Proportionnelle, nombre de parlementaires, cumul… La cuisine du chef Macron tourne à la tambouille politicienne.
Les ordinateurs de l’Intérieur sont formels : l’introduction d’une part de proportionnelle pour les législatives — fixée à 15 % par Emmanuel Macron et couplée à une baisse de 80 % du nombre de parlementaires — ne devrait pratiquement rien changer. Appliquée au résultat des élections de juin 2017, cette dose de proportionnelle n’écornerait que très légèrement la majorité de 58 % des sièges remportée par les seuls candidats LRM. Le parti présidentiel se retrouverait avec environ 205 sièges sur un total de 404.
« Dans ce cas, nous restons majoritaires sans avoir besoin du MoDem et de François Bayrou, et c’est ça le plus important », confesse au « Canard » une huile gouvernementale.
Allez savoir pourquoi, Bayrou » qui revendiquait 25 % de députés à la proportionnelle — n’apprécie guère la plaisanterie… (lire p. 2).
Fiefs a l’encan
L’élection de 61 députés à la proportionnelle va permettre aux petits partis de grappiller quand même quelques s1èges. Mais ils devraient en reperdre à peu près autant avec les 343 places qui seront at— tribuées au scrutin majoritaire. Et pour cause : plus les circonscriptions seront étendues, plus les fiefs électoraux des petits partis se retrouveront dilués dans des territoires dominés par les grands partis.
Par exemple, les Hauts-de-Seine comptent aujourd’hui 13 « circos » (dix LEM, deux LR et une PCF). Demain, avec un département réduit à seulement 7 ou 8 circonscriptions, ce sont les communistes qui devraient passer à la trappe. Même constat dans l’Allier ou les Bouches-du-Rhône.
Au FN, Louis Aliot, le compagnon de Marine Le Pen, et ses alliés Emmanuelle Ménard et Gilbert Collard pourraient être rayés de la carte électorale. Une partie des sièges détenus par La France insoumise risquent également de connaître le même sort.
De quoi, sûrement, faire sangloter l’Elysée…
La ficelle du chef
Pour réduire encore les effets de l’introduction de la proportionnelle, le gouvernement pense avoir trouvé une astuce d’une kolossale finesse.
Au lieu de voter deux fois, — une fois pour la proportionnelle et une fois pour le scrutin majoritaire —, l’électeur ne mettrait qu’un seul bulletin dans l’urne, et son vote serait crédité en même temps pour le candidat choisi et pour la liste nationale que celui-ci soutient. L’Elysée et Matignon espèrent ainsi éviter un éventuel effet « défouloir » de ce nouveau mode de scrutin qui conduirait des électeurs à voter LRM au scrutin majoritaire et pour un autre parti au scrutin de liste.
A part ça, comme disait Macron le 5 juillet a la tribune du Congrès, à Versailles, la mise en place d’« une dose de proportionnelle » va permettre à « toutes les sensibilités [d’être] justement représentées » au Parlement…
Le casse-tête des ciseaux
Selon tous les experts consultés, le passage a 343 circonscriptions départementales — soumises au scrutin majoritaire — semble relever de la mission quasi impossible. Du moins sans piétiner les règles d’équité établies par le Conseil constitutionnel.
Par exemple, ledit Conseil a décidé, en 2009, que l’écart maximal de population entre deux « circos » d’un même département ne devait pas dépasser 20 %. Mais, avec seulement 343 députés élus au mode majoritaire, cet écart augmenterait mécaniquement, pour atteindre de 39 à 41 % dans certains départements, à en croire les calculs des conseillers de Gérard Larcher.
Des calculs aussi innocents et désintéressés que ceux de Macron.
Lozère de rien
Encore plus ennuyeux : si la norme d’au moins un député par département annoncée par le Premier ministre devait être respectée, les 76 000 habitants de Lozère pèseraient aussi lourd à l’Assemblée que les 290 000 personnes résidant dans l’Orne. Et ce n’est qu’un exemple…
Dans le système à 577 députés, l’élu de la circonscription la plus peuplée (la 6e de Seine-Maritime) représentait 2,4 fois plus d’électeurs que son collègue de la moins peuplée (la 2° des Hautes-Alpes). Demain, avec la réforme, cet écart pourrait atteindre un facteur 4 !
