Quel étourdi, ce Pierre Moscovici ! Le 11 avril, le commissaire européen à l’Economie est invité à participer à une chouette conférence subventionnée… par le géant de la clope Philip Morris, pour y causer aux côtés d’un patron… de Philip Morris. Sauf que c’est interdit. A Bruxelles, toute « interaction » avec l’industrie du tabac est prescrite, hormis dans des cas « strictement nécessaires », lesdits cas excluant toute causerie autour d’un buffet de petits-fours sous un prétexte fumeux.
Mais Mosco a accepté, les yeux — un peu trop — fermés, l’invitation à cette conférence « avec cocktail », organisée par la très officielle Fondation Robert-Schuman sur le thème : « Contrebande, contrefaçon et financement du terrorisme ». Parmi les invités, du beau linge ! Les anciens juges anti-terroristes Baltasar Garzon et Jean-Louis Bruguière, le directeur adjoint d’Europol, le patron de Tracfin, Bruno Dalles, et le vice-président à la stratégie de Philip Morris International (PMI), Alvise Giustiniami. Le nom de ce lobbyiste en chef figure en toutes lettres dans le programme officiel, de même que cette petite mention, en bas de page : « Ce colloque est organisé avec (…) l’appui financier du programme PMI Impact », modeste fonds de Philip Morris, doté de 100 millions de dollars.
Branle-bas de combat, lundi 26 mars, après un appel du « Canard » : « On n’était pas au courant de ce financement, tousse le distrait porte-parole de Moscovici. Renseignement pris, il est préférable que le commissaire ne participe pas à cette conférence. » Et d’ajouter, sans rire : « On en profite sincèrement pour vous remercier de cette information, qui nous avait échappé. » Un problème de filtre, peut-être ?
Philip Morris, lui, ne nourrit aucun complexe d’entrisme : le programme de la conférence prévoit aussi la venue de Julian King, le commissaire européen à la Sécurité, et d’un directeur adjoint de la Commission. Sans oublier deux enrodéputés français, Arnaud Danjean et Nathalie Griesbeck, eux aussi frappés de cécité : « Ah bon ? C’est financé par Philip Morris ? On n’avait pas vu », répondent en chœur leurs assistants parlementaires.
Lobby grillé
Le thème du colloque — la contrebande — n’est pas anodin. Malgré leurs grands numéros de vertu, tous les fabricants de clopes ont été condamnés, ces dernières années, pour contrebande… En 2019, afin de lutter contre le commerce parallèle, un code établissant sa provenance sera apposé sur chaque paquet. Ce système de traçabilité devait être totalement indépendant des fabricants de tabac. Et puis, coup de théâtre ! En décembre, la Commission européenne a autorisé les cigarettiers à choisir eux-mêmes les bôites qui assureront cette traçabilité. Une première — et énorme — victoire pour le lobby de la clope.
Parmi les numéros de vertu, il y a le financement de la commission européenne, via des programmes de lutte contre le marché noir au niveau européen.
La vigilance sans faille de Bruxelles aurait-elle été prise en défaut ?
C'est la stratégie habituelle "tant que la presse à grand tirage ne me voit pas, je copine. Si la presse à grand tirage me voit, je plaide l'erreur, le #PasAuCourant".
Dans le Canard enchapiné du 28 mars 2018.