture. Morceaux choisis :

OG : Merci d'être avec nous. Trois questions de droit dont on tirera ensuite quelques grands principes et peut être aussi quelques matières à discussion si vous le voulez bien. La première, pour nos auditeurs : une incrimination de consultation habituelle de site terroristes, quel axe de défense avez-vous eu sur cette question ?

[…] Au delà, il y a une question de principe qui est fondamentale, c'est que quand vous avez autorisé l'État une fois à vous dire ce que vous pouvez aller lire ou voir, c'est fini pour toujours. C'est à dire qu'aujourd'hui, on vous dit : c'est pas bien d'aller sur les sites djihadistes, demain, une fois que ce verrou aura sauté, vous aurez des gens qui vous diront que c'est pas du tout bien d'aller sur des sites qui pensent que le capitaine Dreyfus était innocent par exemple, ou sur des sites qui critiqueraient le Front National. Et une fois que le premier verrou a sauté, vous n'avez plus aucune raison de principe pour vous opposer aux verrous ultérieurs. Je pense que c'est aussi ça quand le Conseil Constitutionnel a suivi.

OG : Donc en défense d'une certaine liberté intellectuelle, liberté d'aller lire ce que l'on veut, et de se faire un jugement par rapport à cela, en tout cas ce n'est pas en amont que l'on peut juger d'intention de, le fait d'aller lire, tant qu'il n'y a pas d'acte répréhensible, ce qui nous amène peut-être, au second cas pratique, à la seconde question de droit.

MS : Attendez, avant la seconde question, j'voudrais pouvoir revenir à la première. Est-ce que vous vous entendez parler ? Est-ce que vous vous rendez-compte que vous trouvez qu'il existe un objet normal de débat, qui est le point de savoir si un citoyen libre peut lire ce qu'il veut. Vous le posez volontairement à des fins pédagogiques, critiques et de discussion, mais ça a fini par faire partie de notre espace de pensée. Il a fallu arriver jusqu'au Conseil Constitutionnel pour que neuf juges viennent dire : « Il est inadmissible qu'on empêche les français de lire ce qu'ils veulent et de s'informer sur ce qu'ils veulent. » Est-ce que vous vous rendez-compte que le simple fait que ceci soit devenu un objet de débat, manifeste un point de dégradation civique probablement jamais atteint. On se pose la question. Est-ce que vous trouvez normal de me poser la question de savoir, par exemple, s'il ne faut pas revenir à une monarchie élective, ou si le catholicisme ne doit pas redevenir religion d'état ; vous trouveriez ça ahurissant. Et pourtant, vous venez de poser dans le débat une question que vous considérez comme normale, qui est la question que tout le monde se pose, que les politiques se posent, qui est : pour lutter contre le terrorisme, ne convient-il pas de supprimer la liberté d'information ? Le simple fait que cette question soit posée, qu'elle n'ait rencontré aucun obstacle sur son chemin, ni au gouvernement (qui était à l'époque un gouvernement de gauche, mais sur ces questions, la gauche et la droite c'est absolument pareil), ni au parlement, ni nulle part, jusqu'à la fin…

[…]

Henri Le Blanc : comment vous l'expliquez ça, parce que c'est ça finalement le plus surprenant, comme vous le dites.

FS : Je l'explique, et c'est à mon avis le nœud du problème, je l'explique pour deux raisons -- par deux ou trois raisons -- qui sont des raisons successives. La première raison, c'est que la question des libertés publiques n'est pas soluble dans le terrorisme : le recul des libertés publiques a commencé avant. Quand, à l'époque du président Sarkozy, on a créé la rétention de sûreté pour permettre de conserver en prison des gens après l'expiration de leur peine, on s'est déjà totalement assis sur les principes fondamentaux du droit pénal. En réalité, dans une société vieillissante et incertaine, le désir de sécurité emporte tout, et il emportait tout avant déjà le terrorisme. Le recul des libertés publiques en France ne date pas du terrorisme. Le deuxième élément, c'est le manque d'autonomie intellectuelle des ministres. […] Ce que j'ai observé dans les vingt dernières années, c'est la réduction du délai utile de prise en main des ministres de l'intérieur successifs et des gouvernements auxquels ils appartiennent, par la fonction publique, la police et le corps préfectoral. Il a fallu une semaine à Nicolas Sarkozy pour être pris en main par la police, quatre jours à Hortefeux, trois jours à Manuel Valls, deux jours à Caseneuve, 48h à Collomb. Quand j'étais jeune, c'était globalement le ministre de l'intérieur qui gouvernait les préfets, maintenant c'est le préfet qui gouverne les ministres de l'intérieur. La deuxième raison, c'est l'affaiblissement de l'autonomie intellectuelle du personnel politique. Et puis la troisième raison, c'est une raison purement, démagogique, face à la crainte provoquée par ces attentats abjects, c'est l'idée de présenter une réponse. Or en France, qui est un pays où globalement on ne sait plus réorganiser la police ou lui donner les moyens pratiques de son action, on préfère faire ce qu'on fait ailleurs : de la politique normative. C'est quand même beaucoup plus simple d'aller bidouiller quatre articles de loi qui s'asseyent sur la Déclaration, plutôt que d'expliquer qu'on va réformer la police nationale. Voilà les trois raisons et ces raisons sont affligeantes.

