Andy est un des membres historiques du club des hackeurs allemands, le CCC, figure de proue dans l’information, la formation et l’activisme dans les domaines des technologies informatique et Internet. Défendant la protection des données personnelles des citoyens depuis 1995 avec le Datenreisebüro, il a fait en mai 2016 une conférence au THSF, le rendez-vous annuel de hackeurs à Toulouse.
Dans cette conférence, Andy évoque les ONG de défense des libertés à l’ère numérique, et fait le point sur leur financement par des fondations américaines, bien souvent faux-nez de la CIA...
Il parle aussi de nos échecs et de la mondialisation de la gouvernance, notamment avec les accords de libre échange genre TAFTA/TTIP, CETA & co.
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Mais il y a un problème et c’est ... Bien entendu je connais de près les théories anarchistes et je n’ai jamais été un grand supporter des gouvernements mais je vois un problème si l’on détruit les gouvernements car si on limite le nombre de gouvernements, alors ceux qui restent tendent à devenir plus puissants.
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La réalité c’est ce qui est créé dans l’esprit des gens, je parle ici de constructivisme et de la perception des choses ce que vous voyez à la TV, que vous lisez dans les journaux, que vous entendez à la radio tout cela crée des représentations dans votre esprit, du monde où vous pensez vivre
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Donc le 1er amendement de la constitution américaine, la liberté d’expression, était bien meilleur que ce que l’on peut avoir dans de nombreux pays, et c’était appréciable on pouvait dépasser les limitations de nos propres pays et nous avons apprécié cette gestion plus libérale mais cette gestion libérale a également amené la surveillance de masse qui assurait au gouvernement des États-Unis un accès à tout ce qui se passe et cela amène aussi une propriété intellectuelle qui constitue une version occidentale de la censure et une perte de pouvoir des gouvernements locaux et des structures locales, l’état sous-jacent est au contrôle.
Donc d’une certaine manière, les US amènent une idéologie totalitaire : une liberté totalitaire. [...] comment s’assure t-on que nous avons toujours quelque chose pour nous, nos enfants, nos communautés, notre pays qui pourrait être la souveraineté numérique parce que si nous vivons tous dans un cadre dont les règles sont produites par des entreprises américaines, donc au final par des personnes sous le contrôle du gouvernement US. Ces entreprises agissent au sein de la juridiction américaine, et elles ne peuvent pas y échapper donc la question de notre propre souveraineté dans ce scénario demeure.
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Donc les gouvernements cherchent à rester souverains d’une certaine manière et nous espérons surmonter cela en permanence. Cette part d’entre nous fait en sorte que nous ayons des droits numériques
nous avons de toutes parts l’environnement des ONG Soros, et j’en ai parlé à des gens en Hollande et déjà dans les années 80, quand il y avait ce projet de média "B92" c’était toute la scène néerlandaise, environ 50 à 60 personnes, c’était comme ça dans le passé, ils ont commencé à travailler pour Soros, alors c’est un peu bizarre de voir que certains millionnaires américains peuvent acheter une scène entière et donc par rapport à cet argent, les gens disaient "allez on prend juste l’argent des américains et ce qu’on fait continue à nous appartenir" mais est ce que cet argent est offert sans contrepartie ? C’est vraiment de l’argent gratuit comme dans "bière gratuite" ? De quoi s’agit-il ? Et de quelle liberté d’Internet parle-t-on aujourd’hui ?Il y avait aussi ce truc qui s’appelait — ça se passait en Espagne — ce truc appelé le "festival de la liberté d’Internet" cette année. L’an dernier c’était le "festival du contournement" et donc il y a quelque chose d’amusant. J’étais là-bas en mars cette année. Il y avait beaucoup de conférences à propos de la censure, d’Internet, de comment la vaincre ce que l’on peut faire, quelles technologies sont disponibles, ce qui est utilisable, peut-être les améliorations nécessaires pour que les personnes non techniciennes puissent y avoir accès tout cela a l’air très bien, mais tous les exemples de la conférence étaient étrangement la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord, vous savez, les méchants pays habituels et plus personne ne parlait de la NSA et de la surveillance.
