En 1870, deux décrets accordent la nationalité françaises aux juifs et aux musulmans résidant sur le territoire algérien. En 1940, les Français d'Algérie non-juifs, plutôt pro-Maréchal, appliquent la loi sur le statut différencié des juifs et obtiennent, de Vichy, par la plume de Peyrouton, ministre de l'Intérieur de Laval, la fin d'un des décrets, celui accordant la nationalité aux juifs d'Algérie, dit décret Crémieux.
(critique du livre L'Année des dupes, Alger 1943 écrit par Jacques Attali (Fayard))
Surtout, détourner le regard, oublier ce passé qui, sinon, ne passerait pas — d’ailleurs, a-t-il même existé ? C’est évident, on parle bien peu de ce qui s’est déroulé en Algérie pendant l’Occupation, surtout de novembre 1942 à novembre 1943. Quel zèle ! Car on est passionnément, furieusement maréchaliste, à Alger, durant ces années sombres.
Dès le vote de la loi « portant statut des Juifs », celle-ci est aussitôt appliquée, et avec la plus grande fermeté, en Algérie avant même sa publication, trois semaines plus tard. Sans aucune demande du Reich. Comme l’expliquera l’historien américain Robert Paxton, « c’est Vichy qui subit les pressions d’Alger, et non l’inverse. En particulier, les Français d’Algérie (non juifs) font pression sur Vichy pour obtenir ce dont ils rêvent depuis soixante-dix ans : l’abrogation du décret Crémieux ». Voté en 1870, ce célèbre décret accorde la nationalité française aux Juifs d’Algérie. Il passe mal, ce décret, il gratte, il démange. Dès 1871, on tente de l’abroger. Le 8 octobre 1940, c’est chose faite. Les Juifs d’Algérie redeviennent des « indigènes », ce que, pour certains, ils n’auraient jamais dû cesser d’être.
Le décret est de nouveau aboli en 1943 ! De Gaulle, à la tête du Comité français de Libération nationale, décide de republier le fameux décret… sans donner de date. Les « Israélites » n’ont qu’à attendre. Jusqu’à octobre 1943, date de son rétablissement.
Derrière l’incroyable double abrogation du décret Crémieux, on trouve le même homme, Marcel Peyrouton. Acquitté par la Haute Cour de Justice en 1948, ce haut fonctionnaire du ministère des Colonies, ministre de l’Intérieur de Laval, résident général en Tunisie, puis au Maroc, a fini ses jours peinard à Saint-Cloud en 1983. Il a pris grand soin à la rédaction de ses Mémoires, pour l’édification des jeunes générations. Tranquillou.
Dans le Canard enchaîné du 6 novembre 2019.