Un documentaire sur les réacteurs nucléaires à sels fondus (combustible liquide). Il permet d'avoir les idées plus claires sur ce type de réacteur que certains vantent à longueur de temps à l'aide de l'argument "les méchants lobbies limitent son développement", ce qui n'est pas si simple (il reste encore des inconnues et du travail de recherche à accomplir) et qui ne résout pas tous les problèmes (notamment d'émission de déchets).
J'en recommande le visionnage, même si toute l'animation de synthèse (la fausse pub sur le Thorium qui revient en boucle, la partie de poker "nuclaire"…) est très très pénible…
Mes notes :
- Après l'arme nucléaire, l'armée navale état-unienne souhaite disposer de navires et de sous-marins à propulsion nucléaire. Cela permettra aux submersibles de rester immerger plus longtemps puisque la fission nucléaire délivre beaucoup d'énergie tout en occupant un volume restreint ;
- Il existe plusieurs combustibles, plusieurs moyens de refroidissement et plusieurs modérateurs (pour contrôler la fission). Cela fait plus d'un millier de combinaisons possibles, donc plus d'un millier de réacteurs nucléaires possibles ;
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Par exemple, le thorium, nommé selon le dieu du tonnerre dans la mythologie nordique, peut absorber des neutrons. C'est ce que l'on nomme la désintégration radioactive. Puis, devenu de l'uranium 233, il peut fissionner. Le thorium ne convient pas pour un usage militaire : l'uranium 233 produirait des bombes qui exploseraient systématiquement trop tôt. Le thorium est présent un peu partout autour du globe, la France dispose déjà d'un siècle de réserves déjà extraites ;
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Le choix civil se porte sur un réacteur uranium + plutonium à l'état solide + eau pressurisée (afin d'augmenter la capacité de dissipation thermique de l'eau en repoussant son seuil de passage à l'état gazeux) + graphite (afin de contrôler la fission, de ralentir la propagation des neutrons). Le choix civil se confond avec le choix militaire des débuts : il faut des réacteurs qui produisent plus de matière fissile (plutonium utilisé dans les bombes) qu'il en consomme. ;
- Pourtant, un tel réacteur est plus gourmand en combustible : la fission fissure les pastilles de combustible, ce qui nuit à la dissipation thermique donc à la performance du réacteur et qui conduit à changer le combustible pour le recycler alors qu'à peine 10 % a été utilisé ;
- De même, ce type de réacteurs est moins sécurisé : leur état par défaut, c'est l'emballement qu'il faut freiner avec un modérateur. De même, on est obligé de se demander si le gainage va pouvoir effectivement contenir le combustible en toutes conditions. De même, en l'absence d'un système de refroidissement, l'eau utilisée pour transmettre l'énergie à des turbines à vapeur peut subir une radiolyse (décomposition en hydrogène, entre autre) qui peut conduire à une explosion de vapeur… Il peut également y avoir production d'hydrogène explosif en cas de réaction entre l'eau bouillante et le zirconium utilisé dans le gainage du combustible… ;
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Notons les avantages d'un réacteur à sels fondus + thorium :
- Pour arrêter le réacteur, nul besoin de stopper un emballement : on retire les sels fondus du circuit pour les transvaser dans un réservoir ;
- Aucun risque de vapeur ou d'hydrogène explosif, car rien de tout ça est produit dans un tel réacteur ;
- Les sels se cristallisent si le refroidissement cesse, ce qui empêche les fuites de résidus de fission en cas d'accident ;
- Un tel réacteur consomme, en circuit fermé, l'intégralité du combustible qu'on lui fournis ;
- Un tel réacteur est moins complexe, donc plus sécurisé, notamment car il ne nécessite pas toute une machinerie pour le refroidir et d’autres pour traiter les différents problèmes d’un réacteur à eau pressurisée, il traite le problème à la source ;
