Pris de vertige devant le manque à gagner pour les caisses de l’État — 1,2 milliard par an, selon le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) — qui s’annonce avec la généralisation de la fourniture gratuite de journaux aux abonnés des opérateurs de téléphone, Bercy s’apprête à siffler la fin de la récré. Le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, souhaite modifier la réglementation pour empêcher SFR et ses concurrents de se gaver au détriment des contribuables.
SFR avait ouvert le bal en 2015, avec une combine qui fleure bon l’abus de droit. « Le Canard » (14/6) avait expliqué le truc : en offrant à leurs clients l’accès gratuit à nombre de titres de journaux, les opérateurs appliquent à près de la moitié de la facture téléphonique le taux de TVA réservé à la presse (2,1 %), au lieu du taux normal (20 %). La facture du client demeure inchangée, mais l'opérateur, lui augmente sa marge, puisque la TVA qu’il règle à l’État diminue.
Une récente étude de la banque d’affaires américaine JPMorgan estime que SFR économise ainsi 400 millions d’euros par an, et Bouygues 260 millions. Soit 660 millions de taxe non perçue par l’État. Orange ne veut pas être en reste et va s’y mettre a la rentrée, suivi par Free. D’où le manque à gagner prévisible de 1,2 milliard d’euros par an. Une paille !
Saisi au début de l’année par des concurrents jaloux pour savoir si la combine de SFR était légale, Bercy s’était bien gardé de répondre. « La loi n’est pas précise », expliquait-on au ministère du Budget. Patrick Drahi, le proprio de SFR, a donc poussé son avantage.
Aujourd’hui, la ponction sur les finances publiques prend de telles proportions que Bercy doit agir. Difficile d’expliquer qu’on réduit les aides au logement de 5 euros par mois alors qu’on laisse les opérateurs s’engraissent [ NDLR : sic ] indûment de 1,2 milliard par an.
Damnanin voudrait donc imposer que la TVA à taux réduit s’applique uniquement au chiffre d’affaires « presse » des opérateurs. C’est-à-dire à la redevance qu’ils versent aux journaux, en contrepartie du droit de diffuser leurs articles. Des redevances qui sont microscopiques. Ainsi, pour SFR, elles s’élèvent à moins de 40 millions par an. Avec la réforme Damnanin, le bonus fiscal de la boîte de Drahi passerait de 400 à moins de 10 millions par an.
Pas sûr qu’avec ce régime les opérateurs continuent d’adorer la presse. Pas sûr non plus que la presse y perde, elle qui, avec ces pratiques, devient un simple produit d’appel pour opérateur de téléphonie, sans souci de son avenir.
Dans le Canard enchaîné du 26 juillet 2017.