le sondage Ifop que l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) a rendu public hier, en même temps que son rapport annuel sur le sujet (lire encadré ci-contre). Selon cette enquête, 54 % des Français considèrent comme « justifié le fait pour un policier d’envoyer des décharges électriques sur une personne soupçonnée d’avoir posé une bombe prête à exploser ». Un chiffre qui n’était que de 34 % en 2000. De manière plus générale, 36 % des sondés disent désormais « accepter le recours à la torture dans certains cas exceptionnels », contre 25 % en 2000.
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Pour le responsable, la cause de ce glissement est évidente : « On ne peut que l’attribuer au terrorisme. En 2000, il n’y avait pas eu encore le 11 Septembre, les attentats de Londres, Madrid, Paris ou Bruxelles. La peur, depuis, s’est installée en profondeur. Et, avec elle, le fantasme que le recours à la violence pouvait être efficace dans la lutte contre ces menaces. » Ce que confirme un autre résultat du sondage : 45 % des personnes interrogées estiment que la torture est efficace pour « prévenir des actes de terrorisme » comme pour « obtenir des informations fiables ».
« Pourtant, c’est totalement faux, souligne Jean-Étienne de Linares. D’abord, le scénario du poseur de bombe qu’on torturerait est en réalité une escroquerie intellectuelle. Ce genre de cas n’arrive jamais, on ne vit pas dans le monde de Jack Bauer ! Et, surtout, plusieurs rapports du Sénat américain l’ont montré : les renseignements obtenus sous la torture ne sont pas fiables. Les gens parlent, certes, mais disent souvent n’importe quoi. Ce recours peut même se révéler contre-productif, car il crée des martyrs. »
[...] Une majorité de sondés estiment ainsi que les minorités ethniques ou religieuses (39 %) ou les opposants politiques (25 %) sont les premières victimes de la torture, alors qu’il s’agit en réalité des délinquants et suspects de droit commun (cités seulement par 7 %). Même confusion sur les auteurs de tortures, attribuées en priorité aux membres de groupes armés non étatiques (51 %) ou d’organisations criminelles (33 %), alors que les principaux responsables sont, en fait, les militaires (cités par 6 % des sondés), les policiers (3 %) ou les gardiens de prison (1 %).
Enfin, la part des personnes interrogées qui se disent prêtes à recourir elles-mêmes à la torture « dans des circonstances exceptionnelles » : 18 % ! Un chiffre qui grimpe à 41 % chez les sympathisants du FN… [...]
Au Nigeria, la situation s’est détériorée depuis 2009. La présence du groupe islamiste Boko Haram dans le nord du pays a entraîné une riposte violente du gouvernement, qui n’hésite pas à user de la torture contre des présumés islamistes. Second bilan inquiétant esquissé dans le rapport : le développement de la torture privée. Au Sinaï, des migrants en exil sont capturés et enfermés dans des « maisons de torture » à des fins de profits. Au Mexique, le rapport note une très nette hausse de la pratique. Depuis l’instauration, en 2006, de la politique gouvernementale de « guerre contre le crime organisé », le nombre de plaintes pour torture a augmenté de 600 %.
J-O-I-E. :'( Au sujet de l'acceptation de la torture et de son efficacité, y'a le film « No-Limit » (avec de bons gros clichés dedans, malheureusement). Je pense que les questions souffrent de l'effet « nimby » : les sondé-e-s ne s'identifient pas à un poseur de bombes, à un dealer ou à un détendu (cas utilisés dans les questions) car "je suis gentil moi, je n'ai rien à cacher" ce qui amène à penser "la torture c'est bien sur les méchants". La bonne question serait celle qui permettrait de demander au-à la sondé-e "que penses-tu d'être torturé-e ou même juste violencé-e pour un acte, quelle que soit sa gravité, que tu n'as pas commis mais pour lequel tu es soupçonné-e, peut-être sans aucune preuve ?".
Via le Canard Enchaîné du 29 juin 2016.