- La puissance délivrée par un tel réacteur peut être modulée plus facilement, ce qui en fait un bon complément des énergies renouvelables** dont la production fluctue (éolien, solaire, hydro, etc.) ;
- Notons que le problème des déchets n'est pas totalement résolu : un réacteur à sels fondus + thorium réduit de 80 % les déchets émis, mais il en reste. Certes, ceux restant ont une durée de vie courte, loin des millénaires nécessaires aux résidus de fission d'un réacteur à eau pressurisée ;
- L'armée de l'air état-unienne se met à désirer un avion à propulsion nucléaire capable, ainsi, de voler plus longtemps, donc d'être présent plus longtemps en territoire ennemi (utile en cas de menace permanente, comme celle qu'exerçait alors l'URSS). C'est stupide : que se passera-t-il en cas de crash ? Le poids du blindage nécessaire pour protéger les passagers entre en contradiction avec la nécessité de voler, etc. Mais l'argent est là, donc autant en profiter… Ce besoin donne un nouvel intérêt au thorium utilisé dans les sels fondus (fluorure de lithium ou de béryllium à l'état liquide) qui ne se transforment pas en vapeur, à pression atmosphérique normale, avant 800 degrès Celsius, température nécessaire pour un vol. Il n'y a plus de non plus de risque d'explosion de vapeur d'eau ni de production d'hydrogène. Lors de son arrivée au pouvoir, Kennedy met un terme à ce projet, notamment, car les missiles intercontinentaux apparus en 1962 limitent l'intérêt d'un largage par avion, ce qui enterre l'idée d'un réacteur nucléaire à sels fondus ;
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Le Japon cesse également ses recherches en la matière… Il rencontrait des problèmes sur les alliages, problèmes déjà résolus aux USA, mais les Japonais l'ignoraient ;
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Les temps ayant changé, qu'est-ce qui empêche aujourd'hui le développement d'un réacteur nucléaire à sel fondu au thorium ?
- Même s'il n'y a plus vraiment de besoin militaire pressant justifiant une production conséquente de plutonium, la recherche scientifique a une certaine inertie ("on a toujours fait comme ça") ;
- Les industriels ont peur de la concurrence qui les contraindraient à fermer les réacteurs à eau pressurisée qui ont été amortis et dont le maintien en condition opérationnel coûte (à court terme, et sans considérer un accident potentiel) moins cher que d'investir dans une nouvelle technologie. De même, cela remet en cause le modèle économique basé sur le recyclage et sur la possession d'une filière d'uranium. Les industriels de l'énergie fossile ont également peur de cette concurrence ;
- Un réacteur à sels fondus, même s'il y a eu plusieurs implémentations, n'a jamais été vraiment testé dans des conditions réelles : des doutes persistent sur la corrosion, la gestion des sels, etc. Il reste encore pas mal de travail de recherche à effectuer. Ce qui est un problème en soi : nous ne disposons plus d'une équipe facilement mobilisable comme lors du projet Manhattan, du savoir a été perdu en chemin, il faudrait donc repartir de quasiment 0, ce qui coûterait environ 1 milliard de dollars pour avoir une bonne démonstration ;
- L'IMSR, le réacteur intégral à sels fondus, l'une des implémentations les plus en vues est modulaire. L'un des modules a une durée de vie de 7 ans, ce qui limite le bénéfice après amortissement… ;
- Les Chinois et tout un tas de start-up bossent sur des réacteurs à sels fondus. Néanmoins, en fonction de l'objectif que l'on se fixe (réduire les déchets, augmenter la sécurité, etc.), tous les réacteurs en cours de développement (notamment ceux dont la livraison est promise dans quelques années par des startups) ne conviennent pas ;
- Notons que la transmutation, ce procédé pour recycler les résidus de fission de nos réacteurs actuels avec lequel on nous abreuvait il y a 10-15 ans, semble avoir du plomb dans l'aile… Ce qui n'a rien d'étonnant vu la complexité de la totalité du procédé…
Via HS-157.