Les portiques écotaxe ne sont pas perdus pour tout le monde, ils peuvent servir à fliquer les voitures.
Qui est au courrant que les portiques écotaxe, ces colonnes aux multiples caméras qui surplombent certaines routes et autooutes gratuites dont on dit qu'ils sont en train de rouiller depuis l'enterrement — à plus de 1 milliard d’euros — du projet de taxe des poids lourds, en 2014, sont en fait bien utilisés ? En l'occurrence, ils le sont, faisant office de mouchards, pour les douanes et leur intermédiaire, la police. Qui sait que les radars automatiques ne servent pas seulement à contrôler la vitesse ?
Dans le premier cas, la nouvelle finalité des 142 équipements encore en place, selon le dernier décompte disponible, n’a tout simplement jamais été officialisée ; dans le second, les autorités se gardent bien d'en parler.
13-NOVEMBRE. Dans le rapport 2016 de la commission d'enquête parlementaire sur les moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme un pavé de plus de 1400 pages), une seule petite phrase en fait mention. « On nous a expliqué, lit-on dans le compte rendu d‘une audition à huis clos (et donc épuré avant sa publication dans le rapport), que les radars automatiques avaient également été utilisés dans la nuit du 13 novembre », après les attentats de Paris et de Saint-Denis, en 2015. C'est l'ancien député PS Sébastien Pietrasanta, également rapporteur de la mission, qui prononce cette phrase. Joint par « Le Canard », il ne pensait pas que l'information, dont il assure ne plus se souvenir en détail, avait été conservée dans le rapport, car « on avait bien conscience qu'elle était sensible ».
Et pour cause : le Palmipède a pu établir que, cette nuit-là, toute une partie des radars avait été reparamétrée, avec un seuil de détection abaissé, afin de flasher tous les véhicules en circulation, et non plus seulement ceux en infraction. Ce qui revient à détourner de sa finalité le système de contrôle automatisé et, donc, toutes les données collectées par son intermédiaire, ce qui est interdit par la loi, même en état d‘urgence. Un tel détournement, à l'insu de tous les usagers, n'est-il vraiment arrivé que cette fois-là, dans des circonstances qui pourraient, pour beaucoup, le justifier ?
En 2006, c’est le ministère de la Justice qui, pour la première fois, évoque, dans une circulaire, cette utilisation des radars « à des fins étrangères à la sécurité routière » et mentionne ces demandes des services d’enquête qui souhaitent « localiser un véhicule déterminé ». Le centre de Rennes, où sont traités tous les clichés pris par les appareils, y a consacré « 18 % de son temps », début 2005, et ces « demandes (…) risquent de ne cesser d'augmenter », y est-il précisé. La circulaire recommande « que les services enquêteurs ne sollicitent [le centre] qu'avec parcimonie », soit uniquement « dans le cadre des enquêtes relatives à des infractions présentant une particulière gravité (criminalité organisée, trafic de stupéfiants, qualifications criminelles…) », « à la condition que l’information recherchée constitue une réelle plus-value pour l’enquête », et « sous réserve que les enquêteurs possèdent des éléments précis d’identification du véhicule ».
Depuis cinq ans, ces « services enquêteurs » n’ont plus à passer par Rennes, qui, comme le prévoyait la circulaire, n'arrivait plus à suivre l'afflux des réquisiions. Une application informatique a été « développée afin de procéder à leur automatisation », confirme le ministère de l’Intérieur.
PHOTO. Baptisée en interne « Adoc » (Accès aux dossiers des contraventions), l'application rassemble toutes les informations contenues dans les messages d'infraction (MIF), qui transitent par Rennes — chaque flash de radar, chaque faute relevée, que ce soit après une interpellation ou par la vidéosurveillance, constitue un MIF. Sauf que chaque MIF ne se transforme pas systématiquement en PV ! Une photo inexploitable, un numéro d'immatriculation mal certains MIF se révèlent intondés.
Que le fichier inclue ainsi des MIF erronés renvoyant à des usagers qui n'ont peut-être commis aucune infraction rend son utilisation problématique mais n'émeut guère la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), le gendarme des données personnelles. Quant aux portiques écotaxe, leurs caméras sont dotées d'un système de lecture automatique de plaques d'immatriculation (Lapi) et peuvent ainsi relever les numéros de tous les véhicules passant par là. Rien de plus simple, ensuite, que de trouver les noms, date et lieu de naissance, adresse, numéro de permis de conduire des titulaires des cartes grises… « Il n’existe aucun projet de réutilisation par les services dela police et la gendarmerie nationales », se défend le ministère de l'Intérieur. Circulez, y a rien à photographier ?
À propos de LAPI : LAPI : les futurs lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation des forces de l'ordre.
Dans le numéro 149 des dossiers du Canard enchaîné.