Cher fils, tu m'as dit : « Té tua ! » En ce moment, tu répètes tout. Tu ne l’as sûrement pas entendu de papa. Le stéréotype de la femme bavarde est ancré dans les esprits et dans le dictionnaire (« Pipelet : le plus souvent au féminin, pipelette »). Maintes recherches ont pourtant montré qu'il était faux. Papa dit que cela ne s'applique pas chez nous. Pour une fois, il a raison. Maman fait partie de ces femmes qui mettent les ovaires sur la table. (C'est quoi, les ovaires ? Des grosses bulles !)
Partout, l'homme parle davantage. À la maison, au travail, à la radio (notamment aux heures de grande écoute). À la télé, il parle deux fois plus que les pipelettes, surtout sur les chaînes culturelles. Dans les réunions, une femme parle entre trois et dix secondes, l'homme entre dix et dix-sept [ NDLR : je trouve ce chiffre bizarre… De quelles réunions parle-t-on, de réunions à xxx personnes ? :O ]. Pipelets dès le plus jeune âge ! Une étude de Graddol & Swann (il n'y en a pas eu d'autres, va savoir pourquoi !) montre que les garçons, en classe, parlent en moyenne trois fois plus que les filles et répondent huit fois plus souvent sans avoir demandé la parole. Pour le même comportement, les filles sont réprimandées [ NDLR : ou pas… ]. Selon d'autres statistiques, les patientes sont plus fréquemment interrompues par leur médecin quand celui-ci est un homme, alors que ce sont généralement les patients mâles qui interrompent les femmes médecins. La femme demeure femme avant tout ! La plupart des chevauchements (plus nombreux que dans le lit) et des interruptions sont dus aux hommes (96%), avec des « hmm » et des « mouais» grommelés au moment le plus propice pour signaler à leur locutrice qu'ils se désintéressent totalement de ce qu'elle dit.
Mon bébé, ne te réjouis pas. Les enfants reçoivent de la part des hommes le même traitement dans la conversation. Mais les pipelettes semblent la boucler davantage que les gosses. La conservation de l'espèce « Homo Pipelet » est assurée. Nous ne sommes invitées dans la causerie que pour valider le discours du mâle. On est la, avant tout, pour être vues. Pas étonnant que toute parole, au-delà du simple soupir, soit considérée comme LA parole de trop. J’aimerais lâcher un « Vaffanculo ! » bien senti. Je me contenterai de soupirer en italien. Nous, les commères, les concierges, les bavardes, continuons à travailler pour votre épanouissement parce que, au fond, une femme restera toujours une mère. Alors, mon ange, on ne dit pas « Té tua » à maman. C'est elle qui t‘a mis au monde. Ah, tiens! Ça doit être pour ça que vous nous en voulez. On vous « fait » ! D'où votre besoin compulsif d'exister. Bon. Au moins, pendant neuf mois, c'est vous qui la bouclez.
Dans le numéro de mai 2019 de Siné Madame.