Affaire Benalla : le directeur de cabinet de Macron ment sous serment, mais le procureur de Paris, nommé au forceps par Macron, classe sans suite les signalements du Sénat…
Admirable Rémy Heitz !
Le procureur de Paris vient de classer sans suite le « signalement » du Sénat, qui dénonçait plusieurs faux témoignages devant sa commission d’enquête sur l’affaire Benalla. Principal témoin entendu sous serment, Patrick Strzoda, le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, bénéficie de l’indulgence du magistrat. Car, s’il « a pu effectuer une description incomplète des attributions de M. Benalla », il s’est racheté en transmettant — spontanément, bien sûr — une note de service évoquée par « Libération » (27/6), qui « décrivait toutes les missions » du costaud de la Contrescarpe à l’Elysée. Les extraits de cette note, que « Le Canard » s’est procurée, montrent que Benalla devait assurer la « coordination des services en charge de la sécurité du président de la République ». Soit l’exact contraire des affirmations de Strzoda, qui a donc menti sous serment. Les fonctions de Benalla étaient classées « A », ce qui signifie qu’il avait sous ses ordres une tripotée de galonnés de la police et de la gendarmerie.
Utile Kohler ?
Le très pudique procureur n’a sans doute pas osé lire les courriers échangés entre le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, et Philippe Bas, le président de la commission sénatoriale. Sans quoi il n’aurait évidemment pas fait preuve d’une telle indulgence.
Le 26 juillet 2018, soit le lendemain de l’audition de Strzoda, le président de la commission et ses deux rapporteurs réclament (par écrit) à Kohler huit documents consacrés aux fonctions réelles du Monsieur Muscles de l’Elysée. Le 19 septembre, Kohler en fait livrer six mais conserve au secret les deux principaux. Il assume : « Le strict respect du principe de la séparation des pouvoirs ne me permet pas de joindre les “notes de service portant fiche de poste”. »
Les sénateurs répliquent en saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Informé, le Château capitule. Le 10 octobre, Kohler fournit la note de service demandée, tout en insistant sur le fait qu’il n’obtempère que « dans un souci de bonne administration visant à prévenir la multiplication de procédures inutiles, telle qu’une éventuelle saisine de la Cada ».
Deux mois et demi de bagarres entre l’Elysée et le Sénat auront donc été nécessaires. Pas vraiment l’ambiance de Bisounours suggérée par le proc Heitz.
Dans le Canard enchaîné du 10 juillet 2019.