Quand elle était jeune, ma mère portait souvent des talons aiguilles. Je devais avoir sept-huit ans quand lui ai posé un jour cette question et sa réponse m'avait un peu laissé sur le cul.
‒ Ça ne te fait pas mal de marcher sur la pointe des pieds ?
‒ Il faut souffrir pour être belle.Ma mère souffait donc tous les jours, et moi j'ai tout de suite haï les talons aiguilles. Je me demandais comment elle faisait pour marcher un peu soulevée par l'arrière du pied sans tomber en avant. Chaque fois qu'elle en portait, je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir les yeux rivés dessus et de les associer immédiatement à la douleur.
Plus tard, les premières questions sont arrivées. Pourquoi les femmes s'imposent-elles cette souffrance quotidienne ? Comment ont fait les hommes pour convaincre les femmes qu'elles étaient plus belles dans la douleur ? D'où a surgi cette idée stupide de leur foutre deux petites échasses sous les talons, ces prothèses ridicules pour leur faire gagner quelques centimètres juste pour paraître d'une taille qu'elles n'ont pas ? Est-ce un handicap d'être en moyenne moins grandes que les hommes ? Est-ce pour pallier à juste titre un sentiment de domination des grands cons que nous sommes ? Marcher sur la pointe des pieds, cette position antinaturelle, ne provoquerait-il pas des dégâts sur la colonne vertébrale et ailleurs ? Depuis, j'ai toujours trouvé les femmes à talons plats incomparativement plus naturelles et séduisantes.
Quand, plus tard, j'ai pris conscience du pouvoir qu'avaient les hommes sur les femmes et dont ils abusaient copieusement, j'ai haï les talons aiguilles encore plus. Comment se fait-il que cette manipulation d'un sexe sur l'autre a longtemps été à sens unique ? Pourquoi les femmes n'ont-elles jamais eu l'idée d'imposer aux hommes des contraintes à la con pour les rendre plus séduisants ? Une pince à longe sur le nez ? Une demi-barbe pour avoir le choix des calins avec ou sans poils ? S'épiler les aisselles ? Des prothèses sous les talons valent bien une aiguille à tricoter plantée et qui traverse les joues ou la peau du cou. Mon beau-père le faisait bien, lui, sur scène du temps de ses spectacles de mahie pour plaire à son public. Ça aurait pu faire partie des canons de beauté masculine s'il y avait eu plus de justice. les hommes de certaines peuplades africaines se foutent bien des os dans le nez et des plateaux sous la lèvres, pourquoi pas nous ?
Il existe fort heureusement aujourd'hui des modes encore plus nases que les talons aiguilles et qui ridiculisent les mecs autant que les femmes, comme celle du pantalon baissé sur le bas des hanches qui laisse apparaître la raie des fesses et qui traîne par terre avec tous ses plis sur les chaussures. Cette mode stupide est en train de passer, peut-être depuis qu'on a appris qu'elle provenait des taulards qui descendaient leur froc pendant les promenade pour signifier leur disponibilité sexuelle et affective. En prison, ça se comprend, mais ailleurs, ça n'a aucun sens. Pire encore, les vêtements volontairement déchirés pour imiter les habits de la misère. Insupportable. Mais comment en est-on arrivés là ? On décade à mort et tout le monde s'en fout.
C'est tout de même curieux que parmi les femmes qui se sont imposé les talons aiguilles et autres opérations de chirurgie esthétique pour avoir de plus gros seins et des peaux de visage trafiquées soient parfois les mêmes que celles qui gueulent contre le port du voile. Mais lorsqu'un barré entoure un pont d'un tissu qui le rend moche à pleurer, tout le monde applaudit. Ça sent la fin d'un cycle.
Je partage l'essentiel de cette B.D. : oui, les femmes à talons plats et aux petits seins naturels sont incomparablement plus attirantes et séduisantes. La comparaison talons / voile est bien sentie. Pour le pantalon qui traîne par terre avec des plis sur les chaussures, je pratique. Motif : la flemme de faire des ourlets et la standardisation en œuvre dans les commerces de fringues qui fait que les pantalons sont rarement taillés pour mes pattes…
Dans le numéro de mars 2019 de Siné mensuel.