Cathérine Vidal, neurobiologiste, est coordinatrice du groupe Genre et recherche en santé du Comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Objectif : garantir l'égalité entre les sexes dans l'accès aux soins et la prise en charge médicale.
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Question. Cette vision genrée modifie-t-elle la prise en compte des maladies ?
Les stéréotypes de genre pèsent lourd en médecine. Les souffrances féminines liées aux règles et à l’accouchement étaient considérées « normales », et donc l’endométriose, une maladie très douloureuse et invalidante qui touche une Française sur dix, n’a été que très récemment reconnue par le corps médical. La vision stéréotypée de la santé touche également la prise en charge de l’infarctus chez les femmes qui sont sous-diagnostiquées. Pour les mêmes symptômes d’oppression dans la poitrine, une femme a trois fois plus de risque d’être traitée par des anxiolytiques alors qu’un homme sera orienté vers un cardiologue. L’idée que l’infarctus est une maladie masculine est en train de changer. Le nombre de problèmes cardiovasculaires chez les femmes de moins de 50 ans connaît un développement exponenüel — plus 20 % depuis vingt ans — et parce que les modes de vie ont évolué.Question. Ces idées reçues n‘épargnent pas les hommes non plus.
L’expression des symptômes est très liée au genre. Un homme dépressif exprimera ses angoisses à travers des comportements à risque, alcool, tabac, comportements agressifs. Un homme ne va pas se mettre à pleurer, dire je me morfonds, je vais mal. C’est une image négative de la virilité. Le conditionnement culturel compte beaucoup dans la vie psychique mais aussi physique. On l’a vu avec l’infarctus pour les femmes. Même chose pour l’ostéoporose chez les hommes. Ils sont sous-diagnostiqués, cette pathologie étant considérée comme spécifique des femmes ménopausées. Or un tiers des fractures de la hanche chez l’hommes est dû à l’ostéoporose.Question. La présence des femmes dans le corps médical va changer les choses.
Pas forcément, car les formations en médecine sont encore très en retard sur ces questions. Depuis les années 80/90 les féministes américaines ont dénoncé la sous-représentation des femmes dans les essais cliniques. À cette époque, une étude sur la relation entre obésité et cancer du sein et de l’utérus a même été menée exclusivement sur des hommes. Le comble ! Elles ont interpellé des responsables politiques du Congrès américain qui ont voté une loi rendant obligatoire l’inclusion des femmes dans les essais cliniques. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas gagné puisque, dans le panel des recherches cliniques internationales, il n’y a que 33,5 % de femmes, en moyenne.Question. Il reste beaucoup à faire.
Il faut déconstruire les idées reçues. Au niveau des recherches et de la clinique, d’abord. Arrêter de tout penser en fonction des facteurs biologiques et intégrer les contextes socio-économique et culturel dans la médecine. Une autre préoccupation du groupe Genre et Santé du Comité d’éthique est l’information pour la prévention auprès du grand public, grâce à des clips vidéo®. Notre objectif est de promouvoir une médecine plus égalitaire au service de la santé de toutes et de tous.
Dans le numéro 3 (été 2019) de Siné Madame.