Encore un epub qui traînait.
Ce livre est la retranscription d'un échange entre 4 militants en faveur des droits et des libertés qui a eu lieu en mai 2012 à l'initiative de l'un d'eux pour son émission sur les ondes de « Russia Today ». Plusieurs thématiques seront traitées : surveillance de masse, censure, hacker la politique, chiffrement complet comme seule alternative à une surveillance et à une industrie devenues trop puissantes, violence coercitive des États, effacement de la limite entre surveillance étatique et privée, est-on encore libre quand le système monétaire et financier est totalement possédé par autrui (cas du blocus financier de Wikileaks ordonné par Washington), etc.
Sur la forme, c'est la première fois que je lis un livre centré sur une retranscription. Ça se lit plutôt bien. En revanche, des erreurs de traduction (« crypter » au lieu de chiffrer, « interception en bloc », etc.) et des problèmes de sémantique (« l'univers, la nature croit en la crypto » alors que l'univers ne croit pas, il est ; utilisation du mot « déchiffrer » en lieu et place de « décrypter » ce qui génère une inversion complète des propos) sont à déplorer.
Sur le fond, c'est très intéressant, ça n'a pas vieilli mais il faut avoir un corpus minimal de connaissances pour suivre aisément ce qui se raconte, notamment les faits qui sont évoqués. Les références permettent de s'y retrouver mais pas d'avoir une aisance leur d'une première lecture par un-e non-initié-e.
Malgré les réserves ci-dessus, je recommande la lecture de ce bouquin.
Quelques notes :
- Petit rappel de la violence des États contre Wikileaks : jury d'accusation (pas de juge ou d'avocat de la défense dans la place), blocage financier, 800 jours de prison sans procès pour Bradley/Chelsea Manning + des conditions de détention jugées inhumaines par le rapporteur de l'ONU, appel public au meurtre extrajudiciaire d'Assange par des politiques US, pressions sur l'hébergeur web et DNS, interdictions de lire les documents publiés (même dans les journaux bien établis) adressée aux employés fédéraux, injonction à des tiers (Twitter/Google) de fournir des données selon une procédure peu commune, etc.
- Les outils de surveillance de masse n'entrent pas dans l'Arrangement de Wassenaar car ça arrange tous les États en termes de stratégie géopolitique : la vente et la configuration de ces outils permettent de récolter de précieuses informations comme savoir quelles menaces / quels groupes sont redoutés par tel État, prédire la propagation des idées, monter des opérations d'aide ou, au contraire, de déstabilisation des régimes, avoir des informations en cas de futur conflit avec un ex-allié, etc.
- La crypto serait un moyen de sortir de la servitude volontaire. Mouiiii enfin la crypto ne protège pas contre la clé à molette (https://xkcd.com/538/) ni contre les attaques légales. Tous les systèmes cryptographiques n'incorporent pas le déni plausible, c'est même parfois l'inverse (exemple d'une signature électronique). Ce n'est pas la crypto qui maintient en """"liberté"""" Assange mais bien les jeux habituels entre États, par exemple ;
- Les nouvelles techniques créent toujours des centres dans un premier temps avant de libérer dans un deuxième temps grâce au savoir versé aux générations suivantes. Exemple : les moulins vont de pair avec la féodalité car il faut des investissements énormes et le lieu physique est assez facile à contrôler. Découverte - centralisation - démocratisation. Aujourd'hui, on observe la même chose avec les puces élémentaires de tous nos ordinateurs qui sont produites par très peu d'organisations comme Intel. La différence, ce serait qu'aujourd'hui, le contrôle et la limitation de la compréhension du fonctionnement serait intégrée, conçue en même temps que le produit. Perso, je ne suis pas convaincu qu'on te laissait comprendre les engrenages du moulin de ton bled à l'époque donc égalité avec aujourd'hui ;
- Stocker tous les appels téléphoniques (fixes et mobiles) de toute l'Allemagne sur un an coûterait environ 50 millions d'euros en incluant les frais administratifs et d'exploitation (local, salaires, etc.). C'est moins cher que tout avion militaire. Cette estimation rejoint celle de Benjamin Soontag qui estimait que les métadonnées appels + SMS représentaient 2k€/an de matos. Voir : https://shaarli.guiguishow.info/?q0W_Eg . Stocker les métadonnées et les conversations, c'est largement faisable. Ce n'est probablement pas encore fait pour la voix à cause de la difficulté à analyser ça de manière automatique.
- Les actions automatiques (fermeture (ou gêle des avoirs) d'un compte bancaire, déploiement de forces de l'ordre, marginalisation de groupes, etc.) prises à partir de la surveillance de masse vont bientôt arriver : en 2012, Siemens savait déjà envoyer un mail si des individus (identifiés préalablement pour l'instant) sont proches, si un individu (identifié préalablement) reçoit un mail, etc. À titre personnel, ça ne me semble pas nouveau : les radars routiers répondent à cette logique. On nous parle d'amendes de stationnement automatisées à partir de la vidéo-surveillance depuis des années, etc.
