Je déterre ça de la ML de la FFDN car je trouve que c'est hyper intéressant pour comprendre comment la régulation télécom fonctionne en termes de qui fixe les objectifs, comment on les atteint, comment on rapproche un idéal technique (imposer aux FAI de fournir IPv6 sur les accès qu'ils vendent) ou éthique (neutralité des réseaux) de la doctrine juridique pour que ça soit compréhensible du régulateur et qu'il puisse se reposer sur des fondements de droit pour agir (et pas juste "IPv6 c'est tr0 bien tavu"), etc.
L'ARCEP ne peut pas fixer les objectifs, mais peut fixer les moyens de les atteindre. Je prend un exemple...
Le texte européen en cours de finalisation sur la neutralité du net impose cette neutralité, et sa définition contient le fait que l'abonné puisse utiliser ou fournir les services de son choix sur le Net. Le régulateur est chargé de faire respecter cette neutralité.
L'ARCEP peut considérer que si l'abonnement pro contient une adresse IP publique, alors tout va bien, en échange d'un abonnement pro on peut fournir un service, et c'est la fête. Ou bien elle peut considérer que l'adresse publique est rigoureusement nécessaire, et que donc si elle est réservée à certains abonnés, le réseau n'est plus neutre. Question d'interprétation.
Une fois cette interprétation établie, l'ARCEP émet des décisions / avis, dit "ça, pour nous, c'est pas neutre", le premier opérateur qui ira brutalement contre se fera condamné s'il est attaqué sur le sujet (les sanctions peuvent être lourdes).
Ils comprennent bien que le déploiement de v6 est utile, mais leur offrir un outil juridique est utile. Ils peuvent simplement le recommander, ou ils peuvent l'imposer, selon le moyen qu'ils utilisent. Les recommandations sont en général beaucoup mieux suivies que les décisions. Oui, ça surprend.
Les recommandations portent sur des sujets non-clivant. Fournir de l'IP v6, ça ne modifie pas l'équilibre du business, c'est un peu chiant en ingénierie, mais ça ne touche pas au porte-monnaie. Une recommandation sur le sujet aurait de l'effet.
Une décision disant qu'il est interdit de prioriser le flux VOD contre les flux Netflix sera immédiatement attaquée devant tout ce qu'on pourra trouver comme instance, parce qu'elle touche au pognon.
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Le marché des télécoms est globalement régulé. Les textes européens imposent l'existence d'un régulateur. Mais ce régulateur n'intervient pas tout le temps sur tout. Pour intervenir, il doit prouver qu'il existe un problème. Par exemple qu'il devrait exister une offre (mettons de collecte sur fibre), que cette offre est nécessaire pour telle finalité souhaitable (par exemple aménagement numérique du territoire), que le marché n'a pas fait apparaitre cette offre tout seul, et que donc le régulateur doit imposer des contraintes à certains acteurs pour corriger cette défaillance.
Typiquement, l'ARCEP peut considérer que v6 est nécessaire, expliquer en quoi, puis recommander aux acteurs de jouer le jeu. Si 1-2 ans plus tard ça n'a pas sérieusement bougé dans le bon sens, elle pourra alors contraindre, en constatant que le marché échoue à atteindre un objectif d'intérêt général.
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Quand je plaide sur le coût de la première prise, par exemple, c'est pour inciter l'ARCEP à modifier sa façon de regarder les objectifs. Il doit pouvoir se monter des opérateurs, c'est un des objectifs (ouverture à la concurrence). On peut se dire "en investissant 2 milliards, tout le monde peut devenir opérateur, tout va bien". En considérant que l'opérateur aura 5 millions de clients, l'investissement est raisonnable, il aura une rentabilité, tout va bien. Ou bien on peut décider que le prix de la première prise est un critère (combien est-ce qu'il faut mettre sur la table pour prendre un premier abonné). Pas le seul critère, mais un critère. Et du coup, si l'ARCEP constate que sur l'ADSL pour le premier abonnés il faut mettre 1500 euros (ouvrir une porte de collecte) alors que sur la fibre il faut mettre 3 millions, ce critère devient bigrement intéressant. Il montre un problème qui n'était pas mesurable tant qu'on restait sur "en moyenne 18 euros HT par abonné".