Des derniers mois, on entend parler de fronde des députés macronistes, notamment car ils contestent les projets de loi de financement de l'État et de la Sécu. Le président du groupe à l'Assemblée affirme que les députés macronistes jouent persos en portant des amendements d'intérêt local afin de favoriser leur re-élection. À côté de ça, tout ce beau monde vote bien gentiment les mesures contestables voulus par le gouvernement comme le pillage de la Sécu, donc bon, frondeurs, mais pas trop… De même, les frondeurs socialistes n'étaient pas parvenus à préserver les libertés et les acquis sociaux du peuple, pour rappel.
La discussion budgétaire à l’Assemblée nationale a eu au moins un mérite : mettre en lumière l’existence de « frondeurs » au sein de La République en marche ; ce genre de frondeurs que Macron abhorrait quand ils étaient socialistes et qu’ils s’en prenaient a Hollande…
Cette fronde encore latente, il en a été question le 22 octobre au petit déjeuner de la majorité, et c’est Gérald Darmanin qui a mis le sujet sur la table. Le ministre des Comptes publics venait de passer une nuit éprouvante à l’Assemblée et il était de fort méchante humeur.
« Je suis très inquiet de l’état de la majorité, a-t-il lancé à ses convives. On en est au point où des députés En marche ! s’amusent à battre le gouvernement sur des amendements financiers. »
Et Darmanin d’insister sur le mauvais esprit manifesté par ces élus.
« Lors des suspensions de séance, soit ces députés ne viennent pas à la réunion de conciliation, soit ils viennent mais maintiennent leur position en expliquant qu’ils ne peuvent pas soutenir le gouvernement sur ce coup-là et qu’ils préféraient le Macron candidat au Macron président ! »
A vrai dire, ce ne sont peut-être pas les seuls.
Encore plus incroyable, le patron des députés Marcheurs , Gilles Le Gendre, s’est rallié, toujours au cours de ce petit déjeuner, à l’avis de Darmanin. Enfin, patron, si l’on peut dire, car le président du groupe LRM a le plus grand mal à tenir ses troupes, et il ne s’en cache même plus !
« Chacun est un peu à son compte, a-t-il déclaré, un rien désabusé. Chacun est persuadé qu’il sera réélu dans sa circonscription en portant tel ou tel amendement d’intérêt local, et qui provient parfois de lobbys. »
Et Le Gendre d’ironiser sur les « autoentrepreneurs » de la majorité.
Bah… c’est ça la « start-up nation » !
Si Darmanin était si nerveux ce 22 octobre, c’est parce qu’il redoutait aussi le vote, prévu dans la soirée, de l’article 3 du PLFSS, le budget de la Sécu.
Une semaine plus tôt, en commission, les députés avaient pris au mot le gouvernement, qui s’était engagé naguère à compenser dans le budget de la Sécu le coût des dépenses pro-gilets jaunes dont elle avait dû assumer la charge, soit 3 milliards en année pleine. Or, entre-temps, le gouvernement a renoncé à reverser ce fric à la Sécu.
L'article 3 du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale dispose que la Sécu, c'est-à-dire les cotisations sociales, et non le budget général de l'État c'est-à-dire les impôts (TVA, IRPP, etc.), paiera la note des mesures "gilets jaunes" c'est-à-dire l'exonération de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires et le retrait de la hausse de la CSG pour les retraités percevant moins de 2000 €/an. En clair, le trou de la Sécu vient d'être creusé de 3 milliards d'euros supplémentaires, ce qui permettra de justifier de nouveaux non-remboursements de médocs et autres économies… Cela s'ajoute à la ponction étatique de 20 milliards d'euros sur 5 ans votée fin 2017.
Finalement, les députés ont baissé pavillon en séance publique et voté comme le voulait Darmanin : les mesures gilets jaunes resteront à la charge de la Sécu.
Comme quoi ces frondeurs macronistes sont encore un peu tendres, par rapport à leurs camarades socialistes…
Dans le Canard enchaîné du 30 octobre 2019.