[...] Alors j’ai regardé qui organisait cette conférence et le principal organisateur, qui est openitp.org — c’est l’organisation derrière l’événement — j’ai trouvé un type appelé Sascha Meinrath
de la fondation Acorn Active Media, jamais entendu parler de lui je l’ai googlé, et il a une page Wikipedia, il ressemble à un connard, mais peu importe en tous cas, il est vice président de la New America Foundation et chose intéressante c’est le cas de son staff de Acorn Active Media Foundation, qui a exactement 3 personnes en tout, qui travaillent également tous pour la New America Foundation. Et donc qu’est ce que la New America Foundation ?Le président du conseil d’administration de la New America Foundation est un type appelé Eric Schmidt. Le président exécutif de Google !
Maintenant on commence à comprendre ce que signifient les libertés sur Internet. Google partout ... Okay...
Nous y voilà. Et donc ensuite j’ai regardé leur page web ce matin et regardez : Jonathan Soros ! Le fils de George Soros rejoint aussi le conseil d’administration, génial ! Donc on commence à les rassembler.
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Donc sur la droite, vous avez ce festival, vous avez les acteurs, Acorn Active Media et tout mène à la New America Foundation, mais il y a aussi Google, Soros, l’Open Society Foundation, et les jeux de changement de régime des révolutions de couleur.
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On m’a aussi dit qu’il ne fallait pas sous estimer une personne appelée Peter Thiel.
Investisseur dans Facebook, Palantir et d'autres joyeusetées. ;)
C’est un millionnaire Américain, qui travaille avec Soros sur certains projets. Il est aussi connu pour travailler avec la CIA et créer des entreprises technologiques qui fournissent des outils pour la NSA et la CIA.
Et tous les deux font aussi partie du même manège avec l’Open Society Foundation. Voilà la vue d’ensemble qui implique maintenant, dans cette seconde version, vous avez ces types de l’Internet Freedom Festival, les gens de la CIA, Soros, Thiel, les agences à 3 lettres, certains d’entre eux fournissent un Internet libre et les autres fournissent les outils pour surveiller l’Internet libre.
Quel beau monde !
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Donc si on regarde par exemple le fait que la RFC Tor permet maintenant aux sercices en .onion de devenir un standard Internet. Pour financer ça, il y avait Facebook
Alors on peut maintenant être tous très fiers d’avoir aidé ces pauvres gens opprimés en Iran en Corée du Nord, ou autres. Ils peuvent enfin apporter leurs données en toute sécurité à Facebook et aux systèmes de la NSA.
Bravo, on a fait un super boulot. C’est quoi ce bordel ! [applaudissements]
Heu ? Un RFC ne se finance pas. :O Sur le reste, il y a déjà eu des contre-argumentaires produits à l'époque : https://www.techn0polis.net/2014/11/04/facebook-cache-dans-tor-pourquoi-cest-une-tres-bonne-nouvelle/ . En gros, les activistes dans des dictatures ont besoin de faire de la comm' de masse + Facebook impose une double auth quand l'IP change fréquemment, ce qui n'est pas le cas avec un service caché TOR = un service caché TOR leur apporte une commodité sans rien changer vis-à-vis des énormes risques qu'ils-elles prennent déjà.
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Donc. Mais qui finance Tor au fait ? Je veux dire, on savait tous que pendant un certain temps, il y avait ce type, "Radio Free Asia" SRI International, le département d’État américain et plein d’autres qui financent Tor.
