On les appelle les « clients mystère » : « une sorte d’agent secret au service d’une marque et d’une enseigne », explique une pub de recrutement. Depuis les années 2000, la restauration, l’automobile, l’optique, la beauté, l’hôtellerie recourent à leurs services pour parfaire le contrôle de la qualité. Une technique venue des Etats-Unis, bien sûr.
Flicage mystère
Que fait un client mystère ? « Marie-Hélène, raconte le site spécialisé RefletClient, entre dans une boutique de mode. Mentalement, elle note que la musique d’ambiance est trop forte mais que la promotion de la semaine est bien affichée. La vendeuse a le sourire. Elle déballe un carton de marchandise et ignore les clients (…). L’hôtesse de caisse est aimable mais ne lui demande pas sa carte de fidélité… Après son shopping, elle complète une grille d’observation pour rendre compte de son expérience, ses remarques et impressions. Le chemisier qu’elle a pu garder après remboursement par RefletClient rend ses copines jalouses »…
Etre client mystère, c’est donc « se faire plaisir tout en participant activement à l’amélioration du service rendu aux clients ». La réalité est moins rose : ces visiteurs sont en général des précaires payés une misère pour aller fliquer d’autres salariés. Certains sont rétribués en bons-cadeaux, d’autres 15 euros la mission. Parfois, il n’existe ni bulletin de paie ni déclaration à l’Urssaf. Marie-Hélène, qui « s’est fait plaisir », va permettre à l’entreprise visitée de savoir que l’une de ses vendeuses « ignore les clients » ou que la caissière a oublié de demander la « carte de fidélité ». Les deux salariées vont-elles se faire remonter les bretelles ?
Balance ton vendeur
« Ne t’inquiète pas, assure le site « abcargent.com », qui fait de la retape pour le job, ces rapports n’ont pas pour but d’identifier des employés pour pouvoir les virer ensuite. »
Est-ce si sûr ? « Le Canard » s’est procuré plusieurs dizaines d’offres d’études de la société Presence, filiale du groupe Topo ; elles réclament explicitement à leurs clients mystère en visite chez Volkswagen, Audi, Skoda, Kia, Hyundai, Toyota, Lexus ou Renault de réaliser « un enregistrement audio » quand ils demandent à essayer un véhicule neuf. Pour reconnaître le salarié qui s’exprime ? Vérifier les questions du visiteur ? Fliquer les deux ? Confronté aux questions du « Canard », Presence a joué les absents.
En enregistrant un salarié à son insu sur son lieu de travail, le client mystère se rend pourtant coupable d’un acte illégal. Mais, s’il ne transmet pas l’enregistrement, il n’est pas payé. A quand une visite mystère de l’Inspection du travail chez les employeurs de visiteurs mystère ?
Encore une fois, où se situe la sottise crasse ? Chez les sociétés qui ont recours à ces prestations ? Chez les sociétés qui vendent ces prestations ? Chez les gens qui acceptent d'être des clients mouchards ? On a tou⋅te⋅s une responsabilité personnelle.
Dans le Canard enchaîné du 3 octobre 2018.