- L'ordre 2703d (et suivants genre 2709) du Stored Communications Act de 1986, mis à jour par le Patriot Act de 2001, permet aux autorités des USA de récupérer les données et les métadonnées stockées par un tiers concernant une personne. Donc les messages privés Twitter, par exemple. Cela est nommé : National Security Letters (NSL). Évidement, ces injonctions obtenues sans passer par un juge judiciaire sont destinés à rester secrets. Le tiers qui le reçoit ne peut pas vous protéger (sa coopération est exigée) et si la personne visée par ces ordres apprend leur existence, elle ne peut pas vraiment contester car elle n'est pas concernée : c'est entre l'autorité fédérale et le tiers Cela signifie que toute délégation de données d'un-e citoyen-ne USA à un tiers numérique équivaut à une forme de publication du contenu. À ce compte-là, même un numéro de téléphone composé est la propriété d'un opérateur téléphonique ;
- Bush a autorisé le contournement du FISA c'est-à-dire de la protection des résidents américains contre la surveillance étatique. Première étape : il n'y a plus besoin de mandats ; Deuxième étape : en 2008, immunité rétroactive pour les cas révélés publiquement de non-respect du FISA.
- L'administration Obama, dont le président fut élu sur un programme de transparence, a poursuivi plus de lanceurs d'alertes que ces prédécesseurs. Oui, comme pour le nombre de frappes par drone (voir https://www.youtube.com/watch?v=dzCmhUAzseI ).
- Ce qui ralentit la progression de la surveillance de masse et toute sorte de connerie de manière générale, c'est que chaque gouvernement est pluriel et que tout le monde en leur sein passe son temps à se tirer dessus pour ramener toute la couverture à lui-elle ;
- Un des cables publiés par Wikileaks montrerait que toutes les transactions Visa et MasterCard sont forcément traitées, à moment donné aux USA car le gouvernement des USA voudrait garder la main. Même la Russie n'aurait pas réussie à négocier ce point-là. Perso, j'ai beaucoup de mal à y croire car le réseau Visa c'est environ 2000 transactions par secondes. Bon courage pour transporter tout ça. Sans compter les pays où il y a d'autres acteurs impliqués comme le GIE CB en France.
- La censure revient à effacer l'histoire, à faire que celle-ci n'a jamais existé. Pour 2 des auteurs, même la mise hors ligne des serveurs hébergeant du contenu pedo-pornographique (on ne parle pas de censure côté FAI, donc) est une hérésie car il s'agit d'une preuve d'un crime odieux qui a bel et bien été commis. Faut-il effacer l'histoire de ces crimes ? Les générations futures n'ont-elles pas à juger sur pièce si notre société était plus ou moins pédophile que la leur ni de constater si le nombre de contenus pedo-pornographiques a évolué au cours du temps ? On reconnaît-là la vision américaine de la liberté d'expression. D'un autre côté, il y a les plaisirs que ces contenus peuvent produire si l'on les laisse en ligne. Sans compter la douleur "permanente" des victimes.
- Quand on parle de censure et la désinformation, on évoque généralement les dictatures mais en fait, la censure est beaucoup plus insidieuse donc violente dans nos démocraties car elle est organisée et minutieuse. Quand la Grande Encyclopédie soviétique était censurée, la modification était collée au dessus de la page concernée donc ça se voyait. Aujourd'hui, on a tout un système pyramidal et organisé de la censure :
Mon expérience ne cesse de me démontrer que les pays occidentaux sont simplement bien plus sophistiqués au niveau de la désinformation et de la dissimulation de la réalité. Il y a une multiplicité de niveaux qui permettent de nier l’existence de la censure. La censure est comme une pyramide enfouie. Seule la pointe émerge du sable, et pour cause. Seule la pointe est publique – procès en diffamation, assassinats de journalistes, caméras saisies par les militaires et ainsi de suite –, il s’agit de la censure publiquement reconnue. Mais ce n’est qu’une infime partie de l’ensemble. Sous la pointe, la couche suivante est celle de toutes ces personnes qui préfèrent ne pas être vues, qui pratiquent l’autocensure pour éviter de se retrouver sur la pointe. La couche suivante contient toutes les formes d’incitations économiques et d’aides que l’on accorde aux gens pour parler de telle chose plutôt que de telle autre. Plus bas encore se trouve la couche de l’économie brute – les sujets sur lesquels il est économique d’écrire, même si vous ne tenez pas compte des facteurs économiques qui proviennent des niveaux supérieurs de la pyramide. La couche suivante, ce sont les préjugés des lecteurs avec un faible niveau d’éducation, qui sont donc des cibles faciles pour la désinformation, et à qui l’on ne peut même pas expliquer des choses sophistiquées. La dernière couche est celle de la distribution – certaines personnes, par exemple, n’ont tout simplement pas accès à de l’information dans une langue donnée. C’est ça, la pyramide de la censure. Quand il censure les télégrammes du Cablegate, le Guardian s’inscrit dans le deuxième niveau.
Cette censure est facile à nier, soit parce qu’elle se fait à l’abri des regards, soit parce que aucune instruction n’est jamais donnée de censurer telle ou telle affirmation. Il est rare qu’on dise à un journaliste: « N’écris rien là-dessus » ou : « Ne parle pas de ça. » Ils savent très bien ce qu’ils sont censés faire et ne pas faire sans qu’on ait besoin de leur dire parce qu’ils comprennent les intérêts de ceux qu’ils souhaitent satisfaire ou dont ils souhaitent se rapprocher. Si vous vous conduisez bien, on vous donnera une petite tape sur la tête et on vous récompensera, sinon, ça sera moins sympa.
Les sociétés occidentales se sont fait une spécialité du blanchiment de la censure en structurant les affaires des puissants de sorte qu’aucune voix qui perce dans le débat public ne puisse réellement modifier les relations de pouvoir parce que ces relations sont camouflées sous de multiples couches de complexité et de secrets.