[…]

OG : et ça montre aussi, ça montre aussi François Sureau qu'il faut quand même s'interroger sur la réponse qui peut être donnée au terrorisme aujourd'hui. Or en se limitant, et c'est le cas dans le deuxième et le troisième point que vous évoquez, au passage à l'acte, on condamne toute possibilité pour les pouvoir publics d'élargir le champ de la prévention, c'est quand même étonnant que cette prévention on la mette en avant dans tous les domaines (la santé, l'environnement), et pas pour le terrorisme. Donc il faut toujours attendre que l'acte ait lieu, que l'attentat ait lieu pour pouvoir faire quelque chose.

FS : Ah oui, c'est ce qu'on a voulu faire au dix-huitième siècle, sans ça y'a une autre solution, c'est comme ça que Mussolini a démantelé la mafia, c'est comme ça que Staline a réduit le taux de criminalité à l'intérieur de Moscou à partir de 1930. C'est sûr que si à chaque fois qu'un sous préfet ou un agent de police délégué par lui peut vous juger un tout petit peu inquiétant on pourrait effectivement vous fourrer au ballon à titre préventif. […]

[…]

OG : Sur la consultation habituelle des sites terroristes, le premier cas que vous avez eu à plaider, quelle différence pour vous par exemple dans le fait que puisse être répréhensible aujourd'hui la production de contenus pédo-pornographiques et la consultation de ces sites, et la même chose pour des sites terroristes.

FS : Alors il y a deux choses totalement différentes, c'est que la production et la diffusion de contenus pedo-pornographiques en réalité porte atteinte à des personnes réelles, à savoir les personnes des enfants qui sont utilisés pour produire les images, et pour être représentés dans ces images, ce qui permet d'incriminer les auteurs sur le terrain de la complicité, et ça me parait parfaitement justifié. La simple consultation est une consultation cognitive, qui n'implique pas d'adhésion positive à un réseau de trafic particulier. Au surplus d'ailleurs, je dois vous dire, au risque de vous faire bondir, que j'ai des doutes et j'ai toujours eu des doutes, mais qui n'engagent que moi, y compris en matière de pédo-pornographie, sur le lien ténu qui existe entre la simple consultation et l'exploitation des enfants, voilà. […] Ça veut dire que globalement, regarder des images, même blâmables pour en tirer une satisfaction sexuelle… […] Pour moi, ne correspond pas à un passage à l'acte réel au sens des grands principes de droit pénal. […] Je dit naturellement pareil pour les sites terroristes, je veux pouvoir, en tant que citoyen libre, continuer de regarder (ce que je fais de temps en temps pour m'informer) les grands sites djihadistes connus, c'est quand même très utile de savoir ce que ces gens pensent.

[…]

HLB : Alors je voudrais revenir sur cette phrase que vous avez dites : « avant l'acte, il n'y a rien ». Mais l'acte, où commence-t-il, et où s'termine-t-il ? Est-ce que, justement, le débat ne peut pas avoir lieu, de savoir si les préparatifs d'un acte ne sont pas déjà l'acte, et cette frontière, que vous l'air de présenter comme absolument évidente, n'est-elle pas quand même floue ?

