Non, les urgences ne sont pas débordées par les petits bobos du quotidien… Ceci est une bêtise, comme les autres annonces de la ministre de la Santé sur le sujet.
Il aura donc fallu trois mois et la mise en grève d’une centaine de services d’urgences pour que la ministre Agnès Buzyn consente à recevoir en personne les syndicats, le 14 juin. La semaine précédente (le 6 juin), alors que la pression médiatique était déjà montée d’un cran, elle s’était contentée de dépêcher son directeur de cabinet auprès des grévistes. Et de commander un énième rapport pour le mois… de novembre à Pierre Carli, le patron du Samu de Paris, qui en a déjà pondu un sous la ministre précédente, Marisol Touraine.
Ruer dans les brancards
Blague supplémentaire : afin de rephosphorer sur la question, Carli se voit flanqué du député En marche ! Thomas Mesnier, qui a lui-même remis un rapport sur les urgences à Agnès Buzyn en… mai 2018 ! « Pas besoin de commander un nouveau rapport, il n’y avait qu’à fusionner les deux », raille l’urgentiste Gérald Kierzek. Et l’urgence de gagner du temps, alors ?
Quant aux 70 millions annoncés par Buzyn pour financer une prime aux soignants et l’embauche d’intérimaires, « c’est une goutte d’eau et un miroir aux alouettes. Il n’y a pas de rallonge budgétaire, donc ce sera financé en supprimant des postes et des moyens dans les autres services », prévient Patrick Bourdillon, de la CGT-Santé.
Histoire de faire passer la pilule, la ministre de la Santéa a repris son refrain habituel : si les urgences sont débordées, c’est à cause des petits tracas de santé bons pour le généraliste (la « bobologie », en jargon carabin) et d’« un problème d’organisation » avec la médecine de ville. Trop facile : « Il faut arrêter avec ce discours qui culpabilise les patients, bondit Gérald Kierzek. Le vrai problème, ce n’est pas la bobologie, c’est le manque de lits. »
La littérature scientifique internationale abonde en études sur ce phénomène d’engorgement (overcrowding, en bon français), qui est loin de ne concerner que l’Hexagone. Et les analyses sont unanimes : « La cause numéro un de la saturation, c’est le manque de lits dans les services, qui empêche d’hospitaliser les patients dans un délai raisonnable, explique le Pr Yonathan Freund, urgentiste à la Pitié Salpêtrière. Vous mettez 50 patients dans une salle d’attente qui ont le nez qui coule, ils vont vous prendre cinq minutes chacun, ce n’est pas le problème. Par contre, si on a cinq malades graves qu’il faut surveiller, à qui on ne trouve pas de place et qui restent sur un brancard pendant 24 heures, on déborde. Quand vous en avez 20 ou 25, c’est l’enfer. »
Repérer une seringue dans une botte de foin est souvent plus facile que de dénicher un lit d’aval… Selon les chiffres de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), pas moins de 80 000 lits d’hospitalisation ont en effet été supprimés entre 2000 et 2017. « On a cru que les besoins diminueraient avec le virage ambulatoire (médecine de jour), mais on n’a pas anticipé le vieillissement de la population, qui a explosé ces vingt dernières années », soupire un chef de service de gériatrie.
Outre des créations de postes, l’intersyndicale reçue par Buzyn a réclamé « un moratoire » sur ces suppressions de lits, dont le rythme ne faiblit pas. Réponse lapidaire de la ministre : « Le mot ne meconvient pas (sic). Ce n’est pasà l’ordre du jour. »
Un dialogue de malade !
Dans le Canard enchaîné du 19 juin 2019.