Sous l'impulsion de son nouveau (depuis 2015, tout de même) président, L'ARCEP, le gendarme des télécoms, l'autorité administrative chargée de s'assurer que la concurrence est libre et non faussée (et, accessoirement, que les droits des citoyen⋅ne⋅s sont respectés) sur le marché des télécoms et de la fourniture d'accès à Internet, se donne une image d'administration cool, accessible, branchée, avec laquelle on peut dialoguer.
Cela se concrétise par un Sébastien Soriano (le président de l'ARCEP) un peu pompette lors des 20 ans de l'ARCEP, par le fait que l'ARCEP invite plus souvent qu'avant la FFDN (et d'autres ;) ) à venir dialoguer, par des tweets et des propos vaguement piquants de niveau cour de récréation pour hauts fonctionnaires (https://twitter.com/i/web/status/852812197889622016, https://twitter.com/JFrHernandez/status/818783298306666497) voire flatteurs / optimistes (https://twitter.com/sorianotech/status/819301965624655880, https://twitter.com/sorianotech/status/833959349240393728) et des propos de jeune branché comme le coup de l'ARCEP qui, désormais, ferait de la régulation par la data (quoi que ça veuille dire) : ça en jette, mais ça fait déjà plus de 5 ans que l'ARCEP utilise des données pour motiver ses (non) décisions (sur la qualité des accès à Internet, par exemple) et toutes les administrations qui font un boulot économétrique en ont toujours fait…
Waaah, de telles prises de position, ça éblouit, on se sent en confiance, on a enfin un régulateur qui va agir dans le sens de l'intérêt général, c'est trop beau, c'est trop génial. Et puis, il y a la réalité.
Et puis, surtout, il y a les aveux. Comme celui lors de la réunion du 18 avril 2017 entre la FFDN et l'ARCEP portant sur le rapport sur l'état de l'Internet : la société civile ne serait pas assez présente, ne ferait pas assez de retours, sous-entendu : tant que la société civile n'est pas là pour faire pression, on va roupiller, bisous. Voilà, tout est dit. C'est une inversion complète de la charge : les textes (lois et règlements) instituent l'ARCEP comme gendarme des télécoms mais non, elle refuse, c'est à la société civile d'exercer en permanence ce rôle-là, bénévolement, en plus ! De qui se moque l'ARCEP ?! J'pense que, moi aussi, j'vais déléguer mon boulot d'adminsys à la société civile, ça me rendra la vie plus facile. Nan mais please quoi…
En matière de neutralité du net, tout aura été fait pour traîner les pieds. Après l'adoption du règlement européen, les régulateurs télécoms européens nous ont joué l'air de pipeau "on ne sait pas comment appliquer ces règles trop imprécises et faudrait se mettre d'accord pour appliquer tout bien tout pareil dans toute l'Union" (et cette prise de position a du sens !). Tout ça pour publier des lignes directrices communes qui, certes, affirment des principes forts, mais qui, sur les points conflictuels (zero-rating et services gérés/spécialisés, par exemple), laissent beaucoup de latitude (et donc d'insécurité à agir) à chaque régulateur national pour interpréter le texte… L'objectif de départ n'est donc point rempli et les régulateurs ne sont pas incités à agir. Maintenant que les règles sont à peu près fixées, l'ARCEP fait le coup de fermer les yeux et de se boucher les oreilles en disant "tant que je ne vois aucune atteinte à la neutralité du net, tout va bien". Sérieusement…
Je réfute la position de Soriano selon laquelle il faut que la société civile soit patiente (source : https://twitter.com/sorianotech/status/869854982190895105) : les magouilles perdurent des années et permettent à ceux qui les commettent d'engranger des milliards d'euros avant que le régulateur ne se bouge, tout ça pour infliger une amende de seulement quelques millions tout au plus. À ce jeu-là, les gros acteurs n'ont aucune raison de devenir honnête donc c'est trop facile. Sans compter les services qui ne voient pas le jour à cause des pratiques anti-concurrentielles que l'ARCEP laissent être commises ! Cela fait 20 ans que la société civile (et les petits et moyens opérateurs) rabâche les mêmes biais dans l'ouverture du marché qui profite au gros historique en situation de monopole qui a ainsi pu profiter des bienfaits de l'ouverture sans en subir les éventuels méfaits (du point de vue du gros acteur, c'est-à-dire la concurrence libre et non faussée)… Pourtant, en 2017, l'ARCEP semble toujours découvrir la vie (sur la qualité des interconnexions, sujet vieux d'au moins 7 ans ou sur la liberté de choix du terminal, par exemple)…
Alors oui, c'est vrai, l'ARCEP travaille ses nombreux sujets, produit du papier, mais ça, elle l'a toujours fait, sans pourtant essayer de briller en société. Oui, l'ARCEP ne prenait pas ce ton décomplexé avant, donc il y a du changement. Mais un ton ne sert à rien sans actes. Quand est-ce qu'on passe aux actes ? Pour l'instant, je vois uniquement une belle vitrine, mais rien de concret. Toute la position publique de l'ARCEP n'est que du marketing. La tyrannie du cool est encore passée par là.
Bref, méfions-nous du miroir aux alouettes et continuons de surveiller collectivement toutes les prises de positions et les décisions de l'ARCEP avec un regard fortement critique.