FS : Vous avez raison et il y a une réponse à ça, c'est qu'on ne peut pas l'apprécier de manière générale, parce que ça dépend beaucoup des circonstances, et de temps, et de lieu et d'espèce, et du pedigree de la personne qu'on soupçonne de vouloir passer à l'acte et ainsi de suite, et c'est la raison pour laquelle, nos constituants, et la totalité de la tradition juridique française ont remis cette appréciation entre les mains d'une personnalité indépendante du gouvernement, et qu'on appelle : un juge. La caractéristique des lois d'exception, c'est qu'en réalité on se passe de la personnalité indépendante du gouvernement, et qu'on prend un fonctionnaire aux ordres. Le fonctionnaire aux ordres, eh bien il peut penser que vous là, êtes susceptibles de passer à l'acte, et il peut le penser simplement parce que son ministre lui aura donné l'ordre de le penser. C'est précisément la caractéristique d'une société non démocratique. C'est la raison pour laquelle le rôle de l'institution judiciaire, dont la constitution nous dit quelle est gardienne des libertés publiques, est un rôle absolument fondamental. Je vous rappellerai d'ailleurs sur le plan archéologique quand même quelque chose d'intéressant, c'est que cette disposition de constitution qui prévoit que l'autorité judiciaire est la gardienne des libertés publiques c'est exactement pour ça, il faut que cette appréciation à laquelle vous pensiez soit faite par un juge indépendant. Cette disposition a été écrite par Michel Debré, qui lui non plus n'était pas plus que Roger Frey un humaniste bêlant, et a été introduite par Michel Debré dans la constitution de 58, au moment de la guerre d'Algérie, où entre les attentats du FLN, les attentats de l'OAS et les morts au combats, il y avait peut être, et certainement même, plusieurs morts par jours. Ça ne l'a pas amené à dévier de cette idée fondamentale, que dès lors qu'il s'agit de porter atteinte à la liberté individuelle, ça ne peut être fait que par un juge indépendant. C'est quand même pas compliqué à faire. Le juge indépendant n'est pas lui non plus un humaniste bêlant. Vous avez déjà rencontré des magistrats anti-terroristes, ce ne sont pas des gens qui pensent qu'il faut se montrer mou sur la répression. La clé de notre liberté, c'est qu'un juge indépendant doit décider.

[…]

OG : François Sureau, un corps social endolori et quelque part endormi…

FS : J'suis d'accord avec ça. Y'a un élément qu'on oublie quand même assez souvent, mais c'est vrai que j'y suis sensible professionnellement, c'est quand on parle du couple "sécurité et liberté", d'abord on fait comme si c'était antinomique, alors que le rêve de notre démocratique politique c'est que les deux vont ensemble, la liberté et la sûreté, c'est le rêve de notre démocratie politique. On peut choisir d'y renoncer parce que 300 criminels font sauter une boîte de nuit, on peut choisir de renoncer au rêve de notre démocratie politique, celui qui nous anime, mais j'aimerais qu'on le sache et qu'on ne se paye pas de nous. Le deuxième élément c'est : y'a un tiers dans ces affaires, entre les individus (le corps social), et les terroristes (et c'est sans cesse oublié par les français), c'est l'état. En réalité, quand on augmente la partie "sécurité", ce qu'on augmente simplement c'est le pouvoir de l'État sur chacune de nos vies, à nous qui ne sommes pas des terroristes, ça n'est pas nécessairement qu'on diminue la sécurité dont les terroristes jouissent. Et c'est très très frappant parce que cette question de l'État comme tiers entre la liberté et la sécurité, c'est une question qui a été très bien vue par les révolutionnaires anglais de 1689, elle a été très vue par les déclarants américains (Jefferson et Hamilton), elle était très bien vue par les rédacteurs de la déclaration des Droits, et compte-tenu de la place symbolique très importante prise par l'État dans le système politique français, elle a fini par être légèrement oubliée. La vérité de tout cela c'est, encore plus à l'époque de l'interconnexion des fichiers, à l'époque du numérique et ainsi de suite, toute augmentation des prérogatives sécuritaires des pouvoirs publics aboutit simplement à la mise en place d'une société de surveillance par l'État, et je trouve qu'il est quand même un tout petit peu temps de s'en rendre compte.

[…]

FS : […] Vous savez ce qui me frappe, c'est que, moi je fais partie des gens qui sont nés en 57, comme tous les gens qui sont nés en 57 et qui, en fonction des histoires familiales des uns et des autres, se sont demandés comment les choses du passé avaient été possibles (hein, je ne suis pas un partisan du point heu du théorème de Machin, heu Godwin ou de la répression…) enfin, quand même, j'ai passé ma jeunesse à me demander comment ça avait été possible. Je me suis demandé, qu'à fait grand papa pendant la guerre, qu'à fait l'oncle machin et toi, pourquoi tu n'as rien dit au moment de, hein ? […] Et ça, si vous voulez on a tous été élevés la dedans. La découverte douloureuse, des dix dernières années que nous venons de vivre, ça a été de voir la facilité avec laquelle ces principes cédaient chez ceux qui avaient la charge de les défendre. Ceux qui avaient été mes maîtres, ceux qui avaient été mes éducateurs, ceux avait été ceux que j'admirais quand j'étais jeune, ceux qui avaient été premier ministre, ministre, président du parlement, président de la chambre criminelle, le vice-président du Conseil d'État, etc. En réalité, l'option policière est rentrée là dedans comme dans du beurre, ce qui fait que je n'ai plus, en réalité maintenant je n'ai plus de surprise attristée quand je lis les récits du passé et je dis simplement : voilà, c'est à nous de faire ce que nos anciens n'ont pas toujours fait, ceux que certains d'entre eux ont fait avec héroïsme d'ailleurs et ceux à quoi ma génération est confrontée maintenant.

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