Les services de renseignement ont alerté l’Elysée sur la mainmise de l’ultra-droite et les risques de coagulation du mouvement
Heureusement que les Renseignements généraux ont disparu et que les mouvements sociaux et politiques échappent à toute surveillance officielle ! A la veille du « blocage national contre la hausse du carburant » du 17 novembre, Emmanuel Macron disposait pourtant, sur son bureau, d’au moins deux rapports « à diffusion restreinte », dont « Le Canard » s’est procuré une copie : l’un, rédigé par la Direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris (DRPP) ; l’autre, à visée nationale, cosigné par les Directions générales de la police et de la gendarmerie. Leurs conclusions sont similaires : le mouvement est parti pour durer, voire pour « agréger d’autres mécontentements ». Et pourquoi pas une « convergence des luttes » ?
Avant d’aboutir à ces analyses osées, les flics du Renseignement ont filé, en province comme en région parisienne, et depuis au moins trois semaines, les leaders autoproclamés du mouvement.
A côté des plaques
Eric Drouet, par exemple, qui est à l’initiative d’une pétition nationale, est pisté en Seine-et-Marne. Le 10 novembre dans l’après-midi, les poulets de la DRPP le retrouvent sur le parking d’un centre commercial, sur la commune de Collégien. Pendant qu’une quarantaine de manifestants l’écoutent, les flics notent les plaques minéralogiques : « Outre la Seine-et-Marne, les autres départements de la grande couronne étaient représentés. » Puis les poulets entendent Drouet appeler ses comparses à « converger vers le palais de l’Elysée ». Ce que les « gilets jaunes » ont tenté de faire le 17, sans succès, et qu’ils retenteront le 24.
N’ignorant pas grand-chose de ces surveillances parfois peu discrètes, « certains organisateurs ont transmis des consignes de discrétion » à leurs troupes. Finis les messages Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux, vivent les messageries cryptées telles WhatsApp ou Telegram ! Et ce « afin de créer un effet de surprise vis-à-vis des forces de l’ordre ».
La « mouvance d’ultra-droite », elle, n’a pas brillé par sa réserve. Partout, poulets et pandores ont identifié une ribambelle de fachos ayant enfilé le gilet jaune sur leurs habituels brassards bruns. C’est ce qui a permis à Macron, lors de son interview à TF1 le 14 novembre, de déclarer : « Je dis méfiance, parce qu’il y a beaucoup de gens qui veulent récupérer ce mouvement. » Pas son genre, évidemment…
A côté, ceux de la « mouvance d’ultra-gauche » — de type zadistes, squatteurs… — passent pour une bande de rigolos. A l’exception d’une poignée de « militants calaisiens » qui, à la faveur des bouchons consécutifs au blocage des routes par les gilets jaunes, « incitent les migrants à se dissimuler dans des poids lourds ». C’est malin…
Dans le Canard enchaîné du 21 novembre 2018.