À Troyes, Amiens, Lyon, Grenoble, la justice du travail vient d’attribuer des indemnités de licenciement supérieures au barème imposé par Macron dans sa loi travail. Au motif que leur plafonnement viole le droit international.
Lentement mais sûrement, un des monuments du macronisme triomphant est en train de s'effondrer. Les ordonnances plafonnant les indemnités de licenciement, prises à la hussarde le 23 septembre 2017 par un président à peine élu et bien décidé à réformer le code du travail, viennent d’être déclarées illégales. Ce sont les conseils de prud'hommes qui ont lancé la charge. Quatre d’entre eux ont déjà rendu des décisions allant dans ce sens : Amiens, Troyes, Lyon, Grenoble, le 18 janvier. Tous ont déclaré que l’article introduisant « un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un salarié » viole l’article 24 de la charte sociale européenne et l’article 10 de la Convention internationale du travail. Ces deux textes très officiellement ratifiés par la France consolident le droit d’un salarié injustement licencié à obtenir le versement d’« une indemnité adéquate » ou « toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». Et c’est ce qu'ont fait les juges en condamnant les employeurs à verser des dommages et intérêts supérieurs au barème imposé par Macron. Une victoire pour les organisations syndicales, politiques et judiciaires qui luttent pour l'abolition de ces ordonnances iniques et dangereuses.
Avant, les indemnités pour licenciement abusif étaient laissées à l’appréciation des conseils de prud’hommes. Composés à part égale de représentants des employeurs et des salariés, ils intégraient de nombreux paramètres dans leur calcul : âge, santé, situation familiale, contexte professionnel. En règle générale, les juges du travail accordaient un mois par année d’ancienneté. Depuis la nouvelle loi, les indemnités de licenciement sont plafonnées entre un et vingt mois de salaire. L’employeur qui décide de virer un salarié peut ainsi savoir combien ca lui coûtera. Il suffit de le budgéter et l'affaire est terminée, sans autre explication. Un chèque, et dehors ! C’est justement pour lutter contre ces abus que les textes internationaux et européens ont mis en place une série de protections en faveur des salariés. Et c’est en vertu du respect de ces textes que les conseils de prud’hommes ont rejeté les dispositions pro-patronales de Macron, considérant qu’elles violent le droit international. C’est du lourd, d’autant que l‘argumentaire juridique déployé par les juges prud’homaux est bien ficelé.
La contre-attaque a été lancée aussitôt la publication des ordonnances. Dès septembre 2017, avocats et juristes de tous bords ont travaillé collectivement pour examiner les failles du système. Le Syndicat des avocats de France (SAF), notamment, a mis au point une sorte de kit prêt à l‘emploi démontant les ordonnances Macron. Au début de l’année 2018, le SAF l’a posté sur son site. Il l’a ainsi mis à disposition de tous les défenseurs des salariés avec comme mot d’ordre : « Copiez-collez-le dans vos requêtes et faites-nous remonter les décisions ». Une méthode exemplaire et efficace. « Ces décisions ouvrent la voie de la résistance des juges contre cette réforme inacceptable, ce déni de justice », explique Me Isabelle Taraud, du SAF. « Ce plafonnement est en droit français la seule exception, intolérable et incompréhensible, au principe selon lequel celui qui a causé un préjudice doit en assumer la réparation intégrale. Il n’est pas normal que l’employeur ait plus de droits que les autres. » En somme, que les patrons soient plus protégés que les salariés, eux-mêmes réduits à une variable d’ajustement dont on se débarrasse en payant, pas trop quand même. Une brèche s’est ouverte qui risque d'en ouvrir d’autres. « À moins que Macron ne réintroduise plus de justice sociale et supprime ses propres ordonnances », ajoute l'avocate en feignant la crédulité. Elle a raison, on peut toujours rêver.
Lisons nous-même l'article 2 de l'ordonnance qui plafonne les indemnités prudhommales : entre un à dix ans d'ancienneté dans une boîte hors TPE (donc start-ups), l'indemnité est plafonnée à… 1 mois de salaire par année d'ancienneté, soit ce qu'appliquaient en général les juges jusqu'à présent selon cet article. Cette ordonnance change donc la donne majoritairement pour les salariés de TPE et pour ceux ayant une expérience supérieure à 10 ans. Elle retire aussi aux tribunaux la possibilité de sanctionner plus fermement les licenciements indignes. C'est cela le plus injuste : les licenciements banals seront traités comme avant. Le risque financier d'un licenciement indigne est plafonné. L'injustice est accentuée. Bref, je suis d'accord avec la fin de l'article, mais pas sur le cheminement intellectuel qu'il propose.
Ces premières décisions sont une bonne nouvelle, mais attendons de voir si elles sont confirmées par les cours d'appel et, surtout, par la Cour de cassation, dont le jugement de la conformité d'une décision de justice avec la loi est le seul qui vaille.
Dans le numéro de février 2019 de Siné mensuel.