Un texte législatif européen en discussion (on est à la phase de Trilogue) prévoit de subventionner des bateaux de pêche, y compris les rafiots de pêche industrielle de taille moyenne, ainsi que le remplacement des moteurs. La méchante Union européenne nous impose de méchantes choses pas gentilles, hein ? Non, le texte original excluait les bateaux industriels. Des États, dont la France, ont poussé en sens inverse. La routine ! La France agit également contre l'intérêt des citoyens en matière de protection des données personnelles… Les chefs des États membres décident des grandes orientations des politiques économiques (GOPÉS) qui sont ensuite imposées aux États et aux citoyens (ce qui est légitime, puisque ça a été décidé). La France, en tant que puissance économique, joue un grand rôle dans l'adoption des GOPÉS.
C'était promis-juré. En 2020, on allait enfin en finir avec la surpêche en Europe. Ce louable engagement de Bruxelles, décidé il a six ans, au moment de la réforme de la politique commune de la pêche, prend l'eau. L'année prochaine, près de 20 % des stocks de poissons dans les eaux européennes seront encore sur-exploités. On en remonte dans les filets 6 millions de tonnes chaque année, 400 000 pour la France [ N.D.L.R : soit environ 6 % ]. Avec, en première ligne, la Méditerranée, où l'on pêche délô deux fois trop de pescaille.
Les poissons sont d'autant plus mal barrés que les ministres européens de la pêche veulent mettre de l'argent dans le casier pour subventionner la construction de nouveaux bateaux. Des aides qui avaient été stoppées il y a quinze ans, justement pour ne pas doper les performances de rafiots qui pêchent déjà trop. « Les subventions de Bruxelles devraient être utilisées pour encourager les techniques de pêche durable plutôt que pour augmenter la capacité de la flotte européenne », s'agace Mathieu Colléter, l’un des responsables de l’ONG Bloom, qui milite pour la protection des océans.
Autre arête dure à avaler : alors que la Commission européenne voulait réserver ce coup de pouce à la pêche artisanale, à savoir les bateaux de moins de 12 mètres, les Etats européens, la France en tête, ont poussé pour que les subventions soient étendues aux chalutiers jusqu’à 24 mètres. Un rafiot de cette taille prélève environ 380 tonnes de poissons par an, sept fois plus qu'un gros bateau de pêche artisanale. Et, pour en mettre toujours plus dans la cale tout en empochant l'aide, il suffit d’acheter un chalutier qui fait moins de 24 mètres de longueur mais avec un gabarit XXL, vu que la largeur, elle, n’est pas réglementée…
Mauvaise nouvelle en sus pour les poissons : les marins pêcheurs pourront également demander de l’oseille pour changer de moteur, afin de tracter des chaluts encore plus grands ! Sur le papier, le nouveau moteur ne doit pas être plus puissant que l'ancien, mais les contrôles sont quasi inexistants. « Grâce à un efficace lobbying à Bruxelles, les patrons de chalutier ont une fois encore emporté le morceau au détriment des petits bateaux qui pratiquent une pêche durable », déplore l'un des représentants du syndicat des pêcheurs artisanaux.
On espère que le nouveau Parlement européen, qui a commencé à plancher sur la question le 12 novembre, va un peu se mouiller pour les poissons.
Dans le Canard enchaîné du 13 novembre 2019.