Résumé : sur les 5 dernières années, le nombre de points de vente presse a diminué d'environ 2,5 % par an. Les kiosques parisiens ont été les plus touchés par la crise de la presse. Au niveau national, un tiers des points de vente gagnent très bien leur vie, un tiers normalement et un tiers pas bien, sachant qu'ils peuvent exercer ou non des activités en parallèle. On est passé d'un marché de journaux à grand tirage à une diversité des publications sous forme de magazines qui écrivent sur le temps long. Les magazines génèrent 70 % du chiffre d'affaires. Des opportunistes utilisent le réseau de distribution pour vendre des objets sans trop de rapport avec la presse comme les râpes à fromage (quid des figurines et des modèles miniatures ?) que certains distributeurs voudraient ne plus être obligés de diffuser. C'est l'un des points de la réforme de la loi Bichet d'octobre 2019, les autres étant l'ouverture à la concurrence du réseau de distribution Presstalis (vu ses difficultés) et la fusion des régulateurs actuels avec l'ARCEP. La "presse" se divise en 3 catégories : la presse d'Information Politique et Générale (IPG), soit environ 50 titres dont la loi Bichet de 1947 impose la diffusion, les produits journalistes agréés (commission paritaire) qui sont tout aussi éligibles aux aides à la presse soit 3000-3500 titres et le reste.
Je suis dubitatif face à cette obligation de diffusion de la presse IPG. Fakir et le Ravi sont classés IPG et je les trouve jamais dans plusieurs points presse de ma ville (environ 100 000 habitants). Siné mensuel, lui aussi classé IPG, est disponible depuis très récemment dans mon point de vente presse préféré. Cette obligation est-elle appliquée ? Son application est-elle contrôlée ? Existe-t-il des dérogations ?
Quelle est l’évolution des points de vente de journaux en France ?
Il y a 23 627 points de vente au 31 mai 2019. Contre 26 000 ou 27 000 il y a cinq ans… Et le chiffre, malheureusement, continue de décliner. Ces points de vente sont assez hétérogènes : pour certains, la presse est l’activité première du magasin, pour d’autres, plus petits, c’est plus accessoire. Mais tous participent à la capillarité du réseau en France.Il y a trente ans, les ventes de quotidiens et d’hebdos généralistes représentaient l’essentiel de vos ventes. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas…
Il n’y a plus qu’une dizaine de quotidiens nationaux… En revanche, les magazines représentent l’essentiel du chiffre d’affaires : 70 % au niveau national, 20 % presse quotidienne. Les 10 % restants, ce sont divers produits, imprimés ou pas, qui sont livrés également par les messageries de presse. La France est le pays qui propose l’offre la plus riche et qui vend le plus de magazines au monde !À Paris, il y a maintenant de « nouveaux kiosques ». Ils vendent aussi des porte-clés, des billets de bus, etc. Bonne nouvelle ?
Les kiosques parisiens se sont pris la crise de la presse quotidienne nationale de plein fouet. Ils en étaient les principaux vendeurs. Alors, est-ce qu’on est content de vendre autre chose que de la presse quand on a la presse attachée au coeur ? Pas forcément. Après, il y a des modèles économiques qui font que, hélas, on n’a pas vraiment le choix… Au niveau national, un tiers des marchands de journaux gagnent très bien leur vie, un tiers normalement, et un tiers pas bien. Parmi ce dernier tiers, la plupart sont à Paris.Oui, mais vous reconnaissez que certains abusent du système et que vous êtes parfois obligés de distribuer des objets qui n’ont rien à voir avec la presse comme — c’est assez pittoresque — des râpes à fromage ou des pastilles Pulmoll.
En 1947, à la sortie de la guerre, la loi Bichet donnait à tous les éditeurs le droit d’utiliser le réseau pour diffuser la presse quotidienne, nationale et régionale. Il y avait quelques magazines, mais très peu. C’était une volonté de garantie démocratique. La loi de 1947 a permis aux éditeurs d’enrichir l’offre, c’était très bien. Cette loi va être rediscutée dans les semaines à venir, nous y reviendrons. Mais au fil du temps, il y a des petits malins ou des opportunistes — et, pour certains, tricheurs —, qui ont compris qu’il y avait un magnifique réseau assez corvéable et qui l’ont utilisé. Ils ont compris qu’il suffisait de mettre un produit, imprimé ou pas, comme une râpe à fromage, dans les tuyaux de la messagerie pour que 23 000 marchands la proposent en même temps ![…]
Vous ne croyez pas à la mort de la presse papier.
