Le Conseil d’Etat a catégoriquement rejeté l’argument selon lequel les tribunaux des Etats membres, en particulier leurs cours suprêmes (ou constitutionnelles), seraient habilités à contrôler un « ultra vires » des institutions européennes. La formulation de l’arrêt est une manière implicite de reconnaître qu’il existe un monopole de la Cour de justice de l’UE dans l’interprétation authentique du traité – contrairement à la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans l’affaire Weiss. L’arrêt reprend également la jurisprudence (désormais classique) du Conseil d’Etat selon laquelle ce n’est que s’il n’existe pas en droit de l’Union un droit fondamental correspondant à celui garanti par le droit constitutionnel français que ce dernier doit prévaloir.
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Ce point de vue [ « ultra vires » ], défendu par une partie de la doctrine de droit public allemand, a été rejeté l’essentiel de la doctrine des autres États membres, ainsi que par la doctrine allemande de droit communautaire.
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Il s’agit d’une référence à la jurisprudence développée par le Conseil d’État depuis l’affaire Arcelor. Selon cette jurisprudence, qui peut être considérée comme une version française de la doctrine des contro-limiti de la Cour constitutionnelle italienne, s’il existe en droit de l’UE soit en droit primaire, soit comme principe général du droit, un droit fondamental équivalent à celui garanti par le droit constitutionnel français (dans l’affaire Arcelor, il s’agissait du principe d’égalité), le droit de l’UE tel qu’interprété par la Cour de justice doit être appliqué. Ce n’est que si un tel droit n’existe pas dans les deux systèmes juridiques (par exemple le principe de laïcité) que le droit constitutionnel français s’applique le cas échéant en n’appliquant pas une norme européenne.
Pour ceux qui n'ont pas reconnu : l'arrêt qui est commenté, daté du 21 avril 2021, est celui par lequel le Conseil d'État a adapté le droit français en matière de données de connexion aux arrêts de la CJUE. L'arrêt Weiss de la Cour constitutionnelle allemande, qui a capoté, porte sur le rachat de la dette d'États sur le marché secondaire (entre organismes financiers par la BCE (programme PSPP, couramment nommé quantitative easing).