Lorsqu’ils pratiquent le jogging avec un appareil muni d’un GPS, les agents de la DGSE sont repérables. Et très facilement identifiables !
Avec une simple application gratuite pour Smartphone réservée aux adeptes du jogging, il est possible d’identifier puis de suivre à la trace plusieurs agents de la DGSE. Un comble pour « la Piscine », royaume du secret et de la parano ! De la même manière, un étudiant australien avait localisé, le 29 janvier, des bases militaires de l’armée américaine et française.
Joggeur à fausse barbe
L’application Strava permet aux fondus de course à pied ayant activé la fonction GPS de leur montre ou de leur portable de suivre, au jour le jour, l’évolution de leurs performances. En restant parfaitement localisables ! Il y a trois semaines, à la suite des révélations australiennes, le ministère de la Défense avait rappelé à tous les pioupious français l’impérieuse nécessité de « désactiver les fonctions de géolocalisation » de leur Smartphone et autres gadgets électroniques.
Avertissement entendu ? Pas du tout. Certains de nos espions sont benoîtement restés branchés sur Strava. Vu les tracés cartographiques ultra-précis de l’application, il était alors facile de repérer des joggeurs qui, le midi, quittaient et regagnaient en petites foulées des sites appartenant à la DGSE. Ensuite, en se fondant sur les « pseudos » utilisés par ces espions pour s’inscrire sur Strava, retrouver leur véritable identité n’était plus qu’un jeu d’enfant…
Explication : dans leur application, les agents archivent non seulement les temps et parcours de leurs footings quotidiens mais aussi les chronos accomplis lors de compétitions officielles, de type marathon de Paris. Sauf que les performances réalisées à l’occasion de ces épreuves sont disponibles sur Internet, avec les nom, date de naissance et photos des participants ! Dès lors, il suffit de les comparer à celles des pseudos (en ligne sur Strava) pour mettre un patronyme et un visage sur les sobriquets de ces fins espions. Ce n’est plus « Le bureau des légendes », mais « OSS 117 »…
Une fois l’identité du coureur connue, l’exploration des réseaux sociaux peut permettre de reconstituer tout ou partie de l’environnement amical, familial et professionnel de ces gaillards et gaillardes émergeant à la DGSE. Tel cet agent qui a pris comme couverture le nom d’un personnage de dessin animé et qui, depuis deux ans, met malgré lui sa vie en vitrine.
Le 26 décembre 2015, notre champion étrenne son cadeau de Noël, reçu la veille : une jolie toquante avec GPS intégré, connectée à Strava. L’appli affiche ses parcours autour du domicile de sa mère, lors des réveillons 2015, 2016 et 2017. Elle détaille aussi ses petites foulées encerclant le fort de Noisy-le-Sec (Seine-Saint—Denis), siège du Service action de la DGSE. Ses joggings du week-end, eux, trahissent l’adresse de son domicile francilien. Sa page Facebook, ouverte à son nom, est discrète mais interagit très régulièrement avec un autre compte : celui de sa femme, un peu moins discrète.
C’est rageant de renseignements !
Le pompon, c’est que notre agent active aussi son appli Strava quand il se trouve en mission. Ainsi, un mois durant, sa planque dans un bâtiment en Irak était aisément géolocalisable…
La DGSE, contactée par « Le Canard » au sujet de ces trouvailles, ne lui a pas répondu. Mais elle aura sans doute pris le temps — on l’espère pour elle, et pour eux — de protéger un peu mieux ses agents. Parmi la joyeuse troupe de joggeurs à fausse barbe, certains se dégourdissent les jambes à Quélern, la base d’entraînement des nageurs de combat, ou encore au centre radioélectrique de Saint-Christol d’Albion, l’une des plus importantes stations d’écoute aménagées en France par les grandes oreilles.
Il est même possible, grâce à Strava, de géolocaliser une station d’écoute française en Afrique et, sur un autre continent, une base militaire dont l’emplacement précis est classé top secret.
Dire que, dans le budget 2018, les crédits de fonctionnement de la DGSE ont augmenté de presque 20 % ! Parmi les justifications invoquées, la difficulté croissante à garantir l’anonymat des agents.
Pour la discrétion, en tout cas, certains espions français peuvent toujours courir…
Rigolo. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est l'existence de tout un tas d'applications pour ordinateur de poche (smartphone) qui tracent leurs utilisateur⋅rice⋅s à leur insue. Quand tu utilises une application qui affiche tes parcours sportifs, tu te doutes bien que t'es localisable, sinon tu ne verrais pas le tracé de ton parcours… Quand tu utilises l'application d'un journal ou celle de ta banque (pourquoi veut-elle accéder à la caméra ? :O), tu t'attends beaucoup moins à être localisable… Solutions : 1) ne pas installer n'importe quelle application, surtout quand tu peux faire ce qu'elle propose via le site web habituel (comme consulter ton compte bancaire, par exemple) ; 2) se plaindre auprès des sociétés qui proposent ces applications fliquées à leurs client⋅e⋅s !
Dans le Canard enchaîné du 21 février 2018.