Et Tor a juste commencé à la fin de l’année dernière ce qu’ils appellent un "financement communautaire" mais en fait, j’ai parlé avec Shari Steele, la nouvelle directrice exécutive de Tor, et chose amusante, elle est mariée à un agent de la NSA mais je n’ai bien sûr pas dit ça dans une conférence publique et je l’ai interrogée sur ses idées de financement communautaire, pour savoir si on devrait commencer à lever des fonds, et "ouais ouais mais l’argent n’est pas si important pour le moment on est très stables", donc leurs financements récurrents viennent de la fondation Ford, SRI International Google, Radio Free Asia, qui était un opérateur direct de la CIA le département d’État Américain, le Omidyar Network, un autre millionnaire dans ce jeu là
Donc seulement trois de ces entités sont directement associées avec la CIA. Je trouve ça un peu merdique, et par ailleurs toutes les personnes qui sont impliquées savent ça depuis longtemps ça fait juste bizarre que ce sont ces personnes qui nous soutiennent pour fournir un Internet libre, c’est étrange. Nous devons, peut-être, avoir une meilleure compréhension de pourquoi ils font ça et si nous avons réellement des intérêts partagés, et comment tout cela va finir.
Bien sûr, des gens vont dire "attends une seconde, Tor fait partie de la communauté des gens bien, ne les traite pas de mauvais, ce sont mes amis, n’est-ce pas" et on a un problème ici parce que l’opposé de faire quelque chose de bien, ce n’est pas faire le mal l’opposé de "bien agir" c’est "agir avec les meilleures intentions"
En même temps, Internet sous sa forme TCP/IP, ça nous vient des informaticiens de l'université de Berkeley financés par l'armée US, hein.
Les pro-TOR répondent que c'est le modèle technique de TOR qui apporte les garanties que ce n'est pas troué. Les présentations PowerPoint pechos par Sownden (qui commencent à dater, certes) montrent très bien que TOR emmerdait bien la NSA à l'époque et rien ne permet d'affirmer que cela a changé depuis.
Mais je comprends où veut en venir Andy : financer, ça permet de distiller des idées, de la monoculture US, etc. Et je suis bien d'accord avec cela.
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Donc l’acteur omniprésent dans tous ces projets, c’est l’OTF : l’Open Technology Fund qui est à 100% financé par Radio Free Asia et le Broadcasting Board of Governors. Ils sont tous deux liés au département d’État US, en théorie, et on n’a pas besoin des détails de toutes façons puisqu’ils financent tellement de projets. L’Open Technology Fund, bon, toute personne qui est un peu impliquée dans Tor, dans Tails, dans le chiffrement des emails ou ce genre de choses, c’est assez difficile de ne pas se retrouver à nager dans leur argent couramment. Alors ils sont partout, dans toutes ces conférences et tous ceux qui ont l’air de savoir (ou qui simulent bien) quelque chose sur la sécurité et comment améliorer la sécurité de l’Internet ou de soutenir les technlogies de contournement, ils auront un financement. c’est en fait assez difficile de ne pas être financé par eux quand on est impliqué là-dedans.
Et donc bien sûr si on regarde autour on trouve qu’il y en a un certain nombre [ NDLR : de projets ] dont on peut dire "attends une seconde, ce sont mes amis" donc le problème est que ce toutes les personnes qui sont payées et qui servent les USA ou la CIA ne sont pas nécessairement au courant, donc je n’accuse personne ici de mal agir intentionnellement mais il faut juste voir que nous avons un intérêt commun avec ces types bizarres qui nous donnent de l’argent pour contourner la censure, et et qui ne comprennent pas quelle est l’idéologie qui est derrière, quelle est l’économie et quelle est la politique gouvernementale derrière cela. Faire de nous des outils stupides pour le gouvernement US, ça ne peut pas être satisfaisant...
Et l’autre chose, ce sont les conséquences quand on s’associe avec cet argent et ces personnes, selon où tu vis, et on en a perdu des amis ces dernières années en Egypte, en Syrie, dans d’autres endroits. Leurs gouvernements ont un raisonnement très simple "Fais-tu partie de cette invasion US ou fais-tu partie de notre peuple ?". Et malheureusement, ils ne prennent pas le temps pour une analyse en profondeur. Dans ces conflits, ils agissent souvent rapidement. Et des gens meurent, sont torturés, etc.
