« L’indignation est une forme de reconnaissance du pouvoir établi. S’indigner ne mène nulle part, et n‘a aucune chance d’améliorer quoi que ce soit sur la planète, au contraire. Plus les individus s’indignent, plus leur énergie est détournée de l’action concrète, de la fabrication, de la construction. [...] Résister, en s’indignant, en luttant, est le meilleur moyen d’être sous contrôle, de démontrer que le pouvoir est aux mains de ceux qui prétendent le détenir. Dans un monde ultra-technologique, pris dans les serres de puissances financières colossales, aux visages anonymes, la lutte est toujours écrasée, la résistance anéantie ou récupérée.
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Parler du libéralisme n’est pas parler de « libertés », mais d’une voie de gouvernance et au delà, d’une forme de philosophie de la vie, de « gestion des existences ». La pensée néo-libérale a écrasé le monde, et réussi un tour de force, celui de changer les mentalités, pour au final, les gouverner. Le néo-libéralisme fonctionne uniquement parce que les populations pensent leurs propres existences en termes néo-libéraux. [...] Le culte de l’efficacité, de l’optimisation et du profit s’est répandu dans les esprits : chacun, ou presque est une petite entreprise néo-libérale qui essaye d’optimiser sa gestion quotidienne de la vie. On gère ses enfants. On améliore son quotidien. On optimise son temps de travail. On organise sa vie. On profite de ses temps libres…
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Le seul pouvoir réel des individus qui veulent un autre monde, plus juste, moins violent, plus harmonieux, plus apaisé, plus équilibré, etc, est celui de créer ce monde à leur propre échelle. Cette possibilité de reprendre le pouvoir n’est pas une simple vue de l’esprit, elle est parfaitement concrète. Mais elle demande de modifier profondément notre rapport au dit monde, et à notre existence.
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Hacker nos existences signifie donc faire autrement dans une société qui ne fonctionne que d’une seule manière, celle du « libéralisme » appliqué à tous.
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Il est ainsi possible, à sa propre échelle individuelle, au départ, d’exister autrement dans la société. Se ré-emparer de l’énergie, de son habitation, de l’éducation (surtout de la relation à ses enfants), de se nourrir, de s’activer ou de ne pas s’activer, de réfléchir, de dormir, prendre du plaisir, vaquer, cultiver, se déplacer, échanger…
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Ainsi, est-il possible de créer son propre réseau de communication et d’accès à Internet, d’ouvrir des lieux d’échanges, de savoirs, de savoirs-faire, de créer son énergie, son habitat, de produire sa nourriture, d’en produire à plusieurs : vivre, quoi… »
Je ne suis pas entièrement d'accord. Fabriquer un nouveau monde, passer du "dire" au "faire" est une nécessité, pour les raisons décrites. Mais il faut également s'indigner, s'énerver, gueuler, résister, lutter contre le Système.
Simplement parce que le Système ne vous laissera pas tranquille en train de faire autrement. Je prends un exemple simple : l'instruction en famille. Ça ne dérange personne, chaque individu étant libre d'y recourir ou non. Ce n'est pas une secte. Ceux et celles qui en bénéficient n'essayent pas d'imposer leur vision du monde. Pourtant, les politocards sont venus emmerder ces personnes (voir
http://shaarli.guiguishow.info/?QGLM4Q ). Autre exemple : monter des FAI associatifs n'empêchera pas les exploitants de délégation de service public, des sociétés commerciales, de vous évincer de leurs réseaux fibres optiques. Allez-vous construire un nième réseau fibré dans votre ville ? N'est-ce pas en contradiction avec certains de vos principes/valeurs comme ne pas refaire un taff déjà fait, de ne pas gaspiller de thune, de réduire l'empreinte écologique ? Monter des FAI associatifs n'empêchera pas non plus un gouvernement de les déclarer illégaux du jour au lendemain ou soumis à une redevance inaccessible à une association. Soyez bien conscient-e-s de ça.
