George Orwell imaginait une dictature s’armant d’une novlangue propre à enterrer la pensée. Trump le fait ! Le maître de la Maison—Blanche tente d’évincer les mots qualifiant les problèmes de santé publique qui le dérangent.
Aux États-Unis, le réseau des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, CDC) est une institution des plus respectées dont l’autorité en matière de surveillance des pathologies lui vaut reconnaissance internationale. Les CDC sont particulièreménten charge de la prévention de la morbidité et de la mortalité dans les maladies transmissibles, les maladies dues à l’environnement, les maladies chroniques, les lésions traumatiques et les risques professionnels. Traduits en langage trumpien, les CDC sont des empêcheurs d’exploiter, de polluer, d’empoisonner à petit feu, de laisser mourir les malades du Sida, de la tuberculose, etc. C’est ainsi que l’on peut interpréter la décision, le 16 décembre 2017, de la direction du CDC d’interdire à ses cadres d’utiliser sept mots dans leurs écrits officiels : « transgenre », « diversité », « foetus », « le droit a… », « fondé sur des preuves », « vulnérable » et « fondé scientifiquemen » que l’on conseille de remplacer par « la science au regard des normes et des souhaits de la communauté ».
Cette directive vaut pour les documents budgétaires, par pour les écrits scientifiques en eux-mêmes. Pour l'instant ?
Le grand effacement
Dans le monde du « fait alternatif » de Donald Trump — comme aime à justifier ses mensonges sa conseillère particulière, Kellyanne Conway — bannir des mots suffirait à réfuter l’existence de ce qu’ils recouvrent. En interdisant le mot « foetus », on effacerait l’avortement; en supprimant « transgenre », ce dernier devient transparent; en gommant « vulnérable », il n’y a plus ni pauvres, ni problèmes sociaux, ni victimes potentielles des armes à feu.
Une autre piste est celle de maximiser les chances des CDC de débloquer des crédits en n'utilisant pas de mots qui font flipper les vieux réacs conservateurs du Congrès, ceux-là même qui octroient les crédits. En gros, cette directive de l'administration Trump serait dans l'intérêt des CDC. Lolilol.
Mais quels mots choisir pour les turpitudes de Brenda fitzgerald, l’ex-directrice du CDC ? Après les mots interdits en décembre, le CDC s’est lancé en janvier 2018 dans la préparation des esprits à la guerre nucléaire, avec une conférence en ligne intitulée « La réponse de la Santé publique lors d’une déflagration nucléaire ». Son but : apprendre à planifier et préparer les interventions d’urgence en cas de détonation nucléaire. Faut-il y discerner un désir présidentiel de passer du rêve à la réalité ?
En février, Alex Azar, secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, l’autorité de tutelle du CDC, a annoncé dans un « trumpien » parfait que les « intérêts financiers complexes » de Brenda Fitzgerald l’obligeaient à accepter sa démission. En fait, c’est le journal américain Politica qui a fait sortir les mots justes — conflit d’intérêts — en révélant que la directrice du CDC nommée par Trump avait depuis lors investi des sommes d’argent importantes dans des actions d’une multinationale du tabac, dans des laboratoires pharmaceutiques et dans une compagnie d’assurance santé.
Dans Siné mensuel de mai 2018.