La presse a subi des secousses, comme toutes les activités économiques dans ce pays et dans le monde. Elle n’y a pas échappé. Une fois qu’on a dit ça, les gens continuent de lire. S’ils y trouvent leur compte, ils vont continuer de lire. La problématique, c’est le temps dont ils disposent aujourd’hui. Des concurrences sont venues prendre (le la place, non pas en termes d’information, de culture etc., mais en termes de temps. Le temps disponible a été atomisé par l’arrivée d’Internet, des téléphones mobiles, etc. Le temps passé auparavant sur la lecture papier a été explosé. Les chaînes d’infos omniprésentes, comme les radios… Tout cela concurrence la presse ; pour autant le papier n’est pas mort ! La presse s’est toujours très bien vendue le week-end, ça reste le cas. Et on va vers des temps de lecture de plus en plus long. L’info chaude, les news, on a tous des téléphones mobiles et des notifications qui vibrent toutes les cinq secondes dans notre poche; évidemment, on n’a plus la même appétence pour tels ou tels journaux. Pour autant, on achète des magazines à 19 euros. C’est bien pour les lire, ce n’est pas pour dépenser de l’argent ! C’est à ça qu’il faut s’adapter. C’est pour ça que je suis optimiste.D’autres exemples de titres qui marchent bien ?
Toutes les ventes sont en baisse. Mais il y a encore des titres qu’on dit « de niche » qui ont du succès. Je ne sais pas si ce terme est approprié. Peut-être qu’on l’emploie parce que ce sont des tirages qui n’ont plus rien a voir avec ce qu’on a connu. Mais en réalité ce sont des titres à centres d’intérêt, de savoir, de culture. L’histoire par exemple marche bien. Même si nous ne sommes plus du tout sur les mêmes volumes de ventes qu’on a connus auparavant.[…]
Alors, à quoi va servir cette réforme [N.D.L.R : de la loi Bichet ] ?
Précisons qu’au moment où je vous réponds, la loi n’est pas encore votée. je suis désolé, mais pour que vos lecteurs comprennent, je dois entrer un peu dans la technique. Les marchands de journaux reçoivent la bagatelle de plus de 6000 titres ! Du Monde à la râpe à fromage, dont nous avons parlé précédemment. Il y a une cinquantaine de titres classés « information politique et générale [IPG] » dont fait partie Siné Mensuel. Ceux-là, pour nous, ils sont importants parce que ce réseau a été construit autour de ces titres. Nous avons toujours dit que le marchand doit s’interdire d’avoir un droit sur leur diffusion [ N.L.D.R : la loi Bichet l'interdit ]. Ils appartiennent au débat, à la culture démocratique. Si on enlève ces titres, il en reste 6000. Sur ces 6000, entre 50 et 60 % ont la commission paritaire, c’est-à-dire qu’ils sont considérés comme des produits journalistiques, à base d’articles, et bénéficient à ce titre de la TVA réduite à 2,10 % au lieu de 20 %, des aides au portage ou à la distribution postale. Ces titres-là, je continue à dire qu’ils doivent rester visibles, et à arriver dans les points de vente. Nous n’avons jamais dit autre chose.Vous souhaitez pouvoir intervenir sur les autres produits.
Sur tout ce qui n’est pas la presse… Sur tous les produits qui n’ont pas de commission paritaire, soit environ 40 % de ce qu’on doit vendre. Il ne s’agit pas de choisir à la place de mes confrères mais de leur dire : « Vous avez le droit de le refuser. » Ça ne veut pas dire qu’ils vont le refuser, mais ils n’ont pas d’obligation à continuer à le recevoir. On peut reprendre l’exemple de la râpe à fromage par exemple, ou des pastilles Pulmoll. C’est sur ces produits-là que je peux avoir mon mot à dire.Cerise sur le gâteau, la concurrence devrait être ouverte aux messageries de presse d’ici 2025. Donc les coopératives risquent de disparaître au profit de boîtes privées qui ne verront que le profit et ce sera la fin des petits éditeurs.
Dans la chaîne de distribution, personne ne se passe de titres qui font des ventes et qui participent à l’économie du système, fussent-ils petits… Parce que plein de petits, ça finit par faire un chiffre d’affaires extrêmement important ! Dans cette filière, on a collectivement intérêt à se parler, à se dire les choses et a sortir du catastrophisme ambiant : quel que soit le titre qui m’est livré, que ce soit un petit ou un gros, ce qui m’intéresse, c’est que j’aie un client qui veuille l’acheter.
Dans le Siné Mensuel de septembre 2019.