Un livre-enquête sur les films pornographiques pro-am (professionnel-amateur) français. On pourrait croire qu'il s'agit d'un style artistique (peu de lumière, intimiste, etc.) ou que des amateurs tournent dans un milieu professionnel, mais il s'agit surtout d'un porno qui répond à une demande commerciale (d'où « pro »), mais dont les moyens de production sont très limités (d'où « am »). Ce modèle économique a émergé au début des années 2000.
Alors, forcément, on n'est pas surpris d'avoir confirmation de l'absence de contrats de taff, de l'existence de contrats de cession de droits signés avec des autoentreprises à la fin du tournage (utile pour marchander, a posteriori, le consentement des actrices. Tu ne voulais pas les 4 gaillards sur toi ? Allez, 100 € de rabe et on n'en parle plus), des acteurs qui absorbent du Kamagra (Viagra pas cher) ou qui se piquent à l'Edex, au Caverjet et au Bi-Mix pour maintenir leur érection, le non-respect fréquent du consentement féminin (un acteur initialement prévu pour une scène, quatre acteurs au final, une promesse de scène sans rapport anal est rompue par le producteur, actrices fragiles psychologiquement et financièrement, etc.), des blessures infligées souvent aux femmes (elle s'évanouit pendant un fist vaginal ? C'est l'effet d'un orgasme intense dit le producteur… ou d'une plaie de 6 cm dira le docteur. Mais, ce que ne précise pas le livre, c'est que si le diffuseur ajoute le tag « painful », la vidéo se vendra niquel…), la reticence des producteurs à retirer une scène de leurs sites web suite à la demande d'une actrice (au motif des contrats de diffusion ‒ voir ci-dessous ‒ et que des gens lambda la mettront à disposition sur les sites web gratuit ?), la prépondérance des marchés de niches standardisés - les fameux mots-clés - qui tuent l'imaginaire, etc.
On est toujours aussi peu surpris d'avoir la confirmation de l'existence d'inégalités et de clichés genrés et racistes. L'espérance de vie d'une actrice est de 6 mois à 2 ans, car elle perd de sa valeur marchande après dix tournages environ (le public veut de la nouveauté). Un mec peut tenir 15 ans. Un acteur peine à percer, car il y a trop d'offre tandis qu'une actrice peine à perdurer à cause de la demande du public. Les hommes sont moins rémunérés que les femmes, voire pas du tout quand les producteurs envoient des messages à leurs fans pour mater un tournage et y participer. Le salaire de l'homme est conçu comme un complément au plaisir qu'il tire du tournage. Pour la femme, on achète la marchandise prisée par le marché, son honneur, sa transgression des normes de la sexualité féminine et sa sexualité qui ne se donne pas, mais s'échange. Parfois, les actrices ne sont pas rémunérées non plus en échange d'une mise en avant de la vidéo sur le site web du producteur… Un Noir jouera très rarement un statut social supérieur (médecin, par exemple) et il embrassera moins sa partenaire, cela afin de conforter le cliché de la bestialité du Noir. Les actrices US sont payées plus cher pour une scène avec un Noir car cela détruirait leur carrière. Le Noir est dans le porno pour punir la femme blanche de sa sexualité jugée débridée. La réception sociale sera également différente : l'acteur est perçu comme le héros du quartier, il serre des paluches, l'actrice est drapée d'une mauvaise réputations et reçoit des sourires carnassiers.
On est un peu plus surpris de découvrir l'existence de réseaux et d'une division horizontale du travail. Des rabatteurs dénichent les potentielles actrices, notamment via les réseaux sociaux (celles qui participent à des shooting, celles qui font des cams, toutes ont des fans… futurs clients potentiels). Les acteurs amènent également de la chaire fraîche en échange de garanties de tournage. Des producteurs dans la dèche produisent les vidéos. Lui est chômeur, tel autre vit des revenus de sa concubine, tel autre vit avec l'aide de sa maman, d'autres exercent leur art en plus d'un métier conventionnel (agent d'accueil, vigile, etc.). Revenus en berne, loyers en retard. Une vraie guerre commerciale doublée d'une politique de la terre brûlée a lieu entre producteurs qui s'échangent parfois des tuyaux et des actrices pour survivre : les gros signent des actrices pour les dix tournages fatidiques, empêchant ainsi les petits producteurs de tourner avec elles (car elle est "périmée", voir paragraphe précédent). Notons que les mœurs des producteurs pro-am différent de celles de ceux du porno-chic qui les ont précédé : mouvement libertaire, contre-culturel et émancipateur pour les ancêtres contre milieu réactionnaire / blasé du monde, pro-FN, homophobe et misogyne pour le pro-am. Les scènes sont découpées, compilées, et revendues à prix cassé à quelques diffuseurs dont le leader actuel est Jacquie et Michel (ne cherchez pas Jacquie, le business est principalement tenu par Michel, ex de l'éducation nationale et son fils ; Jacquie, c'est la première personne qui a envoyé ses