Depuis le 1er janvier, le groupe Canal Plus a décidé de baisser les cachets de ses intermittents. Mais, là-dessus, pas de débat avec Marlène Schiappa !
On a réussi à faire « quelque chose de formidable en termes de démocratie », s’est extasiée Marlène Schiappa, sur C8, au terme de ses trois heures de show chez Cyril Hanouna (25/1). Le lendemain, la com’ était assurée : outre son gros million de téléspectateurs, la production s’enorgueillissait de la contribution majeure de « Balance ton post ! » au grand débat national de Macron.
Que demande le peuple ? « Sept propositions » retenues lors de l’émission vont être « directement » transmises au gouvernement par la sous-ministre de l’Egalité femmes-hommes. On y trouve, pêle-mêle, la prison pour les fraudeurs fiscaux, le retour de l’ISF ou la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité… Dans son cahier de doléances, cependant, le sauveur Cyril Hanouna a oublié d’en consigner une huitième : le pouvoir d’achat des intermittents trimant pour Hanouna Cyril. Et, en général, pour Canal Plus.
Touche à mon poste !
Pendant que l’animateur vedette de C8 joue au Petit Père des gilets jaunes et parle de créer une « banque du cœur » sur le modèle des Restos de Coluche, la précarité gangrène ses propres studios ! Depuis le 1er janvier, le montant de la paie des intermittents du spectacle — dont Canal use et abuse sur ses chaînes — a subitement dégringolé. Ses per— sonnels techniques signataires de CDD à répétition (les fameux CDDU, ou « contrats de grille ») ont perdu jusqu’à 30 % de leur cachet journalier !
Ingénieurs du son, cadreurs, chefs électro, assistants vidéo, scripts, titreurs… tout le monde est touché. Les shows « Touche pas à mon poste ! » et « Balance ton post ! », de C8, n’échappent pas à la règle : ces émissions — produites par H20, la boîte d’Hanouna — sont enregistrées dans des locaux de Vivendi avec du personnel fourni et payé par la Société d’édition de Canal Plus. Jusqu’ici, la situation n’a guère ému le meilleur ami des gilets jaunes.
Dans l’émission « Balance ton post ! », chère à Marlène Schiappa, le serrage de ceinture atteint, par exemple, 10 voire 20 euros par jour pour un intermittent chargé de la lumière. La perte sèche grimpe à 50 euros pour un assistant plateau, et même à 70 euros pour un ingénieur du son ! Dans les régies d’autres émissions, c’est pire : jusqu’à 100 euros de moins pour un cadre technique de réalisation assurant le boulot d’un chef d’antenne. C’est l’insurrection qui vient, à Canal ?
Chez Bolloré, on n’a pas jugé utile d’expliquer cette brutale mise à la diète aux principaux concernés. Un mail (limpide) leur a toutefois été envoyé mi-décembre : « Un référentiel tarifaire minimum des contrats d’intermittent entrera en vigueur afin de mettre en cohérence et d’harmoniser les pratiques tarifaires. Votre interlocuteur habituel vous contactera dans les plus brefs délais afin d’échanger individuellement sur cette nouvelle politique. » Laquelle « nouvelle politique » a été précisée oralement : « Chacun a été informé de sa baisse de salaire entre deux portes. C’est ça ou le chômage. Ceux qui refusent ne sont pas rappelés », raconte un intermittent.
Pour le groupe Canal, qui ne livre jamais le nombre officiel des soutiers qu’il emploie, le coup de rabot n’est pas innocent : Gérald-Brice Viret, le directeur des antennes, a récemment glissé, lors d’une rencontre interne, que les CDDU représentaient « de 400 à 500 équivalents temps plein ». Il y a six ans déjà, Sophie Tissier, une intermittente de « Touche pas à mon poste ! », avait fait irruption sur le plateau pour se plaindre d’une baisse de son forfait imposée par Canal. Virée, elle s’est lancée dans une longue bataille judiciaire contre le mastodonte Canal, qui a fini par l’emporter. Ironie — si l’on peut dire — de l’histoire, cette révoltée est aujourd’hui devenue l’une des figures des gilets jaunes féminins.
Vendredi soir, comme c’est dommage, ni Schiappa ni Hanouna n’avaient pensé à l’inviter…
Intéressant papier qui permet de rappeler la précarité qui règne dans le milieu des intermittents du spectacle d'une manière générale (hors Canal).
Dans le Canard enchaîné du 30 janvier 2019.