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Évidemment, vivre dans le capitalisme est compliqué, et requiert un effort pour rester indépendant de l’argent facile et c’est le combat de chacun, je sais, ce n’est pas facile.
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Cela veut aussi dire que les processus économiques sont transformés d’une économie locale vers l’économie américaine, et on ne devrait pas soutenir cela. Cela veut aussi dire que des réalités virtuelles sont individualisées et commercialisées et ils se foutent de la réalité commune, c’est un autre problème.
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Mais il y a aussi les limitations des gouvernements nationaux dans les traités internationaux comme TTIP, entre autres accords commerciaux où les gouvernements nationaux ont de moins en moins de pouvoir puisqu’ils ont des obligations contractuelles internationales, mais la vraie menace qui vient est bien sûr que nous courons vers une réalité gouvernée par des algorithmes, permettant que les décisions commerciales et gouvernementales seront créées et basées sur des algorithmes et des données massives. c’est ce qu’ils sont en train de mettre en place en ce moment donc les choses vont devenir encore plus difficiles
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mais il y a aussi de l’intermédiation de la compréhension culturelle. Il y a aussi quelque chose qui concerne l’intermédiation des conflits ici. Notre compréhension du monde islamique par exemple, et leur compréhension de notre monde, il y a encore tellement à faire, parce que ce que l’Internet a fait, et le complexe de la liberté sur Internet n’a fait qu’exporter l’idéologie occidentale au lieu d’essayer de comprendre les différences culturelles et le complexe qui se créerait si ces cultures venaient à se rencontrer.
Donc il y a aussi évidemment un rôle énorme où nous avons échoué pour l’instant, celui d’améliorer la compréhension et l’usage significatif de ces technologies par les gouvernements et les communautés
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Les grands problèmes insolubles, nous devons les découper en problèmes plus petits que nous pouvons manipuler, donc par exemple augmenter le nombre de gouvernements. Si les gouvernements sont trop gros et trop compliqués à réparer, c’est parce qu’ils sont tellement cassés et corrompus. Et je suppose que la situation politique française, d’après ce que j’ai entendu dans mes conversations d’hier soir est à peu près aussi pétée qu’en Allemagne, alors c’est difficile d’imaginer que l’on peut réparer ça. Mais peut-être ce que l’on peut faire est de découper les gouvernements en morceaux plus petits, et les pays en morceaux plus petits de façon à reprendre le contrôle avec des sommes d’argents raisonnables, des structures raisonnables.
Le Saint Graal de la réappropriation collective, oui.
Mon seul point de désaccord est sur la vision "les USA sont trop forts, ils veulent dominer le monde, c'est dans leurs gènes, etc." : tous les États ont cette volonté-là. TOUS. Et ça semble être dans les gènes de tout le monde. Se focaliser sur un pays, c'est comme évoquer sans arrêt et sans preuve la Chine lors d'un DDoS, c'est se créer un bouc émissaire, c'est une démarche vaine et créatrice de conflits.
En revanche, je suis d'accord que la mondialisation (traduite ici par globalisation) est un problème en soi. Enfin, ça dépend de quoi on parle. La libre circulation des personnes à travers tout le globe, ça devrait être la putain de norme, le truc bateau évident car nous sommes tous et toutes chez nous, partout sur notre planète. La libre circulation des biens (matériels ou immatériels), pareil. Même chose pour les idées & les savoirs, évidemment. Par contre, que la culture mondiale soit façonnée depuis un point du globe, c'est merdique, que ce point soit Hollywood ou Bollywood. Même chose pour l'évolution technologique. Que la gouvernance se fasse à des échelles de pays, de continents ou autres (comme les accords commerciaux), c'est tout aussi merdique, elle devrait être locale, comme le dit très bien Andy.