photos à Michel quand celui-ci voulait créer un site web après sa formation de webmaster financée par son droit à la formation). Sans originalité, ceux-ci déclinent toute responsabilité pour les illégalités commises sur les tournages, mais ils mettent en place des chartes, cessent de publier des vidéos directement produites par des réalisateurs trop critiqués négativement (pas de panique, ces réalisteurs bosseront en sous-main pour d'autres contractuels de J&M) et tout le baratin habituel. J&M procède par avance sur contrat (1 250 €) et partage du revenu des ventes durant quatre ans (la vidéo ne peut être retirée avant). À cause du jeu de revente de scènes à la découpe, il est difficile d'éviter du porno pro-am qui ne respecte pas le consentement ou le droit du travail… Même Dorcel, le porno-chic à la française revend du pro-am "crade"… J'imagine qu'il doit y avoir moyen de s'en sortir en prêtant attention aux labels et aux gammes, mais bon… Les « tubes », les sites web gratuits comme le réseau MindGeek (PornHub, Youporn, etc.), xHamster, etc., ont pris une place considérable : des producteurs pro-am déclarent que lorsqu'un de ces sites est en maintenance, la fréquentation de leurs sites web chute de 1 300 à 100 visiteurs/jour (j'en doute un peu : seul un léger logo permet parfois d'identifier l'origine des vidéos, je doute que les consommateurs de ces fast-food cherchent aussi massivement à remonter à la source). Les petits producteurs d'aujourd'hui, puissants d'hier n'ont pas vu les tubes débarquer alors qu'ils avaient eux-mêmes contraints la profession à s'adapter une décennie auparavant.
Les profils des actrices et des acteurs sont ceux que la presse nous a toujours présenté. Une minorité de femmes maîtrise la situation et tourne pour gagner rapidement un fric d'appoint pour des vacs ou autre. Une écrasante majorité est composée de femmes précaires qui dépendent des producteurs pour vivre, au point parfois de """"racoler"""". Certaines viennent de ZUP, sont des oubliées sociales, ont été violées, battues, ont des parents internés en hôpital psychiatrique, etc. D'autres ont un trouble dissociatif de l'identité ou une irrationalité chronique médicalement reconnues. Les producteurs ne vérifient pas, car ça les obligeraient à changer de modèle de """"recrutement"""". Elles débarquent dans ce milieu via des rencontres fortuites. Une majorité d'hommes revendique un choix conscient « pour se vider les couilles », mais derrière, on trouve minoritairement une misère sexuelle dans l'adolescence / début de la vie active, des moqueries, etc. Pour les femmes, le porno est un moyen de chercher son identité / découvrir des trucs, d'acquérir une célébrité pour exister / qu'on s'occupe d'elles (240 fans Twitter qui encouragent), de se venger ("t'as dit que je suis une salope ?! Ouais, je serai la meilleure des salopes !") voire de s'auto-détruire. Certaines jouent les femmes fortes qui maîtrisent, disent refuser les rapports anaux qu'elles détestent à cause de la douleur ou les bukkakes qui leur brûlent les yeux / peau… mais renoncent finalement à faire valoir leur choix face au producteur. Mêmes celles qui prétendent assumer grave ont des idées morbides. Au début, j'étais sceptique face à ces témoignages, car l'auteur à très bien pu les sélectionner afin d'être conforme à l'attente sociale qu'une femme qui tourne dans des pornos est une femme fragile exploitée. Mais, au final, je trouve tout cela crédible : il y a tellement de gens malheureux dans leur taff, qui s'auto-détruisent (burn-out, bore-out, etc.), qui subissent des accidents prévisibles, qui n'ont pas de contrat de taff, qui sont sous-payés, etc. qu'il est statiquement normal de retrouver cela dans le monde du porno bas de gamme… L'auteur explique d'ailleurs que la connaissance des coulisses ne change pas le comportement des fans de pro-am, car le plaisir passe avant l'éthique… comme un consommateur lambda, en fait ? La différence, c'est que les réseaux de la grande distribution (par exemple) sont socialement admis, pas le porno.
Je ne résiste pas à l'envie de recopier cette phrase tirée de l'entretien téléphonique avec Thibault, le fils de Michel et directeur général du site web Jacquie et Michel : « Mais, du coup, dans ton bouquin, ça va être dur de dépeindre le truc sans que ça soit trop sordide ? »
Je recommande la lecture de ce livre, car il est pédagogique, même si, plutôt souvent, le ton qui y est employé est gonflant. Tantôt l'auteur en fait des tonnes pour exposer qu'il a fait de nombreuses démarches, qu'il a donné de sa personne sur des tournages (en restant derrière la caméra, faut pas charrier), bref qu'il a tout donné. Tantôt l'auteur devient moralisateur : telle pratique sexuelle est pas cool selon ses critères donc les actrices ne peuvent pas être consentantes et celles qui lui répondent qu'elles le sont, sont des exploitées qui ne peuvent pas répondre autre chose si elles veulent continuer à tourner, donc à bouffer…