Pour prendre un exemple abstrait : construire des châteaux de sable sur la plage, dans votre coin, ne vous protégera pas des brutes qui se croient intelligentes à détruire les constructions d'autrui. Oui, vous pouvez reconstruire en boucle, dans votre coin mais vous devez aussi aller expliquer à la brute que ce qu'il fait n'est pas bien, résister en somme et, si ça ne fonctionne pas, passer à une offensive plus virulente. Attention : je ne dis pas d'aller engueuler préventivement toute personne qui vous semble être une brute, ça serait un délit de faciès et une inversion de la charge (une personne est innocente tant que pas coupable et tant qu'un acte n'a pas été commis, on ne se permet pas de le deviner).
Un autre aspect à bien percevoir, c'est que tourner le dos permet donc aux malfaisants de tout poil d'agir avec encore plus de facilité puisqu'il n'y a vraiment plus personne pour se mettre en travers de leur route. Ainsi, tourner le dos à un détournement de subventions publiques par une personne et/ou une association en se disant qu'on ferait plutôt mieux d'aller "make" dans notre coin est le meilleur moyen que ce gaspillage d'argent public empire et d'avoir du sang sur les mains (vous saviez qu'il y a détournement et vous n'avez rien fait pour empêcher cela alors qu'une subvention publique, c'est l'argent de tous et toutes donc tous et toutes peuvent vous demander des comptes car vous avez une responsabilité d'autant plus si vous avez des preuves écrites de ce détournement). Il n'est moralement pas acceptable de laisser faire sous prétexte qu'on fabrique une alternative dans notre coin.
Pour résumer : "make" sans lutter contre le Système est aussi stupide que lutter contre le Système sans "make" des alternatives : ces deux extrêmes sont voués à l'échec. Il faut les deux car c'est complémentaire.
ÉDIT DU 27/01/2016 À 21H05 : Par pure coïncidence, voici que je tombe sur un billet de blog de Benjamin Bayart qui explique très précisément ça (
http://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/01/26/Faire ) :
« Dans les deux cas, j'arrive à la même idée : il importe de faire notre monde, notre société, selon nos méthodes. Nous voulons le faire sans passer par la case business ? Alors ne passons pas par cette case-là. Parfois, pour faire notre monde, notre société, avec nos règles, il faut que nous passions du temps à empêcher les nuisibles de trop nuire. Il faut par exemple essayer d'atténuer, un peu, le mal que nos politiques peuvent faire au monde quand ils essayent à toute force de s'accrocher au pouvoir contre toute logique, contre tout bon sens. Quand ils privilégient leurs petits intérêts électoraux, en agitant les peurs pour monter dans les sondages, au lieu de privilégier l'intérêt général en cherchant à apaiser la société. Quand ils utilisent les prétextes les plus vils pour assouvir leur soif de pouvoir. Leur envie de contrôler une société qui est en train de leur glisser des mains.
Pourtant, ce qui compte c'est de faire notre monde. Selon nos règles. Malgré leurs bêtises. Tout est là.
Lutter pour réduire la nuisance de leurs bêtises, en essayant de faire rentrer un tout petit peu d'intérêt général dans leur champ de compréhension du monde qui vient, c'est bien, c'est dans le bon sens. Mais ce n'est pas la finalité. C'est un moyen de protéger le monde que nous voulons, et que nous faisons, sans eux, malgré eux.
Il ne faut pas perdre de vue la société que nous voulons. Nous ne voulons pas de la façon habituelle de faire des affaires et des logiciels et des ordinateurs, alors ne rentrons pas dans leur jeu. Bien sûr, quand on voudrait bosser à plein temps sur un projet d'intérêt général et qu'on ne peut pas, qu'on est obligé de vendre sa force de travail à des malfaiteurs à la place, c'est frustrant. Ça nous ralentit. Mais faire rentrer nos projets dans leur système, c'est tout perdre. Il vaut mieux ne perdre que 35 heures par semaine à gagner de l'argent pour mener nos actions utiles le reste du temps. Quitte à tout perdre, autant laisser tomber et ne rien coder, ne rien faire.
De mon point de vue, il y a deux sortes de choses utiles : réduire les nuisances sans renoncer à ce que nous faisons, d'une part. Et faire le monde que nous voulons, d'autre part. » FIN DE L'ÉDIT.