L'affaire ne fait pas rire la questure de l’Assemblée nationale. Le 28 juin, c’était branle-bas de combat : une association avait mis ces honorables parlementaires hors d’eux. Résumé des débats ? « Pas question de se laisser faire, nous prendrons un avocat, et on leur fera rendre gorge. De quoi se mêlent ces justiciers ? »
L’histoire remonte à mai 2017. L’association Regards citoyens demande aux députés sortants les relevés bancaires de leurs comptes IRFM (indemnité représentative de frais de mandat). Cette enveloppe, aujourd’hui contrôlée, servait, en général, à louer une permanence, à acheter du matériel informatique ou des costumes ; mais elle n’était pas toujours utilisée aussi sagement. Certains députés s’en étaient servis pour acheter, par exemple, leur permanence parlementaire — ou carrément une maison.
Ou pour rembourser des prêts bancaires personnels ou pour offir des cadeaux ou pour s'offir des vacances ou pour se faire un complément de revenus ou pour payer son adhésion au parti politique d'appartenance ou pour… Bref, les abus étaient nombreux.
Seuls huit députés répondent positivement. Regards citoyens saisit alors la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) et réclame les fameux documents ; la Commission se déclare incompétente. Entêtée, l’association décide, en mai dernier, de saisir le tribunal administratif.
La questure réconforte les députés et ex-députés concernés : l’Assemblée assurera leur défense et paiera leurs frais d’avocat. Elle appelle ça la « protection fonctionnelle ». Chez François de Rugy et à la questure, on se dit confiants. Selon le principe de la séparation des pouvoirs, le juge ne doit pas marcher sur les pieds du législateur.
Mais les juristes de Regards citoyens rétorquent que la justice, à plusieurs reprises, s’est mêlée des oignons des députés. Lors de l’affaire Fillon, elle a demandé des précisions sur les activités d’une collaboratrice prénommée Penelope…
Juges fureteurs
A l’occasion aussi de l’affaire dite « des enveloppes » — ces « compléments de revenus » versés entre 2009 et 2014 à des sénateurs de l’ex-groupe UMP en détournant des sommes destinées à des collaborateurs —, elle a aussi épluché les finances des groupes parlementaires au Sénat.
Enfin, Regards citoyens exhibe la récente jurisprudence de la Cour de cassation, qui, le 27 juin, a jugé que les parlementaires étaient chargés d’une mission de service public. Or, lorsque la Cada s’était déclarée incompétente pour répondre aux demandes de l’association, c’était précisément en contestant cette mission de service public…
Avec ces grands serviteurs de l’Etat, c’est drôle comme le noir d’un jour peut virer blanc le lendemain.
Bien joué, Regards citoyens ! < 3 .
Dans le Canard enchaîné du 25 juillet 2018.