Les préfets — ces grands serviteurs de l’Etat réputés pour leur promptitude à ouvrir les parapluies — ont souvent la pétoche. Et la toute récente éviction d’Henri-Michel Comet, leur collègue de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a fait naître chez eux un authentique vent de panique.
En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le ministre de l’Intérieur a flingué celui que ses collègues avaient surnommé, en référence à son dandysme, « le Brummel de la préfectorale ». Collomb s’est appuyé sur un rapport critique de l’Inspection générale de l’administration consacré aux conditions de la remise en liberté (à Lyon, la veille de son passage à l’acte) du tueur des deux étudiantes à Marseille, le 1er octobre.
Le document pointe des « dysfonctionnements » dans la gestion des reconduites aux frontières des immigrés en situation irrégulière, tout en reconnaissant que ce constat peut « s’appliquer (...) à d’autres préfectures ». D’où l’affolement général.
Lutte des places
Résultat : les grands commis de l’Etat ont soufflé dans les bronches des patrons de la police aux frontières, lesquels ont vertement secoué leurs troupes. Et, au cas où ça ne suffirait pas, certains préfets ont téléphoné directement aux poulets pour exiger que chaque migrant en situation irrégulière soit conduit dans un centre de rétention administrative (CRA). Les résultats n’ont pas tardé à se faire sentir : la machine s’est grippée. Atchoum !
Rien qu’en Rhône-Alpes, ce mois-ci, les poulets ont cueilli 38 000 personnes — contre 5 000 pour un mois dit « normal ». Mais où les caser ? Les CRA ne peuvent en accueillir que 1 775, outre-mer compris. Entre les préfets, une véritable « lutte des places » s’est donc engagée.
Le 22 octobre, un sans-papiers arrêté à Ajaccio a failli être expédié, en avion et sous escorte, dans le centre de Metz. Un autre a été conduit de Grenoble à Lille. La veille, un migrant interpellé à Briançon a été convoyé à Toulouse, en passant par Marseille puis par Montpellier.
Ce manège a un coût, inchiffrable pour le moment. « On fera les comptes en fin d’année », assure un ponte de l’Intérieur, en précisant que « l’Etat n’expulse que 10 % des personnes placées en CRA. D’un point de vue comptable, c’est un investissement en pure perte ».
Certes, mais, en matière de com’ pour les préfets, ça peut payer…
Mieux vaut sauver sa petite place au chaud que de faire le boulot correctement…
Dans le Canard enchaîné du 1er novembre 2017.