Imaginez l’estampille « bio » sur du sel minier obtenu par fracturation hydraulique. La même méthode que l'industrie pétrolière utilise pour extraire son gaz de schiste. Inconcevable ! C'est pourtant ce que vient de proposer la Commission européenne. Même le sel de mine travaillé à l'explosif pourra être certifié bio.
Cette histoire qui ne manque pas de sel débute il a deux ans avec le toilettage de la règlementation européenne sur l'agriculture biologique. Six cents petits exploitants de marais salants sur la côte atlantique en profitent pour demander à Bruxelles que le sel marin artisanal récolté a la main bénéficie du label bio. Jusqu'à présent, n'étant pas considéré comme un produit agricole, le sel ne peut profiter de l'alléchante étiquette « AB ».
Sauf que en février, la dernière mouture du futur cahier des charges a été la goutte d'eau pour les artisans sauniers. Déjà, ils avaient failli s'étrangler en découvrant que Bruxelles mettait dans le même panier bio les sels marins artisanaux et industriels. Deux méthodes de production aux antipodes.
D’un côté, des petits bassins d'une dizaine de metres carrés sur lesquels les paludiers, équipés d'outils en bois, collectent plusieurs fois par semaine les grains de sel à la surface de l'eau. De l'autre, d’immenses bassins jusqu'à une dizaine d'hectares d'où l'on retire une fois par an a l'aide de robots moissonneurs le « gâteau de sel » collé au fond. Séché, ce sodium industriel, à l'inverse de son homologue tradi, est saupoudré d’anti-agglomérants comme le E535.
Désormais, comme on l'a vu, Bruxelles envisage d'accorder au sel minier, aussi utilisé pour déneiger les routes ou dans les lave-vaisselles, la fameuse certification bio. A la manœuvre, les deux premiers producteurs de sel industriel en Europe, l'allemand Esco (Cérébos) et le groupe français Salins (La Baleine), qui extrait ses 100 000 tonnes par an de Camargue mais aussi d'une gigantesque mine en Meurthe-et-Moselle.
Le plus salé dans tout ça, c'est que, pour vendre leur reduction, qui est actuellement de 20 000 tonnes par an, les petits saliniers de Noirmoutier de l'île de Re et de Guérande devront attendre trois ans, alors que la période de conversion imposée à l'industrie minière ne dépasse pas un an. Une distorsion de concurrence qui risque de faire disparaître un métier ancestral et les paysages de cartes postales qui vont avec. Si certains fonctionnaires de la Commission à Bruxelles pouvaient se transformer en statues de sel…
Dans le Canard enchaîné du 31 juillet 2019.