Pour échapper à ce piège, le gouvernement aimerait s’affranchir, dans certains cas, des limites départementales et créer de nouvelles circonscriptions à l’échelle des régions. Mais il faudrait qu’il obtienne que le Conseil constitutionnel accepte de revoir sa jurisprudence. En raison de l’« ampleur de la réforme envisagée », explique aujourd’hui un conseiller de Matignon.
Comme si c’était le genre des conseillers, d’accepter de manger leur chapeau…
A se taper le cumul par terre
Autre réforme, mais cette fois symbolique, de Macron : la limitation du cumul dans le temps des mandats électoraux, qui ne pourront pas excéder le nombre de trois. « Symbolique » est bien le mot.
Et d’un : cette disposition ne concernera qu’une infime minorité d’élus. Aujourd’hui, elle ne toucherait, par exemple, que 12 sénateurs. Et tous les maires et les patrons de collectivités de moins de 9 000 habitants en seraient exonérés, soit 95 % d’entre eux. Et de deux : le compteur repartira de zéro en cas d’interruption du mandat durant un laps de temps qui devrait être fixé à un an.
Il suffira donc à un élu de troquer pour un moment son fauteuil de maire contre celui de président de la métropole ou de la communauté urbaine concernée pour en ressortir vierge de tout cumul. Les parlementaires nommés au gouvernement se verront reconnaître la même virginité à la fin de leurs fonctions ministérielles.
Dernière entourloupe : le décompte devrait commencer par un coup d’éponge général. Sauf revirement de dernière seconde du gouvernement, le premier mandat pris en compte sera celui obtenu à l’issue des prochaines élections. Un maire élu pour la première fois en 2001 pourrait, si les électeurs le veulent, rempiler pour trois mandats de plus à partir de 2020 et rester en place jusqu’en… 2038.
Soit trente-sept ans de mandat sans interruption !
Merci, Macron !
Ce qui m'apparaît important, c'est de refuser la réduction du nombre de parlementaires surtout au motif de faire des économies. Moins de député⋅e⋅s, c'est moins de représentation. Une même personne ne peut pas représenter plus de 70 000 personnes, c'est impossible. Alors cette personne représentera son parti et votera tout ce qu'il lui demande de voter. Il est impossible de se sentir concerné par les problèmes et préoccupations, tous différents, de 70 000 personnes. Il est impossible d'éprouver de l'empathie pour une masse, informe, de 70 000 personnes. Il est impossible d'être à l'écoute, par téléphone, courrier, mail ou présentiel, de 70 000 personnes, ça ne loge pas dans un agenda, même en travaillant 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Il est impossible d'être proche de 70 000 personnes, de les connaître, de savoir ce qu'elles font (et je ne parle pas uniquement du travail), de savoir de quelle (absence de) régulation auraient besoin ces personnes dans leurs activités, etc. À 70 000 personnes, on ne travaille plus à une échelle humaine, mais à une échelle industrielle avec des statistiques, des suppositions, des profils démographiques, etc., bref, des outils qui permettent de traiter de la masse : "ma circo est environ composée de tels types de personnes, il faudrait donc faire ça et ci". C'est aussi cette abstraction, mais pas que, qui donne l'impression que nos politicien⋅ne⋅s sont hors du réel. C'est cette abstraction qui donne aussi, en partie, du pouvoir aux lobby qui eux, sont palpables, existent physiquement devant l'élu⋅e. Mais ces représentant⋅e⋅s pourraient être complétés par des citoyen⋅ne⋅s bien vivant⋅e⋅s eux⋅elles aussi et ça permettrait de créer du lien entre élu⋅e⋅s et citoyen⋅ne⋅s. En tout cas, je le pense.
Il est grand temps de proclamer que l'important, c'est chaque citoyen⋅ne, individuellement, et de se donner les moyens de les écouter. C'est une piste pour améliorer notre démocratie représentative en attentant possiblement mieux (démocratie directe, démocratie liquide, etc.).
Dans le Canard enchaîné du 11 avril 2018.