[…] Dans le cadre d’une action intentée contre Monsanto, la justice fédérale américaine a déclassifié, jeudi 16 mars, plus de 250 pages de correspondance interne de la firme agrochimique, montrant que cette dernière s’inquiétait sérieusement, dès 1999, du potentiel mutagène du glyphosate, principe actif de son produit phare, le Roundup […]
Or le 15 mars, à la veille de la publication de cette documentation confidentielle, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) annonçait qu’elle ne considérait le glyphosate ni comme cancérogène ni même mutagène – c’est-à-dire capable d’engendrer des mutations génétiques.
Pour Monsanto, l’affaire est cruciale : le Roundup est la pierre angulaire de son modèle économique, fondé sur la vente liée de ce pesticide et des cultures transgéniques capables de le tolérer.
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Les précédentes archives déclassifiées dans le cadre de cette affaire ont notamment montré que Monsanto avait bénéficié de connivences au sein de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), chargée aux Etats-Unis d’évaluer la sûreté du glyphosate (Le Monde daté du 17 mars).
Cette fois, les courriels mis au jour racontent une autre histoire. En 1999, les cadres de Monsanto souhaitent faire appel aux services d’une autorité scientifique incontestable pour plaider la cause du glyphosate auprès des régulateurs européens. Tout l’enjeu est de les convaincre que le produit n’est pas génotoxique.
https://www.marianne.net/societe/monsanto-s-inquietait-deja-de-la-toxicite-du-roundup-en-1999 :
Pour mener à bien ce projet, l’entreprise jette son dévolu sur James Parry, professeur à l’université de Swansea (Pays de Galles) et ponte de la génotoxicité. Manque de pot, celui-ci émet de sérieuses inquiétudes sur le glyphosate. Ses derniers mots ne sont d’ailleurs pas rassurants du tout : "Je conclus que le glyphosate est un clastogène potentiel in vitro". Par "clastogène", entendez "susceptible de provoquer des ruptures dans une molécule d’ADN" et d’y induire des aberrations chromosomiques. Le scientifique précise encore que le glyphosate pourrait induire un "stress oxidatif" sur les cellules, et recommande vivement de mener davantage de tests sur le glyphosate. Son rapport ne sera tout simplement jamais transmis aux autorités de régulation, ni rendu public.
Or, en mars 2015, c’est ce même "stress oxidatif" que le Centre international de recherche sur le cancer identifie et rend public. Monsanto s’empresse de qualifier son rapport de "science pourrie" dans un communiqué de presse.
Chez Monsanto, on s’étonne des conclusions de Parry. Le 31 août 1999, un cadre écrit qu’il est "déçu" et se demande même : "A-t-il déjà travaillé pour l’industrie sur ce genre de projet ?". Un mois plus tard, l’un des toxicologues de la firme écrit sans ambages à ses collègues :
"Parry n’est pas la personne qu’il nous faut et cela prendrait pas mal de temps, de dollars et d’études pour l’amener à l’être (…) Nous n’allons simplement pas conduire les études qu’il suggère". Et d’ajouter à propos de la génotoxicité possible du glyphosate : "Nous sommes actuellement très vulnérables".